Détentions arbitraires et criminalisation des revendications sociales au Mexique : le cas emblématique de Mario González
Si la répression des mouvements sociaux n’est pas un fait récent au Mexique, on assiste ces dernières années à une recrudescence de la violence et à une répression systématique des revendications de la société civile se traduisant en la stigmatisation des travailleurs sociaux, des organisations de défense des Droits de l’Homme, des journalistes et autres militants politiques.
Le 2 octobre 2013 comme chaque année à Mexico, des milliers de mexicains descendirent dans la rue pour commémorer le massacre étudiant de Tlatelolco en 1968.
Parmi les manifestants, des collectifs étudiants, des travailleurs sociaux, des organisations de défense des Droits de l’Homme et des journalistes revendiquant, à 45 ans du massacre, la fin de l’impunité et que soit enfin jugés les responsables de la tuerie de Tlatelolco ; mais souhaitant aussi dénoncer la constante et violente répression des mouvements de revendications sociales dans le pays.
Dans ce contexte tendu, la commémoration encadrée par un important dispositif policier a rapidement dégénérée et s’est muée en un affrontement entre les manifestants et les forces de police.
D’après le témoignage d’un Observateur des Droits de l’Homme de la Limeddh (Liga Mexicana por la Defensa de los Derechos Humanos), les premières hostilités ont eu lieu à hauteur de la sortie de métro Hidalgo dans le Centre Historique lorsque les « granaderos » (CRS grenadiers) ont commencé à insulter les manifestants, ce qui a provoqué un premier affrontement et un échange de jets de pierre et de gaz lacrymogènes. S’ensuivit un second affrontement entre un groupe d’une cinquantaine de manifestants et environ 200 policiers à quelques rues du Métro Hidalgo, puis un troisième.
L’observateur des Droits de l’Homme interrogé souligne de plus la présence de policiers en civil au sein de la manifestation, des policiers qui, déguisés en manifestants, simulèrent des provocations face aux forces de polices en uniformes ce qui conduisit à un nouvel affrontement.
Au final, les chiffres officiels du Gouvernement Fédéral de la ville de Mexico font état de 102 arrestations et d’une trentaine de blessés. L’organisation de défense des Droits de l’Homme, Comité Cerezo Mexico, dénonce quant à elle une cinquantaine de blessés.
Ce même jour du 2 octobre 2013, Jorge Mario Gonzalez Garcia, étudiant à l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM) et militant actif contre la réforme éducative du gouvernement Peña Nieto fut arrêté avec 10 autres personnes lors d’une descente policière dans un autobus du Centre Historique de Mexico, alors qu’il se rendait à la manifestation.
Suite à cette arrestation où les détenus furent violentés par les forces de police, Mario Gonzalez et les autres étudiants furent portés disparus durant environ quatre heures avant de subir une garde à vue de 36 heures à l’Agence 44 du Ministère Public d’Iztapalapa. Malgré une accusation pénale de délit mineur et la possibilité d’être libéré sous caution, Mario fut ensuite transféré avec 6 autres détenus au « Reclusorio Norte » de Mexico où les fonctionnaires de police l’obligèrent à rendre sa déposition sans la présence d’un avocat et dans un lieu différent du tribunal assigné.
Le 7 octobre 2013, la juge en charge du dossier fixa la caution de Mario Gonzalez à une somme de 130 000 pesos mexicains, et du fait du paiement de la caution, accepta sa libération. Néanmoins, la même juge révoqua la libération le lendemain, par le biais de nouveaux chefs d’accusations attestant que « Mario Gonzalez était socialement dangereux et représentait un danger pour la sécurité publique ».
Suite à ce revirement de situation, ce dernier commença une grève de la faim de cinquante six jours durant laquelle il perdit seize kilos. Pendant cette période, il subit de mauvais traitements et des pressions de la part de ses geôliers. Il fut entre autres privé d’eau et de lumière durant plusieurs jours, souffrit d’isolement total (restriction des visites, interdiction de téléphoner…), des informations contradictoires sur son état de santé lui furent communiquées, il fut torturé physiquement et psychologiquement.
Malgré la grève de la faim, la mobilisation de sa famille et d’organisations de défense des Droits de l’Homme à échelle nationale et internationale, Mario Gonzalez fut condamné en janvier 2014 à cinq ans et neuf mois de prison ferme. Le recours en appel de mars 2014 confirma la sentence.
D’un point de vue strictement juridique, les faits imputés à Marion Gonzalez restent vagues. Les dénominations « personne socialement dangereuse » et « danger pour la sécurité publique » visent avant tout son implication au sein de mouvements étudiants contestataires et ses liens avec des mouvements politiques anarchistes. De plus, la justice mexicaine considère un antécédent de vol ayant eu lieu en avril 2013, antécédent qualifié comme délit mineur en matière pénale et dont la peine a déjà été purgée. Enfin, la révocation de la libération sous caution s’appuie en particulier sur le fait que Mario Gonzalez étant originaire d’un autre état, il aurait pu se soustraire à la justice fédérale de la ville de Mexico.
Au sein du processus judiciaire, les irrégularités restent criantes. L’arrestation du 2 octobre eut lieu sans délit avéré, les preuves reposant exclusivement sur le témoignage des forces de polices impliquées dans l’arrestation et ces témoignages s’avérant contradictoires. Après son arrestation, Mario Gonzalez fut porté disparu durant quatre heures, sa déposition lui fut extorquée sans la présence d’un avocat même commis d’office, sans en avertir sa famille ou ses proches et dans un endroit différent de celui normalement assigné du fait de la qualification du délit et du lieu de l’arrestation. A ces irrégularités s’ajoutent le non respect de ses droits fondamentaux, et l’utilisation de la torture physique et psychologique.
Parmi tant d’autres, la détention de Mario Gonzalez illustre les tendances politiques mexicaines vis-à-vis des mouvements sociaux.
Depuis les années 2000, le Mexique a adopté la politique de sécurité publique dite « de la tolérance 0 », inspirée des politiques sécuritaires de l’ancien maire new yorkais Rudolf Giuliani, et d’un point de vue idéologique d’un Think Tank d’obédience néolibérale et conservatrice, l’Institut Manhattan.
Au Mexique, l’initiative de la « tolérance 0 » incombe à l’homme d’affaire multimilliardaire Carlos Slim et représente ainsi l’implication de l’élite néolibérale et conservatrice du pays et l’appui du grand patronat dans la mise en place de politiques publiques. Au sein du contexte mexicain, la sécurité publique représente avant tout « une chasse au pauvre », le musèlement de la jeunesse et la restriction totale du dialogue social tout en omettant les poursuites vis-à-vis, entre autres, de la corruption ou de la malversation de fonds publics.
Depuis le mandat présidentiel de Felipe Calderón (2006/2012) et l’adoption du plan Mérida, fortement appuyé par l’administration Bush pour la guerre contre le narcotrafic, le contexte sécuritaire au Mexique s’est encore dégradé. Un rapport de l’Institut National de Statistiques et Géographie Mexicain (INEGI) estimait en 2012 que la militarisation excessive du pays aurait causé plus de 120 000 morts, sans pour autant en finir avec le narcotrafic.
Actuellement, malgré le fait que le Mexique ait ratifié toutes les conventions internationales relatives à la défense des droits de l’homme et entrepris depuis 2008 une réforme de son système pénal et judiciaire, la situation du respect des droits de l’homme devient chaque jour plus préoccupante. La politique de la tolérance 0 génère à la fois une criminalisation de la petite délinquance, légalise la répression violente des mouvements sociaux par les forces de police et favorise l’emprisonnent politique. Le contexte d’impunité, la faiblesse et le manque de volonté des institutions favorisent quant à elles un climat de violence, où la pratique de la torture, les détentions arbitraires et les arrestations extrajudiciaires restent de mise.
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