Droit au logement opposable : des solutions proposées dans l’urgence qui s’avèrent inutiles ?
Le mouvement des Enfants de Don Quichotte s’étend. Il gagne les grandes villes de province, dont Toulouse ou Lyon. D’une certaine manière, il a reçu la caution de Jacques Chirac qui s’est prononcé, lors de ses vœux, pour la mise en place rapide d’un « droit au logement opposable ». Mesure volontariste que requiert la tragique situation d’un nombre croissant de sans-abri et de mal-logés, mais mesure qui reste encore très floue dans son application. Le très large soutien dont bénéficie le mouvement en faveur des sans-abri établit que l’opinion française est acquise à l’idée de solidarité, fondement essentiel du lien social. C’est du principe de solidarité que naît l’exigence de réalisation effective de droits constitutionnels tels que le droit au logement. C’est une réelle avancée, mais ce n’est pas pour autant une victoire. En effet, proclamer un droit au logement opposable, c’est-à-dire l’idée de pouvoir saisir une juridiction pour faire constater que malgré ses démarches et sa bonne foi, une personne est sans logement ou (dans un second temps) dans un logement insalubre, soulève quelques difficultés. Le droit au logement opposable, s’il peut sembler séduisant au premier abord, n’est sans doute pas la meilleure, ou en tout cas la plus simple des solutions, pour régler la crise du logement.
D’abord, on ne peut à la fois demander plus à l’Etat, et lui refuser les moyens d’agir en réclamant des baisses d’impôts. La réalisation du principe de solidarité suppose un effort de redistribution des richesses. Les privilèges fiscaux accordés aux plus fortunés, du bouclier fiscal à l’évasion légalement organisée d’une bonne partie des revenus du capital, sont l’illustration du contraire. Il faudra donc que le gouvernement et sa majorité s’appliquent à rechercher la cohérence nécessaire. S’ils sont fondés à diligenter au plus tôt la mise en oeuvre législative du droit au logement opposable, l’UMP devra en toute logique renoncer aux dispositions de son programme qui visent à prolonger, notamment par l’exonération des droits de succession, la politique fiscale régressive conduite au cours des dernières années. Entre le droit au logement opposable et le bouclier fiscal, il faut en effet choisir.
Ensuite, on peut s’étonner qu’il appartienne au mal-logé de saisir la Justice. Cela a un coût (même si on peut supposer que les associations interviendront dans la procédure et prendront en charge les frais). Cela suppose de s’engager dans une procédure longue compte tenu des délais dans lesquels sont rendues les décisions de Justice (vous me direz, cela n’est pas plus long que la liste d’attente des offices HLM). On va donc encombrer un peu plus les juridictions et engager des personnes déjà en difficulté dans des procédures complexes. Pour quel résultat ? Car on peut s’interroger ensuite sur le résultat obtenu. Admettons que la Justice fasse droit à la demande de la personne mal logée. Le "débiteur" devient l’Etat ou les collectivités territoriales si elles choisissent d’exercer la compétence. Or quel est le contenu de ce droit ? Si la collectivité publique dispose de logements vides, elle devrait être tenue de les proposer à celui qui aura obtenu gain de cause en Justice. Est-ce le cas ? Et les autres ? Mais si elle n’en a pas : pourra-t-elle réquisitionner des locaux privés ? Sera-t-elle tenue de mettre en oeuvre de nouveaux programmes immobiliers ? Dans quels délais ? Le droit au logement sera-t-il opposable comme de « bonne foi » qui respecte les obligations de la loi SRU ?
On retrouve en fait les problèmes que l’on connaît déjà : celui de la réquisition (droit au logement contre protection de la propriété privée), celui du respect de la loi SRU. A part judiciariser les problèmes de logement, on risque de ne pas apporter grand-chose de nouveau. Le droit est un instrument, pas une fin. Il ne se substitue pas à l’action politique. On crée une procédure qui pourrait ne consister qu’en un droit de se plaindre. On pourrait peut-être commencer par s’assurer qu’à Neuilly ou au Raincy, la loi SRU est respectée. C’est pourquoi le député PRG Roger-Gérard Schwartzenberg a présenté vendredi 5 janvier une proposition de loi sur le droit à l’hébergement et au logement des SDF, centrée spécifiquement sur le problème de cette population.. Car la priorité est bien de répondre à l’urgence par des solutions immédiatement réalisables. En effet, les propositions sur le droit au logement opposable concernent les mal logés alors qu’il faut se concentrer d’abord sur la catégorie ultra prioritaire des SDF. Sa proposition institue au profit des SDF un "droit à l’hébergement dans des conditions dignes et durables" et "constitue les SDF en catégorie prioritaire dans la mise en oeuvre du droit au logement opposable". Il suggère ainsi d’ouvrir les structures d’hébergement 24 heures sur 24 pendant toute l’année, d’augmenter le nombre de places d’hébergement de 50% pour atteindre 100 000 à 150 000 places en deux ans.
Finalement, on peut constater une nouvelle fois qu’il faut que les citoyens se mobilisent sur une cause particulière pour que les politiques réagissent. Néanmoins, il ne faudrait pas que les solutions proposées dans l’urgence s’avèrent inutiles, voire injustes et ne répondent pas aux besoins de celles et ceux qui sont dans la rue. Comme souvent ce sont des solutions pragmatiques et simples qui devront être mises en œuvre si on veut apporter des réponses rapides et efficaces aux difficultés de nos concitoyens les plus en difficulté.
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