Départements : les grandes manœuvres
On le sait, le Département, collectivité territoriale, a pour l’instant sauvé sa tête, en l’absence d’une réforme gouvernementale courageuse tenant compte de l’obsolescence de cette collectivité face à la montée en puissance des intercommunalités.
Les barons locaux n’y sont pas pour rien, en particulier ceux du parti socialiste qui ont ferraillé pour conserver leurs mandats, leurs cumuls et leurs espoirs de faire carrière.
Afin de faire passer la pilule, il fallait bien donner un coup de jeune à l’organisation du Conseil Général qui administre cette collectivité, en l’absence de réforme touchant au fond sur les compétences. C’est chose faite depuis l’adoption par les députés d’une loi le 17 avril dernier.
Premier changement, le Conseil Général s’appellera désormais Conseil Départemental. On saluera cette nouvelle dénomination qui ne change rien mais qui clarifie un peu les choses en se demandant toutefois pourquoi elle n’a pas été adoptée plus tôt.
Second point, les électeurs éliront au Conseil Départemental un binôme homme/femme dans chaque canton.
Troisième point, conséquence du précédent, le nombre de canton sera divisé par deux.
Hormis le changement de nom, mesure cosmétique qui n’entraîne aucune conséquence mais qui éveillera peut être l’attention de l’électeur qui a tendance à déserter les urnes, ce sont les deux points suivants qui méritent notre attention.
Le binôme homme/femme : cette mesure a été annoncée comme une grande victoire pour la parité. Puisque cette parité semble impossible à obtenir dans les assemblées parlementaires, les députés l’imposent dans une assemblée locale où le risque de voir les caciques déboulonnés de leurs sièges porte moins à conséquence.
Cette mesure, qui s’applique à une Assemblée locale en perte de vitesse, porte en elle-même des difficultés à venir : Une fois l’élection acquise, les deux candidats du binôme exerceront leurs mandats de façon individuelle, ce qui veut dire qu’élus sur un programme, le binôme homme/femme représentant un territoire pourra avoir une approche différente des choses. On imagine très bien que l’homme et la femme représentant un canton mais originaires chacun d’un endroit différent de celui-ci puissent ne pas être d’accord sur la localisation d’un projet proposé par le Conseil Départemental. Il en ira alors comme pour les couples ordinaires, c'est-à-dire un desserrement des liens, voire un divorce, ce qui ne sera pas sans effets sur la descendance (les électeurs) et l’image de l’institution.
Le redécoupage des cantons : Désormais, et afin de conserver un nombre identique de conseillers départementaux, compte tenu de l’élection d’un binôme homme/femme dans chaque canton, le nombre de cantons sera divisé par deux dans chaque département, ce qui implique un redécoupage.
C’est vrai que la situation actuelle était inéquitable. En secteur rural, par exemple, 4000 électeurs suffisaient pour élire un conseiller, alors qu’il en fallait parfois 40 000 dans le même département pour en élire un en zone urbaine, d’où une surreprésentation du secteur rural avec des conséquences induites pour les élections sénatoriales.
C’est bien sûr le point sensible, puisque des hommes élus, n’ayant pas démérité dans l’exercice de leur mandat, ne retrouveront pas systématiquement un siège du fait de la diminution du nombre de cantons et de la parité exigée. Par ailleurs, en pratique, les écarts de population constatée entre canton (de 4000 à 40 000, dans mon exemple), devront être gommés, ce qui représente une petite révolution.
Certains s’élèvent déjà contre le déséquilibre qui s’ensuivra au désavantage des territoires ruraux, alors même qu’on ne les aura jamais entendus se plaindre auparavant de la sous représentation des zones urbaines.
Au-delà même de la question du découpage cantonal, c’est la question même de l’existence du maintien de cette circonscription cantonale obsolète, largement ignorée des électeurs, en particuliers en zone urbaine. N’aurait-il mieux pas valu, si l’on voulait redorer le blason du Département passer à un autre mode de scrutin sur la circonscription départementale toute entière ?
Autre difficulté liée au redécoupage cantonal, la cohérence des territoires, et là il faut bien reconnaître que l’équation est difficile à résoudre. Certains élus actuels plaident pour un découpage en cohérence avec les intercommunalités existantes qui elles-mêmes en manquent, de cohérence, compte tenu du fait que leurs périmètres ont souvent été délimités par rapport à des considérations politiques et non de territoires et de bassins de vie.
Pourquoi, dès lors rechercher une cohérence entre les nouveaux cantons et les intercommunalités ?
Tout simplement, parce que les Départements, autrefois pourvoyeur de subventions et tutelle de fait pour les communes, ont perdu de leur superbe avec l’émergence des intercommunalités. Bien souvent aujourd’hui, les subventions globales et leurs conditions d’utilisation sont discutées âprement entre le Département et les intercommunalités alors qu’auparavant, les communes bénéficiaires individuellement s’inclinaient respectueusement devant le Conseiller Général qui avait réussi à leur décrocher une subvention pour la rénovation du toit de l’église.
Cette question du redécoupage est donc centrale et on peut imaginer les difficultés liées à des cantons nouveaux à cheval sur deux intercommunalités, le binôme homme/femme étant lui-même issu de chacune des deux intercommunalités.
Au final, ces mesures concernant le Département s’assimilent plutôt à des soins palliatifs qu’à un renouveau de cette collectivité, compte tenu des difficultés qui seront rencontrées dans l’application pratique de cette réforme.
Le poids des agglomérations urbaines se trouvera renforcé et on ne tardera pas à en constater les effets induits pour le Département, notamment dans ceux dont les chefs lieux pourront bénéficier du statut nouveau de Métropole.
Le Département est donc condamné à moyen terme. On pourra regretter que le courage politique ait manqué pour mettre fin plus rapidement à son agonie.
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