De nouveaux Horizons avec les sans parti fixe du centre droit
« Soucieux avant tout de l’intérêt général, nous croyons au dépassement des clivages artificiels et au rassemblement de toutes les bonnes volontés au service du pays, dans le respect des différences et des sensibilités. » (Manifeste du nouveau parti Horizons, le 9 octobre 2021).
L’ancien Premier Ministre Édouard Philippe réussira-t-il à recomposer le paysage politique après que celui-ci s’est décomposé depuis une vingtaine d’années ? Rien n’est sûr, si ce n’est qu’une fois encore, les courants politiques ne peuvent se créer sans s’incarner en une personnalité majeure de la vie politique française.
Je date le début de la décomposition du paysage politique français non pas en 2017 avec l’élection du Président Emmanuel Macron à l’issue d’un second tour où aucun des deux grands partis de gouvernement (LR et le PS) n’était présent, mais en 2002, quand l’un des deux grands partis de gouvernement n’était pas présent au second tour (le PS).
En effet, juste après le premier tour du 21 avril 2002, Jacques Chirac, Président sortant et candidat, et son très proche Alain Juppé ont décidé de profiter de l’état de sidération déclenché par la présence de Jean-Marie Le Pen pour phagocyter l’UDF dans le RPR par la création de l’UMP. L’opération a mollement réussi puisque les élus UDF ne les ont pas tous suivis et il est resté une UDF résiduelle dirigée par François Bayrou.
Jusque-là, la droite et le centre se composaient de deux grands partis, le RPR (qui n’a rien à voir avec l’image nostalgo-dépressive du polémiste Éric Zemmour) et l’UDF, l’un d’origine gaulliste (mais déjà à l’époque, certains supposés "gardiens du temple" gaullistes considéraient que le RPR n’avait plus rien de gaulliste mais était avant tout chiraquien), et l’autre d’origine centriste avec trois grandes tendances historiques, les démocrates-chrétiens (MRP, Centre démocrate, CDP, CDS), les libéraux (ou indépendants : CNIP, RI, PR, DL) et les radicaux (ce grand et vieux parti radical et radical socialiste qui avait refusé l’union avec les communistes en 1972).
Ce regroupement avait un intérêt pour Jacques Chirac, celui de contrôler toute la majorité. Mais ce n’était pas l’intérêt de cette coalition pour le long terme, d’autant plus qu’elle avait déjà eu affaire à des partis vaguement dissidents (MPF de Philippe de Villiers, RPF de Charles Pasqua, etc.). Au lieu de ratisser large sur tout l’éventail de la droite dure au centre gauche, l’UMP n’a fait que garder un noyau dur en mécontentant toutes les autres sensibilités.
La situation du centre droit était donc devenue délicate : en 2007 avec la bonne tenue de la candidature de François Bayrou, l’UDF a éclaté en deux partis, le Nouveau centre (qui est resté dans une alliance traditionnelle avec la droite) et le MoDem de François Bayrou qui est allé jusqu’à voter pour François Hollande en 2012 (inefficacement puisque ce dernier a refusé tout signe d’ouverture, au point qu’il n’a même pas pu se représenter en 2017). En 2012, l’UDI fondé par Jean-Louis Borloo a cru pouvoir rassembler à nouveau tous les centristes mais Hervé Morin a créé la division en 2014 en ressortant de ce parti avec Les Centristes pour prendre son indépendance (plus proche de LR). Depuis 2017, de nombreux partis se sont créés à la lisière du centre droit et de la majorité présidentielle, ce qui est particulièrement compliqué à comprendre pour les électeurs. La vocation du nouveau parti créé par Édouard Philippe est de rassembler toutes ces chapelles (ce qui est peu réaliste) et surtout, de faire naître une nouvelle génération de personnes engagées en politique.
L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée sur sa gauche a évidemment fait exploser le PS (on ne sait même pas si le PS va maintenir une candidature à l’élection présidentielle de 2022), mais en gouvernant plus sur sa droite, en nommant à Matignon et dans de grands ministères (Économie et Finances, Intérieur) des personnalités issues de LR, Emmanuel Macron a également fait exploser LR.
Seul, le MoDem a bénéficié de cette majorité centrale et François Bayrou imaginait rassembler l’ensemble de la majorité (LREM, MoDem, partis périphériques issus de LR ou d’ailleurs) dans un grand parti démocrate à la française, permettant à LREM de s’associer à un véritable courant politique historique.
La démarche d’Édouard Philippe a donc contrecarré ce grand rassemblement démocrate. N’ayant pas honte de le dire, ce sera un parti et pas un club de réflexion, l’ancien Premier Ministre ne prépare pas l’élection présidentielle de 2027 (ce serait ridicule d’affirmer cela quand l’élection présidentielle n’est même pas encore survenue et que l’on sait que chaque élection présidentielle bouleverse considérablement le paysage politique).
L’objectif d’Édouard Philippe, c’est de structurer le centre droit favorable à Emmanuel Macron (le soutien au Président sortant pour 2022 est un élément essentiel) dans une optique d’en faire un véritable parti organisé et pas un mouvement plus ou moins personnelle et temporaire. L’idée est donc d’être un partenaire loyal et déterminé de la majorité présidentielle actuelle mais aussi de pouvoir accueillir les anciens ou actuels membres de LR un peu en déshérence, en gros, les sans parti fixe.
C’était donc avec cette démarche que Édouard Philippe a créé le samedi 9 octobre 2021, devant une assistance d’environ 3 000 personnes, dans sa ville du Havre, ce nouveau parti baptisé Horizons, Horizons au pluriel. Et avant de définir des hommes et des places, le maire du Havre a voulu d’abord définir les idées, les valeurs, ce qui va être le fondement idéologique de ce nouveau parti. Quatre enjeux, dix valeurs, et dix combats.
Tout d’abord, quatre enjeux principaux ont été définis, ce qu’il a appelé "vertiges" : la démographie, l’environnement, la géopolitique et la technologie. La première réflexion, c’est qu’est utilisé un vocabulaire pas forcément ordinaire pour donner ces enjeux politiques, à part l’environnement (ou l’écologie), passage obligé pour regarder l’avenir en face.
À ma connaissance, la dernière fois que la démographie a été évoquée politiquement était en mai 2021, quand François Bayrou, Haut-Commissaire au Plan, a rappelé son importance capitale dans le maintien de notre modèle social. Sans forte natalité ou croissance démographique, pas de modèle social français pérenne (c’est une simple question numérique : s’il y a plus de retraités que d’actifs, il n’y aura plus de pension de retraite décente, idem pour l’assurance-maladie).
Dans cet enjeu démographique, il y a évidemment l’immigration et cela correspond à l’un des combats énumérés, très équilibré : « Nous combattons les naïfs et les populistes de l’immigration qui estiment que la France est en situation d’accueillir toute la misère du monde ou, à l’inverse, font croire que le pays peut vivre en autarcie derrière des frontières étanches. ». On notera l’expression provenant de l’ancien Premier Ministre Michel Rocard de manière plus ou moins assumée.
L’environnement est un enjeu évidemment majeur mais peu original, même si la précampagne présidentielle semble peu se faire sur ce sujet (le pouvoir d’achat et l’immigration sembleraient des thèmes où il y aurait le plus d’attente de la part des électeurs). On retrouve ce thème dans les valeurs : « Nous défendons une ambition écologique pour la France, fondée sur les notions de progrès, de sobriété et de durabilité. ». En particulier, le nouveau parti proposera une politique de décarbonation de notre économie, la préservation de la biodiversité et un investissement massif dans les énergies et l’agriculture. C’est d’ailleurs intéressant de coupler les deux, car ce sont les deux grands domaines durablement impactés par la transformation écologique.
J’insiste encore une fois : les mots de vocabulaire sont renouvelés, l’expression réfléchie et rigoureuse (Édouard Philippe a toujours tenu, même à l’oral et à l’improviste, à employer les bons mots, le plus rigoureusement possible, ce qui évite aussi de "galvauder" certains mots ou expressions). Ainsi, cela permet d’exprimer des idées, des valeurs et des combats de manière particulièrement précise et rigoureuse.
Comme pour le troisième enjeu, la géopolitique. Il répond à ceux qui ont peur d’une perte de souveraineté ou d’indépendance nationales. On y retrouve, comme pour le quatrième enjeu (la technologie) la première valeur : « Nous avons pour ambition de construire une stratégie globale pour la France afin d’assurer sa compétitivité, sa prospérité et sa puissance sur le long terme. ». Mais aussi : « l’indépendance nationale dans un monde dangereux et instable, où la France doit conserver les moyens de rester maîtresse de son destin ». Et bien sûr : « Nous défendons le projet européen comme la voie de la prospérité et de la souveraineté de la France. Mais nous portons l’exigence d’une Europe plus respectueuse du principe de subsidiarité, de l’intérêt collectif des Européens et des choix fondamentaux du peuple français. ».
Le dernier enjeu, la technologie rappelle la France nation technologique, très à l’unisson d’Emmanuel Macron, avec l’objectif de préparer la France aux enjeux scientifiques et technologiques de demain (par exemple, éviter de renouveler l’incapacité à développer rapidement un vaccin comme l’a hélas montré l’Institut Pasteur).
Dans le manifeste du nouveau parti, il y a donc énumérés dix points positifs, des propositions constructives ("Nous défendons"), mais aussi, au risque de se définir par défaut, d’être négatif, dix points négatifs, ce que n’est pas ce parti ("Nous combattons"). J’en ai déjà cité quelques-uns plus haut.
De ces fondamentaux, il en ressort un courant politique à la fois centriste (décentralisateur, pour la justice sociale, voulant l’équilibre de comptes publics, etc.), très républicain (soutenant fermement la laïcité, l’ordre « meilleure garantie de la liberté et de la prospérité du pays » et un humanisme républicain, notamment pour l’éducation « objectif prioritaire de l’effort national ») et aussi libéral : « Nous défendons la liberté comme valeur cardinale de la République. ».
Cette foi au progrès tant social et technique s’exprime ainsi : « Nous croyons que la science et l’esprit des Lumières doivent éclairer toutes les politiques publiques et servir de fondement au débat démocratique. ». Et s’exprime aussi ainsi : « Nous croyons que la solidarité nationale est une chance et une nécessité, dont la contrepartie est la revalorisation du travail et du mérite comme piliers d’une société prospère et digne. ».
Dans les "combats", certains sont moins intellectuels et plus vagues, mais permettent de se situer dans l’échiquier politique. Au centre droit : « Nos combattons les extrêmes de tous bords qui dressent les Français les uns contre les autres en agitant les peurs et les mensonges. ». Parmi les pédagogues : « Nous combattons les démagogues qui abaissent la controverse démocratique à un jeu d’invectives et bannissent la raison et la mesure du débat public. ». Et encore plus pédagogues ainsi : « Nous combattons les fossoyeurs de l’universalisme républicain qui enferment l’individu dans des identités réductrices et sèment les ferments de la division et de l’inégalité. ». On voit tout de suite à qui cette phrase s’adresse.
Horizons combat aussi des lubies d’extrême gauche : la décroissance « ruineuse pour la pays et impuissante à répondre à l’urgence climatique », l’esprit de défaite, de repentance et de honte « qui méprise la grandeur du récit national et conduit à nier la possibilité d’une culture et d’une histoire communes, qui font la fierté française ».
Enfin, face à tous les démagogues qui voudraient casser nos institutions héritées du Général De Gaulle, le parti d’Édouard Philippe se place en défenseur intransigeant de la Constitution de la Cinquième République : « Nous défendons la démocratie représentative dans le cadre des institutions de la Ve République qui permettent à chaque citoyen de faire valoir son opinion tout en garantissant la force de gouverner du pouvoir exécutif. ».
Parmi les objectifs du nouveau parti Horizons, il y a aussi implicitement la volonté de rassembler ceux des adhérents de LR qui n’y retrouvent plus ses petits, écartelé qu’est cet ancien parti gouvernemental, entre les sirènes des extrémismes et le constat qu’Emmanuel Macron serait finalement son meilleur représentant.
Cette "nouvelle offre politique" va devoir être claire sur sa loyauté avec Emmanuel Macron, même si des représentants de LREM, du MoDem, de l’UDI, d’Agir (parlementaires issus de LR) et de la France audacieuse (créée par Christian Estrosi, maires et élus locaux issus de LR), étaient présents au Havre. Prendre ses marques : avec cette initiative audacieuse, Édouard Philippe a franchi le Rubicon, tout en voulant prendre une part active à la réélection d’Emmanuel Macron que son ancien Premier Ministre ne considère pas comme acquise. La suite prévue, c’est l’organisation d’un grand congrès fondateur en décembre 2021, peu avant la lancée de la campagne présidentielle …et de la Présidence française de l’Union Européenne.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 octobre 2021)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
De nouveaux Horizons avec les sans parti fixe du centre droit.
Édouard Philippe.
Le destin national d'Édouard Philippe.
Emmanuel Macron.
Jean Castex.
François Bayrou.
Jean-Louis Borloo.
Que va faire Édouard Philippe ?
Le grand atout d’Emmanuel Macron.
Antoine Rufenacht.
Alain Juppé.
5 ans d’En Marche.
Cédric Villani.
Alexandre Benalla.
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