Démocrate ou conservateur ? Le seul clivage politique qui ait du sens
Empétrée dans un clivage politique qui n’a aucune substance réelle, aucune pertinence idéologique (le clivage gauche / droite, et par extension, de plus en plus, pro-libéral / anti-libéral), notre société ne voit plus la seule vraie menace qui la met en péril : la montée des conservatismes. Jetant sur l’opinion, par le biais des médias, un voile obscure sur ce qu’ils sont et sur ce qu’ils veulent réellement (ce voile étant le clivage gauche / droite actuel), les conservateurs prospèrent, s’auto-alimentent et s’attaquent aux fondements meme de la Démocratie républicaine. Notre société doit donc ouvrir les yeux sur la Réalité, rompre avec les discours "providentiels" qui polluent le débat politique à droite et à gauche, pour admettre, en fin de compte, que le seul vrai clivage qui soit est celui qui oppose les Démocrates aux conservateurs.
Qu’est-ce que le « conservatisme » ? Notion ambiguë et controversée, parce qu’ayant connu, selon les pays, des destins et des évolutions sensiblement différents, il n’est pas évident d’en proposer une définition universellement consensuelle. Car meme s’il est incontestable que le « conservatisme » incarne un courant politique et intellectuel influent, force est de reconnaître qu’aujourd’hui, il est porté, dans le monde, par des représentants dont l’histoire, les intérets, les valeurs et les alliances sont loin d’etre toujours les memes. Ainsi, le conservatisme américain est distinct sur bien des points du conservatisme français ; et les différences sont encore plus évidentes dès lors que l’on compare les conservatismes occidentaux aux conservatismes du reste du monde.
Pour autant, l’hétérogénéité des « conservatismes » contemporains ne disqualifie pas le « conservatisme » en tant que doctrine. Il existe, malgré les apparences, une certaine constance, une certaine unité, une certaine autonomie dans le projet de société qui est véhiculé par les conservateurs partout où ils se trouvent : il s’agit avant tout de défendre les ordres politique, social, moral (et donc juridique et institutionnel) traditionnels contre les évolutions de la « Modernité ». Selon l’expression de Karl Mannheim, le « conservatisme » est le « traditionalisme devenu conscient », c’est-à-dire la revendication assumée de maintenir le système dans la matrice des valeurs, des croyances et des règles qui placent l’individu à l’extérieur du processus de développement collectif.
En effet pour le mouvement « conservateur », l’exercice du pouvoir – en tout cas son efficacité - n’est pas compatible avec la philosophie démocratique. Car pour etre efficace, le pouvoir doit s’exercer indépendamment des passions et des volontés humaines, par le biais d’un « gardien » qui assure l’application à tous les individus des règles et des valeurs qui découlent d’un « ordre » (politique, moral, institutionnel…) qui, dans ses origines et ses finalités, transcende aussi bien la condition individuelle que la société des hommes à un moment donné.
Burke écrivait « l’individu est sot (…) mais l’espèce humaine est sage ». En d’autres termes, pour les conservateurs, l’individu n’est pas un etre de « juste raison » et il ne peut, en conséquence, prétendre à piloter le développement de la communauté humaine. Il doit donc etre encadré, soutenu, et guidé afin d’éviter à la société qu’elle ne soit victime des défaillances morales, comportementales et intellectuelles des individus. Or seule la « Providence » - incarnée par un « Chef », un « leader » qui a renoncé à son identité d’individu pour se donner entièrement à la défense des intérets supérieurs de la collectivité - est en mesure de jouer ce role. Et ce sont l’Histoire, les traditions et les coutumes qui inspirent, en fin de compte, l’essence de la « Providence ».
S’agissant de la France (et sans doute, dans une moindre mesure, des autres pays occidentaux), le « conservatisme » contemporain prend initialement racine dans la contestation de l’idéal révolutionnaire de 1789. La philosophie des Lumières, les Droits de l’Homme, l’ordre démocratique, l’émancipation laique… bref, l’idée générale – à vocation universelle – selon laquelle l’individu est l’acteur direct, exclusif, de son destin et du destin de l’Humanité est une hérésie aux yeux des conservateurs « contre-révolutionnaires ».
Mais, paradoxe de l’Histoire, un second « conservatisme » est né postérieurement à la Révolution française, qui puise ses sources dans un système de valeurs et de traditions légèrement différent de celui des « contre-révolutionnaires » : le « conservatisme social ». Convaincus, comme les autres, que la Révolution française n’a pas été un progrès pour l’Humanité (puisqu’elle n’a fait que substituer les bourgeois aux aristocrates dans l’exercice du pouvoir, sans remettre en cause le mécanisme fondamental de domination exercé par certaines classes sociales sur les autres), les « conservateurs sociaux » ne partagent toutefois pas – ou moins – la rhétorique de « l’Homme providentiel », pas plus que le culte des valeurs et des traditions hérités de l’Ancien régime. Pour autant, ils défendent avec la meme force de conviction les valeurs et les traditions qui sont nées au XIXe siècle, au moment de la « révolution industrielle », dans le sillon des idéologies post-marxistes. Or ces valeurs et ces traditions ont été dépassées par la « Modernité » au XXe siècle. Dans le meme esprit de convergence avec les autres conservateurs, l’idéal démocratique n’est pas, pour les « conservateurs sociaux », défendable puisqu’il suppose une société dont les expressions politiques sont individualisées, alors que les « conservateurs sociaux » aspirent au contraire au collectivisme et à l’uniformité des comportements et des convictions au nom de l’Egalitarisme et des intérets supérieurs de la collectivité.
Il existe donc, en France en tout cas, deux courants conservateurs qui ne sont finalement pas si éloignés que cela. Les « conservateurs contre-révolutionnaires » et les « conservateurs sociaux » appuient effectivement leurs doctrines et leurs actions respectives sur deux systèmes de valeurs et de traditions différents, mais ils partagent la meme aversion pour l’idéal démocratique et le role politique de l’individu, et ils se réfèrent ensemble au caractère transcendantal de l’Histoire (pour les premiers : le retour à l’ordre providentiel ; pour les seconds : la fin de la lutte des classes grace au collectivisme).
Récemment, une nouvelle distinction s’est néanmoins instillée entre eux qui brouille (sans la nier) un peu plus encore la filiation idéologique qui unit ces deux familles conservatrices. Sur le modèle des conservateurs américains, les « conservateurs contre-révolutionnaires » français se sont en effet engagés, pour l’élection de Nicolas Sarkozy, dans une alliance paradoxale avec les « libertariens » (les plus ultras des libéraux). Or « traditionnellement », les conservateurs – quels qu’ils soient – étaient hostiles aux idées libérales puisque ce sont elles qui, avec les idées démocrates, ont engendré la Révolution française.
Cette alliance « contre nature » – dont, du reste, la crise financière actuelle révèle les imperfections puisque les « conservateurs contre-révolutionnaires » pronent, aujourd’hui, le retour de l’interventionnisme étatique en vue d’établir une éthique « providentielle » du capitalisme – s’explique évidemment par une communauté d’intérêt : la montée en puissance, dans les sociétés occidentales, de la social-démocratie implique à la fois la progression des idéaux démocratiques (hérésie conservatrice) et de l’interventionnisme social (hérésie libertarienne). L’Union des forces anti-social-démocrates trouve ici sa seule justification. Mais cette alliance contribue surtout à revaloriser le « conservatisme social » qui, dans un contexte politique obnubilé par le débat « pour ou contre le libéralisme », apparaît finalement comme étant le dernier rempart (ou en tout cas le plus pur) contre le système capitaliste. Olivier Besancenot l’a d’ailleurs fort bien compris, et il n’y a aucune surprise à constater, de la part des populations les plus exposées aux abus du capitalisme, leur engouement pour la création du nouveau « Parti anti-capitaliste ».
Il n’en demeure pas moins que le clivage franco-français « pro-libéralisme et anti-libéralisme », autour duquel, hélas, se fige de plus en plus le clivage « gauche-droite », est un mirage, une non réponse aux enjeux sociaux, environnementaux, économiques, institutionnels actuels, un masque derrière lequel se cachent les véritables menaces pour la société. Pire, il est l’arme médiatique par le biais duquel les conservatismes prospèrent, contre la démocratie, et contre les libertés individuelles, dans l’indifférence générale.
Qu’il faille réguler le Marché est une évidence. L’exigence éthique est une constante politique qui, lorsqu’elle est appliquée, permet à l’économie de marché de se développer dans le respect des Hommes et de leur environnement. C’est ce que prouve, chaque jour, l’ensemble de l’Economie sociale et de l’Economie verte, de sorte que la question n’est pas de savoir si l’éthique est compatible avec le libéralisme et le capitalisme (puisque de fait, elle l’est).
En revanche, la question est de savoir comment l’exigence éthique prend forme et s’applique dans nos sociétés. Doit-il s’agir d’une éthique qui nous est imposée, malgré nous, par l’Histoire, les traditions et les coutumes (pré-révolutionnaires, ou post-marxistes) ? Doit-il s’agir d’une éthique fondée sur les valeurs morales véhiculées par le phénomène religieux, c’est-à-dire encore une fois d’un « ordre idéal » qui nous dépasse ? Ou doit-il s’agir d’une éthique qui est fille de la participation de chacun au processus de décision, c’est-à-dire qui est le reflet de la Démocratie et de ses principes structurants (transparence, information, débat contradictoire, principe majoritaire, contre-pouvoirs…) ?
En d’autres termes, faut-il se satisfaire – ou se désintéresser, au nom du clivage « pro-libéral, anti-libéral » - d’une République qui pratique au quotidien les collusions d’intérêt entre l’élite politique et l’élite industrielle, qui refuse de reconnaître au pouvoir judiciaire son role de contre-pouvoir institutionnel, qui organise la censure et la rétention des informations, qui décide sans consulter le Peuple, qui mène une fronde dévastatrice contre les principes fondateurs de notre Démocratie (principe de Laicité, respect des libertés de l’intime, solidarité nationale, diversité culturelle…) ?
Non. Le clivage politique réel n’est pas celui qui oppose les anti-libéraux aux pro-libéraux. Il n’est meme pas celui qui oppose la gauche à la droite (si tant est que ces termes ont un vrai sens, une vraie cohésion, au-delà des discours médiatiques et politiquement correct). Le clivage politique réel est celui qui oppose les Démocrates aux conservateurs (« contre révolutionnaires » et « sociaux »). C’est bien la prééminence des seconds sur les premiers qui ronge, comme un cancer, l’idéal Républicain qui constitue le socle de notre contrat social. Et c’est la raison pour laquelle les Démocrates sont si farouchement militants d’une 6e République.
L’Homme est libre contre la Providence. L’Homme a des Droits, dont le premier est de participer directement à son développement et au développement de l’Humanité. L’Homme est doté d’un libre-arbitre qui s’oppose au déterminisme, et qui lui donne la capacité de tourner les pages de son Histoire afin d’en écrire de nouvelles, plus belles et plus humaines que les précédentes.
Il est urgent que les Démocrates se rassemblent pour défendre ce projet de société, contre tous les conservatismes, de droite, de gauche ou d’ailleurs. Il n’y a pas d’autre intéret général plus important à garantir que celui-là, car de lui découle tous les autres.
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