Didier Migaud à la Cour des Comptes : Grenoble aussi à l’honneur ?
Parent pauvre de la politique nationale, Grenoble n’avait jusqu’à maintenant jamais porté depuis la guerre ses élus vers de hautes destinées sauf dans un cas bien malheureux.
Nouveau volet de l’ouverture selon Nicolas Sarkozy, le député socialiste de l’Isère Didier Migaud vient d’être nommé ce 23 février 2010 premier Président de la Cour des Comptes pour succéder à l’imposant Philippe Séguin. Une marque d’estime et de reconnaissance pour l’élu compétent, mais aussi un nouveau départ pour l’une des agglomérations les plus dynanmiques du pays.
Petit rappel historique
Hubert Dubedout, maire de Grenoble depuis 1965 et leader de la "nouvelle gauche" (celle de Pierre Mendès France et Michel Rocard), avait été proposé en 1981 Ministre du Logement par Pierre Mauroy à François Mitterrand, nouveau Président de la République. Finalement, Hubert Dubedout resta à Grenoble, laissant le portefeuille à Roger Quilliot (qui laissa alors son siège de sénateur à un conseiller du Président, Michel Charasse), et il perdit même la ville jugée pourtant imprenable.
À la fin des années 1980, le département de l’Isère et la ville de Grenoble étaient devenus RPR malgré une vieille tradition de gauche.
Alain Carignon
À l’origine de ce changement radical, Alain Carignon qui, après avoir obtenu un canton en 1976 à 27 ans, s’était emparé, dès le premier tour, de la mairie d’Hubert Dubedout en mars 1983 (à 34 ans), puis d’un mandat de député européen en juin 1984 et enfin, de la présidence du Conseil général de l’Isère en mars 1985, pourtant détenue par le Président de l’Assemblée Nationale de l’époque Louis Mermaz.
Mars 1986 marquait une étape essentielle dans la vie d’Alain Carignon puisque, élu député, il fut immédiatement nommé Ministre délégué à l’Environnement dans le gouvernement de Jacques Chirac. Son ambition était sans limite puisqu’il s’imaginait déjà parmi les futurs présidentiables.
Au printemps de 1988, après la réélection de François Mitterrand, Alain Carignon imaginait poursuivre sa carrière ministérielle en devenant ministre d’ouverture dans le gouvernement de Michel Rocard. Grenoble avait largement réélu François Mitterrand et dans la perspective de sa réélection à la mairie en mars 1989, Alain Carignon cherchait lui aussi à faire de l’ouverture (avec notamment Guy Névache, le responsable des socialistes grenoblois).
Réélu député et limité par le cumul, Alain Carignon décida de démissionner de son mandat national pour conserver ses deux mandats à la tête d’un exécutif : la mairie et le département. Alain Carignon eut quelques velléités d’indépendance rénovatrice en 1989 qui se soldèrent par un échec.
Malgré un bref retour au gouvernement d’Édouard Balladur, Alain Carignon s’enlisa dans les "affaires" jusqu’à en faire de la prison. Pendant la campagne présidentielle de 1995, aucun des deux candidats issus du RPR, ni Jacques Chirac ni Édouard Balladur, n’osa faire le déplacement.
Triumvirat socialiste
Juin 1995 rouvrait naturellement les portes de la mairie à la gauche : Michel Destot, l’opposant rocardien, avait réussi le tour de force d’éviter tout parachutage national (on parlait à l’époque de Jack Lang et de Bernard Kouchner) dans une grande ville prête à être cueillie.
Maire de Grenoble, Michel Destot (63 ans), député de Grenoble depuis juin 1988, fut de la même génération que Didier Migaud (57 ans), lui aussi élu à l’Assemblée Nationale depuis juin 1988 et futur maire de Seyssins. En 1995, la répartition des rôles laissa à Didier Migaud la présidence de la communauté d’agglomération (en 1995, il avait eu, lui aussi, des visées sur la ville de Grenoble et en 1998, sur le Conseil général qui n’était pas encore repassé à gauche).
Avec André Vallini (53 ans), jeune maire de Tullins (il avait à peine 30 ans) et devenu député à partir de juin 1997, les trois élus forment depuis une quinzaine d’années le triumvirat socialiste de l’agglomération. André Vallini a été élu président du Conseil général de l’Isère en mars 2001, si bien que chacun des trois députés avait "son" mandat à la tête d’un exécutif important.
Michel Destot, rocardien proche de Dominique Strauss-Kahn mais soutenant Bertrand Delanoë en novembre 2008, n’a jamais vraiment su avoir un écho national tandis que ses deux autres compères sont devenus des spécialistes parlementaires reconnus.
Proche de François Hollande, André Vallini, qui admire le gaullisme social et institutionnel, est un spécialiste de la justice et des institutions. Cela l’a conduit à diriger la commission parlementaire sur le procès d’Outreau et à être responsable au sein du Parti socialiste de ce thème.
Didier Migaud s’est spécialisé dans l’analyse budgétaire et a vite montré ses compétences tant auprès de ses collègues socialistes que de ses adversaires (comme Jacques Barrot à l’époque président de la Commission des finances).
Didier Migaud
Proche de Laurent Fabius dont il épouse presque le look, Didier Migaud a été très déçu de ne pas faire partie de la "dream team" de Lionel Jospin en 1997 : il comptait y faire son entrée comme Ministre du Budget et n’a été que rapporteur général du budget, poste qui lui permit cependant d’être au centre des débats budgétaires. C’est à ce titre qu’il fut, avec Alain Lambert, son alter ego du Sénat, le père de la LOLF, la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances qui a pour but d’évaluer les politiques publiques.
Pendant la dernière campagne présidentielle, il fut désigné comme conseiller budgétaire de la candidate Ségolène Royal, pour remplacer en catastrophe… Éric Besson démissionnaire.
Fort habile en campagne, Nicolas Sarkozy avait réussi à reprendre l’idée de sa concurrente Ségolène Royal en promettant d’attribuer à l’opposition le poste de président de la Commission des finances de l’Assemblée Nationale. Le 28 juin 2007, c’est donc tout naturellement que ses amis socialistes désignèrent Didier Migaud pour occuper ce poste.
Compétent, talentueux et sachant doser entre ses convictions et sa fonction, Didier Migaud a réussi à naviguer tant bien que mal, en présidant la commission dont il n’était pas majoritaire tout en critiquant politiquement certaines options du gouvernement (comme les heures supplémentaires du bouclier fiscal). Il a été désigné "député de l’année 2009" par le Trombinoscope pour être le député le plus actif de l’Assemblée Nationale.
La lourde succession de Philippe Séguin
La mort de Philippe Séguin a rendu nécessaire la désignation d’un nouveau premier Président de la Cour des Comptes par le Président de la République. Pour Nicolas Sarkozy, c’est une nomination délicate et pleine de sens politique.
Après avoir proposé à Alain Juppé et à François Hollande cette fonction très importante de contrepouvoir, et après des rumeurs concernant Anne-Marie Idrac ou encore Alain Lamassoure, Nicolas Sarkozy a opté finalement pour la compétence et l’ouverture politique en désignant Didier Migaud. L’objectif d’une République irréprochable est en bonne voie.
L’indépendance et la compétence de Didier Migaud, qui voit ainsi consacrer son action politique, ne peuvent mettre en doute la pertinence de cette nomination politique, tout comme le soutien de Nicolas Sarkozy à Dominique Strauss-Kahn pour le poste de directeur général du Fonds monétaire international (FMI).
Deux réactions parmi d’autres
Parmi les nombreuses réactions qu’a suscitées cette nomination, notons-en deux.
Celle du député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde, président exécutif du Nouveau centre : « En nommant M. Migaud à la tête de l’institution de contrôle des comptes publics, le Président de la République nous fait franchir un pas de plus vers une démocratie réelle, loin de ce que depuis 1958 certains ont pu appeler à juste titre la République des copains et des coquins. ».
Et celle discordante du député-maire de Vannes, François Goulard (ancien soutien de François Bayrou en 2007 et proche de Dominique de Villepin) qui craint une manœuvre politique par l’instrumentalisation de la haute institution : « Le problème est de nommer à la tête d’une juridiction un homme politique. Séguin était issu de la Cour des Comptes. ».
Parmi les prédécesseurs de Didier Migaud, il y a aussi l’ancien ministre Pierre Joxe qui quittera le 28 février 2010 le Conseil Constitutionnel dont le renouvellement est annoncé ce 24 février 2010.
Succession en Isère
Quant aux trois mandats que Didier Migaud abandonne en Isère, nul doute qu’une profonde réorganisation des rapports de force au sein des socialistes isérois va rapidement s’opérer, probablement au bénéfice d’André Vallini.
Son principal mandat, la présidence de la communauté d’agglomération de Grenoble, va être disputé certainement entre Michel Destot (député-maire de Grenoble), Geneviève Fioraso (députée, première adjointe de Grenoble et première vice-présidente), Christophe Ferrari (jeune maire de Pont-de-Claix), Marc Baïetto (maire d’Eybens et conseiller général, président des transports grenoblois) et Michel Issindou (député-maire de Gières).
Pas vassal de l’Élysée
Grenoble est sous les projecteurs de la politique nationale grâce aux performances d’un de ses plus talentueux élus, Didier Migaud, et à l’habile poursuite de l’ouverture politique décidée par Nicolas Sarkozy. On peut être sûr que Didier Migaud sera d’une indépendance à toute épreuve et ne sera pas le vassal de l’Élysée. Comme son prédécesseur. La Cour des Comptes en sort renforcée dans sa mission de contrôle de l’argent public. La République ne pourra qu’y gagner.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 février 2010)
Pour aller plus loin :
L’ouverture politique.
Nominations au Conseil Constitutionnel.
L’amertume de Pierre Joxe.
Zoom sur le PS.
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