Démocratie ou médiocratie, nous avons le choix !
La progression de la délinquance des mineurs suscite des discours politiques partisans et contradictoires. Ils témoignent de la déliquescence de notre fonctionnement démocratique, dont Pierre Rosanvalon parle dans son dernier livre, « La contre-démocratie ». Entre des médiocrates, manipulateurs d’opinion, et des démocrates, organisateurs du vécu commun, nous allons devoir choisir en 2007...
Nous sommes encore nombreux à croire aux déclarations rassurantes des responsables politiques à propos de la maîtrise de la délinquance. Pourtant, les vols avec violences ont augmenté de 120 % entre 1990 et 2005, dont plus 5 % entre 2004 et 2005, pour atteindre 118 000 actes par an. L’accroissement de la délinquance des mineurs est aussi significatif (+ 12 % entre 2000 et 2005). Cette dernière année, la police a enquêté sur 194 000 jeunes, ce qui est relativement peu par rapport aux 8 millions de 13/25 ans. (1)
A l’époque du développement du progrès scientifique et technologique, du bien-être consumériste et des profits records des entreprises du CAC 40, quelque chose ne tourne donc pas rond ! Pourquoi tant d’incivilités, de vandalisme, d’émeutes ou d’actes délictueux, alors que le travail et le respect d’un minimum de règles communes permettent de profiter de bienfaits de ce monde ? Pourquoi tant de jeunes, de milieux essentiellement défavorisés, sont-ils en rupture de liens sociaux usuellement admis ?
Des réponses nous sont proposées par diverses personnalités responsables des territoires perturbés : la faute de magistrats débordés ou laxistes, le manque de moyens de la justice et de la police qui n’a élucidé que 11 % de la délinquance de la voie publique en 2005, les familles qui baisseraient les bras face à leurs enfants trublions, les professeurs qui négligeraient leur mission. Bref, que et qui devons-nous croire ? Chacun se rejette la responsabilité de situations qui, de près ou de loin, nous concernent pourtant tous. En effet, d’une part nous pourrions un jour ou l’autre être agressé, d’autre part nous payons des impôts qui servent à prévenir ou à lutter contre cette délinquance.
Mon voisin, sûr de son jugement, n’a pas hésité à reprendre ces allégations en souhaitant l’élection d’un homme aux convictions affirmées et à la poigne vigoureuse. Devant tant d’assurance, je lui demandais ce qui lui permettait d’affirmer que la délinquance en Seine-Saint-Denis découlait des carences de la justice. Il se contenta de me citer le journal télévisé. Et il acquiesça à l’idée que, pour en discuter sereinement, il aurait fallu comparer le bilan officiel du fonctionnement du Tribunal de Bobigny à celui de tribunaux similaires.
Je lui parlais ensuite d’un journaliste de France-Inter qui estimait dernièrement que certains politiciens, aux intentions à peine voilées, cherchaient à séduire l’opinion publique en attaquant les institutions. En d’autres temps, avec une stratégie à peine différente, certains candidats électoraux n’avaient-ils pas atteint leur objectif en manipulant sciemment l’opinion avec un sentiment confus d’insécurité ? Mon voisin consentit que la déstabilisation politicienne des institutions, déjà mises à mal par l’évolution socio-économique nationale et internationale, était une erreur. La défiance grandissante, le repli individualiste ou communautaire et la confusion dans les perspectives d’avenir n’en seraient que renforcés, au détriment d’un courage collectif face à des réformes reconnues nécessaires par une large majorité.
Alors, devons-nous continuer de croire aux discours politiques dominants quand ceux-ci critiquent et condamnent sans explication sensée ? La démagogie ne fait pas honneur à l’idée d’une démocratie responsable. Avec Pierre Rosanvalon, du Collège de France (2), dénonçons ce glissement nuisible d’une démocratie de projet vers une démocratie d’opinion. Cette médiocratie populiste ne nous permettra pas de relever les défis présents et futurs, car elle conforte des idées simplistes et divise, là où nous devrions nous serrer les coudes. Des médiocrates manipulateurs d’opinion ou des démocrates organisateurs de nos droits et nos devoirs, qui souhaitons-nous vraiment élire pour nous coordonner et nous représenter à partir de 2007 ?
(1) Entretien avec Didier Peyrat, magistrat, dans Le Monde du 10/11 septembre 2006
(2) Entretien avec Pierre Rosanvalon, Les Matins de France Culture le 25 septembre 2006, auteur du livre La contre-démocratie ( Seuil).
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