De la Suède à l’Europe, le lent naufrage de la social-démocratie
Les Suédois ont progressivement revu leurs positions sur l'économie et les politiques sociales. Ce pays était le poisson pilote d'un paquebot social-démocrate qui doit maintenant changer de cap et c'est une bonne nouvelle.
Par contre les partis sociaux-démocrates sont incapables de changer de point de vue sur l'immigration et se sont fait ravir le pouvoir. Que cache cette attitude irrationnelle ?
- La boussole social-démocrate à perdu son nord suédois. Maintenant quelle destination choisir pour l’occidental éduqué ? (image pixabay)
Contexte
Ce texte fait référence à un article paru dans la république du Centre le 30 décembre dernier. Le titre en est << Comment le lent naufrage de la social-démocratie a poussé la Suède dans les bras de la droite dure >>. L'auteur est Dominique Diogon qui interroge Cyril Coulet, "chercheur spécialiste des pays nordiques".
Cyril Coulet est passé par science Po (classe préparatoire ENA), et un DEA Relations et affaires internationales à Paris 1 Panthéon Sorbonne. Au niveau professionnel il a un parcours dans le social et le handicap, et fut attaché parlementaire en 2014.
Ce parcours me parait à la fois prestigieux et généraliste. Il me semble bien représentatif du haut du panier des "occidentaux éduqués" qui tentent de construire et d'entretenir un projet de civilisation social-démocrate.
Dans cet entretien il évoque quelques aspects de ce projet et fait un diagnostic de l'évolution de la situation politique en Suède.
Première partie : économie
Le projet Social-démocrate
Mr Coulet résume bien l'évolution récente de la social-démocratie dans cette phrase :
<< la social-démocratie, qui se pensait comme une alternative entre capitalisme et communisme, a de plus en plus penché vers un libéralisme économique, au nom de la croissance économique nécessaire pour financer la protection du modèle social. >>
C'est une synthèse de l'application de la notion d'État social, expérimentée d'une manière toute particulière en Suède et qui n'est pas sans rappeler le virage libéral du gouvernement socialiste dans notre belle France, durant les années 1980.
Il est crucial de suivre cette évolution car beaucoup considère la Suède comme "l'épicentre de la social-démocratie", comme l'indique le journaliste dans son introduction. La Suède a été le laboratoire de ce courant politique majeur, et les expériences ont été menées avec intelligence et pragmatisme. Quel en est le résultat ?
L'État social et le mouvement perpétuel
La phrase citée plus haut observe d'abord que la social-démocratie se veut une alternative au capitalisme. L'État social rêve d'une activité économique tournée vers une redistribution plus juste des richesses. Mais plus juste que quoi ?
Les suédois, pragmatiques, ont constaté que l'économie de marché génère des ressources et que ces ressources sont indispensables "pour financer la protection du modèle social". Et c'est ainsi qu'ils ont "plus en plus penché vers un libéralisme économique".
Cela confirme qu'un état social, même bien géré, ne peut se financer lui-même, alors que certains sociaux-démocrates semblent à la recherche du mouvement perpétuel comme dans le "moulin d'Escher", voir le tableau "Waterval" de M.C. Esher.
- Un moulin d’Escher est une idéologie qui pense avoir découvert le mouvement perpétuel (image wikipedia).
L'expérience soviétique et tous les autres régimes non capitalistes se sont effondrés. La Chine s'est convertie au capitalisme et a survécu. Il faut mettre de l'eau au moulin et aller chercher l'énergie et la vie là elles se trouvent, dans l'économie de marché. Et si cette énergie est étouffée par le poids des mesures sociales, alors il faut alléger ces mesures. C'est ce qu'on fait les sociaux-démocrate suédois avec des mesures "ultra-libérales" (apparemment il n'existe pas d'intermédiaire entre la mesure sociale et la mesure ultra-libérale).
Un autre "tournant de la rigueur" ?
On voit ici chez un peuple plutôt discipliné un mouvement contrôlé de sortie de l'utopie socialiste. C'est ce que nous avons vécu en France en accéléré et de manière plus passionnelle, plus latine et jamais vraiment achevée, lors de l'arrivée au pouvoir des socialistes en mai 1981. Après deux ans de rêves utopiques à attendre les résultats d'une "politique de la relance", nous avons eu droit à un retour sur Terre avec le "tournant de la rigueur" en 1983.
Ce qui est passionnant lorsqu'on se tourne vers les analyses politiques de cette époque c'est que ces politiques de rigueur sont toutes mise sous le compte d'une influence des "lobbies financier". Du complotisme avant l'heure ?
Un exemple bien réalisé de ces analyses nous est fournit par le roman graphique "Le choix du chômage" (B. Collombat, D. Cuvillier - Futuropolis - 2021). Cet ouvrage prend le même biais d'analyse qui consiste à voir dans les politiques libérales la cause des inégalités, et à interpréter ces inégalités comme des injustices.
Dans "le choix du chômage" on lit entre les ligne un tout autre message (opposé d'ailleurs aux conclusions des auteurs). Ca n'est pas la "haute finance" et les patrons qui entravent le fonctionnement de l'état social, c'est le fonctionnement même de l'État social qui provoque une dramatisation des cycles économiques. Lorsque les économistes réclament le tournant de la rigueur, c'est que l'État social a vidé les caisses en finançant des promesses intenables. Et depuis quarante ans nous dansons toujours le même tango, entre l'idéalisation de la nécrose socialiste et la vigueur séminale de l'économie qui se redresse dès que le carcan se desserre. Et chaque jaillissement de vie est aussitôt absorbé par le mort vivant social-démocrate.
- « Le choix du chômage » Ce roman graphique bien documenté peut être interprété de plusieurs manière. Il permet de suivre le cheminement du retour sur terre des socialistes.
Revenons à nos suédois ...
À la lecture de l'article on comprend que la social-démocratie suédoise a échoué à faire tourner le moulin d'Escher. On ne saurait lui en vouloir. Alors que faire ? Se tourner résolument vers l'économie de marché ? Impossible pour nos occidentaux éduqués. Derrière le combat économique se profile un combat existentiel : l'économie de marché c'est le domaine de la morale naturelle, du mérite et de la responsabilité individuels. L'État social implique une morale "collectivisée" et la croyance que la société peut être "réinventée" et rendue plus juste grâce à l'argent publique.
Donc non, l'économie de marché "ultra-libérale" ne peut pas être la solution, d'ailleurs dans l'article l'analyste note que l'OCDE a relevé une croissance des inégalités de revenus. Creusons un peu ce point.
L'inégalité n'est pas le fruit d'une injustice
Je cite le texte : << La Suède s’est même distinguée comme le pays de l’OCDE qui avait connu la plus forte croissance des inégalités de revenus du fait notamment de l’absence de salaire minimum et de négociations branche par branche >>.
Le salaire minimum est un des poisons indolores de la social-démocratie. Il sédate profondément l'économie de manière imperceptible. Se passer de salaire minimum est une décision salutaire et j'avoue que je ne savais pas que la Suède avait laissé cette question aux mains des accords de branche. C'est plutôt malin. En effet si on a besoin de bras non qualifié chez Ikéa, on ne peut pas les payer au même tarif que dans un centre de recherche chez Ericsson. Si la Suède est un modèle, j'ai hâte que la France la suive sur ce point !
L'occidental éduqué s'est persuadé que les "inégalités" de salaire sont le fruit d'une injustice. Pourtant en travaillant dans le privé on se rend compte que c'est la vitalité, le courage et l'intelligence qui répartissent les ressources disponibles. Les choix individuels qui mettent librement un curseur entre la carrière et la vie personnelle expliquent les disparités salariales sans avoir besoin d'invoquer des explications comme le plafond de verre ou de la discrimination.
En Suède comme ailleurs les jeunes ont ouvert les yeux sur ces réalités. Bon, d'un autre coté je soupçonne les analystes de l'OCDE de percevoir des revenus issus de l'économie privée ... par le biais des impôts, ce qui les classe dans la catégorie des morts-vivants.
- L’état social n’est plus vu comme un espoir, mais comme un mort-vivant qui se nourrit de la force vitale des personnes actives. (image pixabay)
Conclusion sur le volet économique
Nous étions nombreux à y croire à l'État social, et je n'étais pas le dernier. Pourtant il nous faut prendre en compte l'Histoire économique récente et plus lointaine, ainsi que les découvertes scientifiques sur les ordres auto-organisés et tenter de repenser la justice sociale.
Il est possible que sur le stricte plan de la juste répartition des biens matériels, la plupart des formes d'intervention étatique dans l'économie aboutissent à un appauvrissement de la population. Et au-delà à un enlaidissement des individus et de la société (voir à ce sujet "Esthétique de la liberté", P. Nemo, puf, 2014).
Est-il possible de proposer une "alternative entre capitalisme et communisme" ? Nous avons maintenant la réponse, et d'un point de vue économique elle est négative. Aujourd'hui comme hier nous avons le choix entre libéralisme économique (et seulement économique !) d'un coté et contrôle totalitaire et inquisition fiscale de l'autre, entre une prospérité sainement méritée d'un coté et le déclassement et médiocrité de l'autre.
La seule alternative réaliste est "extra-économique" ou "para-économique" et consiste à vivre à coté de l'économie de marché. Il s'agit de la subsistance communautaire quasi autarcique dont le modèle millénaire est le monastère bénédictin. Et cela ne nécessite pas le vol organisé qu'est l'impôt sans contrepartie. Les jeunes (encore eux) se posent la question, à l'exemple de certaines communautés "zadistes".
Un économiste du XXe siècle s'inquiétait de la disparition progressive de l'agriculture paysanne. Selon lui ce mode de vie est le meilleur "amortisseur social" qui puisse exister entre deux cycles économiques.
Cependant l'analyste de l'article sur la Suède reste pourtant fermement ancré dans la remise en cause du libéralisme économique, il semble penser que les électeurs attendent "plus de social". Est-ce vraiment le cas ?
Deuxième partie : immigration
La relève conservatrice
Les sociaux-démocrates suédois ont tenté de prendre en compte les réalités économiques et sont aujourd'hui dénoncés comme des ultra-libéraux. Ils ont été battu sur le terrain par la réalité économique, et dans les urnes par un un parti conservateur.
Parlons justement de l'analyse qui est faite de cette alternance électorale. En premier lieux la proposition sociale conservatrice est totalement ignorée. Pas un mot sur ce qui en termes d'économie et de solidarité fait la spécificité des conservateurs. Seul le prisme social-démocrate est reconnu comme une proposition sérieuse. Passons.
Il me semble que les analystes autorisés on deux obsessions majeures en politique : le sexe et l'immigration, l'une ou l'autre et parfois les deux. Et ces sujets sont souvent abordés de la même manière. Pour l'immigration il faut faire passer le message que "le sentiment d'immigration massive est fantasmé" et que l'immigration est une chance pour le pays d'accueil. C'est très important, c'est un pilier de la fameuse "religion de l'empathie" qui anime les occidentaux éduqués et guide leurs votes.
Du multiculturalisme à l'intégration
Ici nous retrouvons l'obsession pour l'immigration, abordée cependant de manière subtile : monsieur Coulet ne minimise pas la réalité de l'immigration, ce n'est plus possible. On parle quand même de 20% de la population totale, plus de 95% dans certaines banlieues. Son propos est qu'un flux continu d'immigrés s'insèrent dans la société et quitte les banlieues. Et pour lui c'est ce flux qu'il faut regarder, et non l'accumulation d'étrangers dans les banlieues.
Il attribue l'existence de ce flux à un changement de la politique suédoise qui a pris du temps. C'est une évolution en trois temps. D'abord le constate d'échec du projet de société multiculturelle (on se souvient en Allemagne des déclarations d'Angela Merkel en 2010). Puis s'en suit l'arrêt de la promotion de la diversité culturelle, et enfin une volonté de promouvoir l'intégration des immigrés à la société suédoise plutôt que d'accepter les moeurs des nouveaux entrants. << Cette inflexion a débuté dans les années 1990 >>.
Cette analyse indique que, comme pour l'économie, la social-démocratie à la suédoise reconnais qu'elle s'est trompée sur l'immigration et tente de redresser le cap. Heureux pays ! En France nous en sommes toujours au "vivre ensemble", ce qui ressemble fortement à la tentation multiculturelle. Que de chemin à parcourir.
- En 2010, Angela Merkel annonçait l’échec du multiculturalisme. Les Suédois ont fait ce constat depuis les années 1990. (image pixabay)
Pas d'intégration sans identité affirmée
Mais à nouveau on nous propose un moulin d'Escher. En toute logique si on reconnais que le multiculturalisme est un échec et que l'intégration est l'attitude souhaitée alors il faut aux migrants une direction, un lieu dans lequel s'intégrer, une culture de destination. Ce lieu proposé quel est-il ? Réponse dans l'article : << l’objet de l’État-providence est justement de sortir l’individu de sa communauté d’origine >>.
Le chemin proposé à l'étranger est de quitter sa culture, mais en aucun cas on ne lui propose une autre culture. Cela serait de l'assimilation, terme honni. La seule concession est qu'il faut "un socle de normes communes pour faire société".
On veut faire tourner le moulin de l'intégration sans lui apporter l'eau de l'identité. Et ces êtres humains, dépossédés de leur culture d'origine, à qui on refuse une culture de substitution échappent à l'anéantissement en adoptant parfois une culture imaginaire et violente.
Une démarche rationnelle serait d'affirmer une identité, afin d'accueillir cet étranger déraciné, de lui offrir un riche terreau culturel ou il pourra faire grandir ses enfants. C'est ainsi qu'il faut percevoir les propositions conservatrices sur le sujet.
Obsession tenace
Mais non, cette possibilité identitaire ne fait pas partie des options sociale-démocrates et cela doit nous questionner. Pourquoi accepter de modifier la doctrine économique, en gros renoncer au socialisme, et par contre conserver contre vents et marées le dogme de la défense des minorités ? Pourquoi avancer sur le droit du travail (dans le sens de la liberté) et tenir sur l'immigrationisme ?
Encore une fois les nordiques ont fait preuve de pragmatisme avant tous les autres, même sur ces questions. L'article nous apprend par exemple que la Suède accepte de "reculer sur la question du droit d’asile pour adopter une approche plus conservatrice" sous la pression de la droite.
Même dynamique chez le voisin : << Au Danemark, on a vu le gouvernement social-démocrate offrir des fils barbelés à la Pologne pour bloquer l’immigration ou conclure des accords pour interdire l’accès au territoire aux demandeurs d’asile. >>
Pour l'analyste, cette attitude est le fait de la "droite populiste", c'est un "recul", un "processus de radicalisation". Tout questionnement sur l'accès au territoire et à la citoyenneté, toute parole libre sur ce thème est un tabou pour nos journalistes et intellectuels contemporains.
Pourtant les électeurs et les hommes politiques conservateurs qui défendent des positions en faveur des personnes "non migrantes" jouent le jeu de la démocratie, de l'État de droit, du débat d'opinion. La violence, physique comme verbale, est majoritairement du coté des sociaux-démocrates, lorsqu'ils sont à cours d'arguments.
Alors d'où vient cette attitude étrange, irrationnelle, ces croyances et ces fantasmes que tout va s'arranger si on accueille inconditionnellement les étranger, qu'on leur accorde un accès illimités à des revenus de substitution et des services financés par les "non migrants" ? D'où vient la certitude que les violences sont toujours des faits divers et ne disent rien de l'impasse existentielle à laquelle est confrontée une personne qui a été déracinée et à qui on refuse de proposer une identité affirmée et chaleureuse ?
La fausse religion de l'empathie
Face à ce comportement irrationnel, des chercheurs et de philosophes étudient par exemple le langage des journalistes et des politiques. Il apparaît ainsi que l'occidental éduqué, qu'il soit croyant ou non, pense, parle et agit comme l'adepte d'une fausse religion révélée.
Que signifie "fausse religion" dans ce contexte ? L'objet principal d'une vraie religion consiste dans l'exploration du rapport entre l'humain et la divinité par la médiation d'une révélation. Alors qu'une fausse religion prend le prétexte d'une révélation pour régenter la société humaine de manière arbitraire.
On a eu en début de l'article un aperçu d'une fausse religion sur le déclin : la doctrine économique de la social-démocratie. Dans la partie sur l'immigration on entre dans la religion de l'empathie bien décrite par le travail du philosophe Pierre Manent sur les droits de l'homme.
Ce phénomène repose sur deux constantes anthropologique forte. La première est la surcharge empathique, notre faculté de d'imaginer, voir de ressentir une souffrance réelle ou supposée a été démultipliée. C'est un ressort puissant qui à lui seul influe grandement sur notre comportement.
La seconde constante peut être nommée "l'espoir révolutionnaire", c'est la croyance tenace que tous les problèmes du monde peuvent être résolus par un grand changement, sous la conduite d'une entité puissante. C'est le chemin de la servitude.
- Surcharge empathique. L’importance que nous apportons à nos émotions a déplacé notre attention et limite notre discernement. (image pixabay)
Sortir de la croyance
Face aux réalités économiques, on a vu que la social-démocratie sait s'adapter et prendre un salutaire "tournant de la rigueur". On aurait préféré qu'elle aille tout de suite dans la bonne direction ...
Face aux réalités démographiques le chemin est lentement parcouru vers un retour à la raison. Mais pour cela il faudra sortir de la croyance et ouvrir nos yeux sur cette emprise religieuse que nous subissons. Lisez Tocqueville, lisez P. Némo, lisez P. Manent, sortez du cercle étroit des auteurs autorisés et libérez votre pensée. Vivre en banlieue populaire vous aidera aussi à y voir plus clair, à mieux percevoir ce qu'est une identité affirmée. L'expérience du terrain permet de sortir de l'imaginaire et de reconsidérer les fausses croyances les plus ancrées. J'en sais quelque chose.
En attendant la droite conservatrice a gagné en Suède, et la social-démocratie doit faire un choix entre le social et la démocratie. Entre le totalitarisme et l'alternance. Si vous êtes un démocrate alors saluez les victoires électorales authentiques et populaires, et cessez d'agiter les pulsions révolutionnaires qui entrainent lentement l'occident vers le déclin.
Et si en plus vous découvrez conservateur, vous allez découvrir mille raisons d'espérer !
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