Débat Cahuzac/Mélenchon : l’oligarchie contre le peuple
Hier soir avait lieu un débat d’anthologie attendu par beaucoup sur France 2, dans le cadre de l’émission Mots croisés. L’émission a fait l’objet d’une promotion alléchante de la part de la chaine : « gauche contre gauche », un spot tonitruant diffusé les jours précédant la diffusion, et un plateau digne d’un débat d’entre deux tours d’élection présidentielle. On nous promettait du sang et des larmes, on en a eu, mais pas grâce à celui qu’on aurait cru !
On a surtout eu droit à un véritable débat de fond, suivi par près de deux millions de personnes. Ce n’était pas simplement un débat entre deux gauches. Bien sûr, ça avait des airs de « Discours des deux méthodes » du XXIème siècle, à ceci près que Jérôme Cahuzac, bien qu’il ait prit soin de se revendiquer de Jaurès, se situait carrément en dehors du débat, de part ses positions politiques, laissant Jean-Luc Mélenchon incarner à lui seul Gesdes et Jaurès. Bref. En réalité on a plutôt eu droit à un débat entre deux mondes, entre deux conceptions de la société. Jérôme Cahuzac, rocardien de formation, fervent strauss-khanien, social-libéral assumé (il ne contestera pas cette étiquette que lui accolera JLM en début d’émission), totalement inféodé à la pensée unique néolibérale, a clairement défendu une conception passée de la société, de l’économie, du système capitaliste. Tellement sûr de lui, il a piteusement sombré en déniant à son contradicteur le droit de faire valoir la possibilité d’une politique économique différente de la sienne. Le véritable enjeu n’était pas de savoir si cet individu est ou non de gauche, mais bien de mettre en évidence que le Ministère délégué du Budget était hier soir un représentant du système économique, social et politique qui opprime le peuple au service des intérêts particuliers d’une oligarchie rabougrie.
JLM fair-play, Cahuzac hautain et insultant
Ce débat était fondamental, parce qu’il a permis d’évacuer les faux procès en appartenance à la gauche et d’aller réellement au fond des choses. On remarquera au passage que Jean-Luc Mélenchon, beau joueur, a évacué d’entrée de jeu les accusations de corruption dont Jérôme Cahuzac fait l’objet, renvoyant la question à la Justice pour ne pas s’égarer en vaine polémique. Ce fair-play a d’ailleurs mis Cahuzac mal à l’aise. Durant les cinq premières minutes de débat, on le voyait le regard fuyant, se grattant le visage ou se frottant les yeux.
D’ailleurs ce fair-play ne sera pas réciproque. Chassez le naturel, il revient au galop : Cahuzac retrouve renoue rapidement avec les aspects les plus détestables de sa personnalité, toisant Jean-Luc Mélenchon avec un regard méprisant ou un sourire narquois, le prenant de haut lorsqu’il prenait la parole. On a reconnu au passage le bon bourgeois sûr de lui et de sa compétence autoproclamée, irrespectueux et grossier. Cahuzac est très tôt malhonnête, affirmant que le PCF a voté avec l’UMP au Sénat pour rejeter le budget de la sécurité sociale. L’ancien candidat à l’élection présidentielle rétablira aussitôt la vérité, rappelant que c’est au contraire l’UMP qui avait voté une motion du groupe des sénateurs communistes. On passera les détails, mais pour une fois j’aurais bien aimé qu’on demande à la droite ce qu’elle pense de voter un texte soumis par le Parti communiste !
Mais ce n’était qu’un prélude ! Cahuzac ne tardera pas à sortir de ses gonds, balançant de manière totalement injustifiée un « arrêtez de faire le clown » en interrompant l’eurodéputé du Sud-ouest, qui accusait à juste titre la social-démocratie d’imposer la pire austérité partout en Europe. Une tentative de déstabilisation maladroite contre laquelle Jean-Luc Mélenchon a bien réagi, adoptant un air surpris et consterné puis finalement indigné, pointant du doigt l’arrogance insupportable de son contradicteur. C’est finalement celui qu’on aurait jugé être le plus raisonnable qui tentera d’abaisser le niveau du débat en employant l’insulte et le dénigrement. On s’en souviendra pour l’avenir.
Un débat technique qui a permis de souligner les véritables divergences
Le débat suit ensuite un cours normal. A tel point que beaucoup ont rapporté qu’il a ressemblé à un affrontement droite/gauche traditionnel. Les désaccords sur la politique à adopter face à la dette étaient connus, ils ont été pleinement assumés. On cherchera en vain chez Cahuzac une quelconque argumentation de gauche. Difficile, en effet, de se convaincre qu’un sacrifice en règle des services publics et de l’interventionnisme d’Etat au nom des fameux 3% de déficit public soit de nature à permettre aux générations futures d’avoir des conditions d’existence dignes. Mal à l’aise sur les questions européennes, le ministère du budget refuse de répondre sur le reniement de François Hollande concernant le vote du TSCG et préfère verser dans la mauvaise foi, accusant Jean-Luc Mélenchon de girouettisme en rappelant que celui-ci avait voté le traité de Maastricht avant de rejeter l’ensemble des traités européens écrits ensuite. Une accusation à laquelle le co-président du PG répondra sans complexes, faisant son autocritique et enjoignant, en vain, son contradicteur à faire la sienne. Mauvaise foi, encore une fois, lorsque Cahuzac a rappelé que la CSG avait été instituée sous le gouvernement Rocard, répondant à une objection affirmant que sous Mitterrand, il y avait 14 tranches d’impôt. Jean-Luc Mélenchon ne manquera pas une si belle occasion : et oui, M. Cahuzac, le gouvernement Rocard, c’était sous la présidence Mitterrand ! Pas de pot, du coup l’argument selon lequel la CSG compense mécaniquement la réduction des tranches d’impôt ne tient pas.
Si la question de la taxe différentielle a été évoquée, les désaccords à son sujet n’ont pas été assez saillants. L’eurdopté a été clair, affirmant qu’il fallait faire voter une loi permettant de taxer les exilés fiscaux, pour les contraindre à payer à la France ce qu’ils auraient dû lui payer s’ils étaient restés en France. Dommage de ne pas avoir plus insisté sur l’infâme Depardieu, tellement représentatif de ses riches apatrides qui n’ont pour seul compatriote que l’argent… Dommage également que l’émission n’ait pas permis de démonter plus clairement que non, le gouvernement n’a pas pris la résolution de taxer le capital au même niveau que le travail, bien que Jean-Luc Mélenchon ait démontré ses compétences en la matière au travers d’un échanges dont les termes savants ont dû échapper à pas mal de monde. Cela aura moins eu le mérite de ne pas permettre au Ministre du budget de noyer le poisson avec sa soi-disant supériorité technique.
Point d’orgue du débat, la brillante intervention de Jean-Luc Mélenchon en faveur des classes populaires permettra de mettre en évidence le vrai point de clivage. Jérôme Cahuzac apportera d’ailleurs la réponse qu’on attendait de lui, affirmant crânement qu’il ne suffit pas de s’indigner et que lui seul est réaliste et pragmatique. Arrêtons-nous sur les mots, parce qu’ils ont un sens. Le co-président du PG a planté le décor d’entrée de jeu : lui incarne l’éco-socialisme, la révolution citoyenne. Son contradicteur est au contraire assimilé, mot pour mot, à la « vieille gauche ». C’est tellement juste et tellement vrai. On a vu, au travers de ce débat, s’opposer un véritable homme politique, un tribun du peuple authentique, contre un bureaucrate austère, un oligarque qui se contrefiche des conditions d’existence du peuple et ne raisonne qu’en termes de chiffres et de jargon économique incompréhensible. Cahuzac s’égarera d’ailleurs à plusieurs reprises dans une série de digressions indigestes, Yves Calvi l’interrompant même pour prendre le soin d’expliquer à des téléspectateurs médusés ce que signifie le terme de « conjugalisation »… Le peuple jugera souverainement qui se soucie véritablement de son sort !
Une conclusion en point d’orgue
Le débat atteint finalement une conclusion intéressante. Citant la lutte des classes, Jean-Luc Mélenchon affirme son souci d’incarner les vraies valeurs de la gauche. Au contraire, Jérôme Cahuzac s’empresse de les renier, affirmant avec une assurance rare : « la lutte des classes, moi, je n’y ai jamais cru ». C’est dit ! Au passage il faudra que monsieur le ministre nous explique comment on fait pour être socialiste sans assumer la lutte des classes. C’est une aberration. Aberrante était également sa tentative d’assimiler le Front de gauche à Sarkozy, tous deux accusés de chercher à diviser les français. Oui, justement ! Le Front de gauche assume le fait de chercher à mobiliser les classes populaires contre l’oligarchie économico-financière, les nantis, la grande bourgeoisie capitaliste. Que diable ne le ferait-il pas ? Quel rapport avec la droite qui instrumentalise le racisme, la xénophobie, les problèmes d’insécurité publique pour alimenter la haine de son prochain ? Comment l’actuel gouvernement pourrait-il rassembler les français en maintenant en place le système de l’exploitation de l’homme par l’homme ? On attend toujours la réponse…
Je ne m’étendrais pas sur l’accusation suivante, qui a bien évidemment été préparée. En gros, Cahuzac estime que quand on est de gauche, on ne peut pas critiquer le gouvernement de gauche (sous entendant par-là que toute la gauche est au gouvernement). Eh oui mais quand on est de gauche, on critique les politiques de droite, y compris lorsqu’elles sont appliquées par un gouvernement prétendument de gauche, Monsieur Cahuzac ! Jean-Luc Mélenchon a ensuite nié une quelconque volonté de voir échouer ce gouvernement, ce qu’à mon sens il aurait dû au contraire assumer. Oui il faut que ce gouvernement échoue pour mettre fin à sa politique antisociale. Oui, le Front de gauche est prêt à prendre la relève et à balayer ces oligarques sociaux-libéraux qui n’ont cure du sort du peuple.
La conclusion sera à la hauteur des espérances. Cahuzac, confondant de suffisance, affirme crânement : « vous ne prendrez jamais le pouvoir parce que vous êtes un homme seul ». « Seul avec des millions », lui répondra Jean-Luc Mélenchon. L’un a de son côté l’oligarchie, l’autre le peuple. La messe est dite !
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