Décryptage de l’interview de Nicolas Sarkozy
Jeudi 24 avril, Nicolas Sarkozy s’est prêté une nouvelle fois, au jeu de l’interview télévisée, après une période de trêve de communication de près de quatre mois. L’enjeu était de taille, mais le Président s’en est très bien sorti, en tout cas, du point de vue de la communication.

Sa cote de popularité
est au plus bas et sa marge de manœuvre est désormais faible dans un
environnement économique mondial difficile.
A partir du moment où il
ne pouvait guère annoncer de grandes nouvelles susceptibles de
redresser sa cote d’amour ; il lui restait l’arme fatale de la
communication, la magie des mots, des formules et des métaphores. Et, sur ce terrain, l’ex-avocat excelle. A travers cette interview, N. Sarkozy a tenté de redessiner les contours de son profil.
Tactiquement, il s’est positionné comme :
- Le seul chef du gouvernement
Il n’a pas changé depuis la campagne électorale, il s’affirme
toujours comme le seul chef, l’unique responsable du gouvernement . On
aurait pu penser qu’en tant que président, il se positionnerait plutôt
comme un "animateur d’équipe".
Non, il n’a utilisé quasiment que la première personne pour commenter l’action du gouvernement et
jamais le « nous » collectif. Il s’est limité à évoquer le nom de quatre ministres associés aux réformes les plus emblématiques (J.-L. Borloo pour
les OGM, M. Hirsch pour le RSA, X. Bertrand pour la réforme de
l’éducation et V. Pecresse pour la Recherche). Et, même dans ces cas, il a évité le « nous », préférant
dire "je mène telle action en collaboration avec tel ministre... ". On notera qu’il a attendu les questions sur son Premier ministre pour réaffirmer sa confiance en lui.
Pour s’affirmer en grand chef, Sarkozy a également adopté la bonne
attitude. Il a contrôlé ses mouvements intempestifs, quoique, à la fin,
il s’est quelque peu relâché, gesticulant davantage sur son siège.
Mais globalement il a maintenu, une attitude digne s’efforçant de
limiter sa gestuelle.
Seuls quelques tressaillements de son épaule
gauche trahissaient sa nervosité, au départ. Puis, pendant la durée de
l’interview, il n’a pas pu se débarrasser d’un tic d’autoprotection :
la fermeture de sa veste. A chaque question délicate, il faisait le
geste de fermer sa veste, sans aller jusqu’à la boutonner. C’est comme
si sa veste lui servait de bouclier qu’il ajustait pour échapper au
tir des questions de ses interlocuteurs !
S’il s’est positionné
en seul vrai chef du gouvernement, il a veillé à ne pas apparaître
comme le « roi de la France ». Par deux fois, il a réfuté
les questions critiques de ses interlocuteurs, en arguant du fait,
qu’il n’était pas « le roi ». Sous-entendu « désolé, mais votre
objection ne tient pas la route, car elle impliquerait que je me
conduise en roi, que j’ignore la volonté du peuple, des députés, c’est
hors de question » !
Espérant ainsi se débarrasser du qualificatif qui lui est souvent associé : Sarko, le petit roi...
- Un homme courageux
Il a affirmé sa volonté de maintenir et même d’accélérer les réformes. En s’appuyant sur l’Histoire, il a démontré que l’impopularité était la marque des héros. Sous-entendu, pour être populaire, il ne faut rien réformer comme tous mes prédécesseurs.
Et, pour enfoncer le clou, il a rappelé la lourdeur de sa tâche, réparer trente ans d’inaction sur les grands problèmes, chômage, éducation...
- Un homme « humble » qui reconnaît des erreurs par cinq fois
D’entrée de jeu, il reconnaît qu’il a commis des erreurs, mais sans préciser lesquelles, ce qui affaiblit quelque peu son aveu.
Mais vite, il s’oriente sur l’aveu partiel « je porte une part de responsabilité » .
Il
finit par préciser ses erreurs et, là, on comprend qu’elles ne sont pas
gravissimes : il n’a pas commis d’erreur de fond, sa stratégie est
bonne, mais il a commis une erreur dans la forme. Il utilise l’argument
très pratique de l’erreur de communication, le manque de lisibilité et
de pédagogie.
L’autre erreur est encore plus pardonnable. A qui la faute des couacs du gouvernement ? A lui qui s’est montré trop tolérant à l’égard de ses jeunes ministres. On ne va pas plus lui jeter la pierre qu’à un papa un peu trop conciliant par rapport à ses enfants turbulents !
Ceci étant, l’opinion retiendra qu’il a plaidé coupable et, cela, elle l’apprécie, car c’est une tactique peu usitée par les hommes de pouvoir.
- Un visionnaire
N. Sarkozy a tenté, au départ, de valoriser ses capacités de vision à long terme. "Il a voté le paquet fiscal avant la crise des subprimes, l’envolée de l’euro et du baril de pétrole... ce faisant, il a pris des mesures qui ont permis d’amortir ces chocs économiques". Il n’est pas certain que cette démonstration quelque peu technique, pas assez illustrée par des exemples, ait convaincu le grand public.
- Un homme qui tient ses promesses
Ses promesses, il les tiendra toutes, nous dit-il en
substance, mais c’est l’horizon qui change. Le flou qui présidait au
moment de la campagne électorale et qui a laissé espérer qu’il
réglerait les problèmes de la France en quelques mois, a laissé place à
un engagement plus précis, et plus lointain : rendez vous dans quatre ans, à la fin de mon mandat. De quoi faire reculer quelque peu l’impatience des Français et la pression sur son gouvernement.
Il tient ses promesses, aussi parce qu’il reste fidèle à ses valeurs : il a réaffirmé à plusieurs reprises que la réhabilitation du travail restait la valeur clé de son action.
- Un pédagogue
C’est surtout en tant que pédagogue qu’il s’est affirmé au cours de l’interview. D’ailleurs l’expression « je vais m’en expliquer » fait partie des gimmicks de cette interview.
Il
a rappelé ainsi que le RMI et les autres formes d’assistanat, ce sont
les Français qui les financent. Une manière de calmer les ardeurs des
Français en matière de solidarité et d’assistanat ? On retrouve sa
tactique électorale, diviser pour régner : opposer ceux qui se lèvent
tôt et qui payent pour les autres, aux assistés. Quelques soupirs,
quelques silences travaillés et formules empathiques permettent de
faire passer la pilule amère de cette dure vérité.
Il a aussi
insisté sur le fait que les droits s’accompagnaient de devoirs
(chômeurs, RSA...). On retrouve le bon sens populaire, l’injonction
parentale ancestrale, difficile à contester.
Enfin, en pédagogue, il
a essayé de balayer le reproche qui lui est fait quant au rythme
effréné des réformes. Tout se tient, explique-t-il démontrant par des
exemples à l’appui que les problèmes se tiennent, il faut donc les
régler en même temps.
- Une victime
N. Sarkozy n’a pas hésité à se positionner en victime. Victime d’un contexte économique dramatique. Mais aussi victime d’un système capitaliste qui marche sur la tête. Il n’a pas pu s’empêcher de désigner quelques boucs émissaires, espérant diriger la colère du peuple français sur d’autres cibles : les
distributeurs français qui montent plus les prix que leurs voisins
européens, les spéculateurs, les banquiers, les salles de marché, les
agences de notation. Sans oublier les méchants inspecteurs de finance,
à la tête des fonds de pension, qui plus est, précise-t-il : jeunes et
brillants !
Enfin, le tableau des « affreux » ne serait pas
complet sans les « trafiquants », les grands gagnants d’une
régularisation globale des sans-papier, étant donné « l’appel d’air »
que créerait cette décision !
- Un homme sensible et généreux
N. Sarkozy a démontré ses capacités d’empathie avec ceux qui souffrent, ceux qui sont confrontés à des problèmes graves de pouvoir d’achat, à l’Alzheimer, à la difficulté de se réinsérer, les sans-papiers, les femmes qui sont « lapidées »... il a su trouver les mots ou, plutôt, reprendre à son compte les expressions qu’utilisent ces personnes « en souffrance » pour exprimer son émotion appliquant une recette qui lui a réussi pendant la campagne. Et c’est sur ce terrain du « social » qu’il a livré le seul scoop de la soirée : l’annonce de la généralisation du RSA.
- Un Zorro
Tel Zorro, N. Sarkozy ne renonce pas à sauver celle qu’il qualifie lui-même de « martyre » : Ingrid Betancourt. C’est aussi en Zorro qu’il espère réussir là où tout le monde a échoué : réinstaurer le dialogue entre les Chinois et le Dalaï-Lama.
Tout en reconnaissant que, dans les deux cas, la tâche est rude, il apparaît en Don Quichotte des temps modernes. Et cela aussi les Français aiment bien en général.
Sur le plan des techniques d’argumentation utilisées, il a recours à ses ficelles habituelles, qui lui permettent de balader les journalistes et de rester maître de l’interview :
- Il se pose des questions à lui-même, dès le début, il s’interroge : comment expliquer cette situation ? et si le journaliste oublie de lui poser une question qu’il souhaite aborder, il croit l’entendre : ainsi, il croit que D. Pujadas l’interroge implicitement sur le paquet fiscal !
- Il ne répond jamais à la question du journaliste, telle qu’elle est posée, mais se limite à rebondir sur un mot-clé de la question : à la question "le paquet fiscal, c’était pour les classes favorisées" ? Il ne tombe pas dans le piège de reprendre à son compte le terme « classe favorisée » même pour le contester. Il préfère rebondir sur le mot-clé « paquet fiscal » et expliquer l’enjeu de cette réforme. Il évite donc de répondre sur la défensive.
- Pour argumenter, il illustre souvent son propos par des exemples. C’est le cas, pour expliquer comment on peut réduire le quota de professeurs sans que la qualité de l’enseignement n’en pâtisse (moins d’horaires en primaire, moins d’élèves...).
- Il met ses interlocuteurs face à leurs contradictions : il faudrait savoir "est-ce que je ne fais pas assez de réformes ou est-ce que j’en fais trop " ou encore "est ce que je dépense trop ou pas assez pour réformer " ou encore "est-ce que je me mêle de tout ou pas assez " ?
- Il cite des personnes qui font autorité pour crédibiliser ses propos, de Gaulle sur la reconnaissance de la Chine. Et même ses opposants, tels M. Rocard pour justifier le fait que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Pour l’opposition, cela sera plus difficile de mettre en cause sa position sur les sans-papiers.
Au final, cette interview est sans conteste un exercice de communication réussi, suffira-t-il pour autant à renverser la courbe de popularité ? Pas certain, dans un contexte de crise, c’est sur le langage de l’action surtout qu’on juge les dirigeants. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer la force du verbe, car la confiance, c’est d’abord une question d’ordre émotionnel.
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