Droit d’asile en peau de chagrin
Le Droit d’asile moderne nous vient d’un temps où l’Humanité se réveillait de l’horreur totalitaire et génocidaire que lui avait fait subir les fascismes, nazismes et francismes. La convention internationale dite « de Genève » du 28 juillet 1951 garantit cette protection qui est dû à ceux qui craignent « avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».
Dans un contexte d’après-guerre et de guerre froide entre le bloc capitaliste et le bloc communiste, le droit d’asile avait acquis ainsi une légitimité de principe (il fallait faire naître une Humanité meilleure) et de réalité (il était un faire-valoir démocratique face au bloc soviétique).
Aujourd’hui, tout se passe comme si il était devenu encombrant ...
En Europe
En effet, le contexte à changer : le Mur de Berlin est tombé et le bloc capitaliste n'a plus de vitrine démocratique à assumer face à un concurrent totalitaire, il ne retrouve plus de plus value à s'investir dans un système d'asile. Les déséquilibres économiques, sanitaires, politiques, ... eux sont toujours là et plus que jamais, alimentés certainement par l'esprit de compétition et d'accaparement des ressources intrinsèque à ce même capitalisme. Ces déséquilibres sont justement la source des guerres, des dictatures et autres conflits qui grossissent les rangs des réfugiés et par là même des demandeurs d'asile quand ils arrivent à atteindre nos contrées.
Depuis la déclaration de Tampere en 1999, nous assistons à une harmonisation par le bas et à des tentatives continues de contourner la Convention de Genève au nom de la lutte contre l'immigration irrégulière. Globalement, sur cette période et sur cet espace, le nombre de demandes d'asile a été divisé par deux. Les pays comme la France, l'Allemagne ou le Royaume Uni ont connu une chute spectaculaire des demandes pendant que d'autres tels que la Pologne, la Grèce, ont connu au contraire des records historiques. Non pas que ces derniers pays soient particulièrement accueillants ou protecteurs, au contraire le taux d'accord d'asile y est trés faible et les dispositifs d'accueil et d'attente peu développés. Alors pourquoi ?
Parce que la Politique Europénne, par le règlement de Dublin, impose qu'un demandeur d'asile dans un pays de l'Union soit réadmis dans le pays par lequel il est entré dans l'Union pour y déposer sa demande d'asile. Cette disposition est particulièrement injuste car elle obère totalement la situation sociale de l'individu demandeur d'asile. En effet, la demande d'asile doit être faîte dans la langue du pays d'accueil, alors quoi de plus normal que d'aller là où on maîtrise le mieux la langue ?! Quand on fuit son pays pour des raisons de sécurité, on va là où on pense trouver un meilleur refuge parce qu'on y a des connaissances, des prérequis culturels, de la famille, des amis, des relations, ... Cette dimension humaine est effacée face à l'exigence d'efficacité de la machine Europe. La logique s'aggrave même par des tentatives d'externaliser le traitement des demandes d'asile vers les pays limitrophes (Maroc, Lybie), ce qui revient à renier les engagements pris à Genève en 1951.
En France
Sous couvert d'une lutte contre les "faux demandeurs", la France a complexifié la procédure de demande d'asile dans ses dispositions matérielles. Ainsi, le récit de la demande d'asile doit être écrit en français et non plus dans la langue maternelle du demandeur : un écueil de plus, en handicap supplémentaires. Hors hébergement en CADA (Centre d'Accueil des Demandeur d'Asile) les demandeurs ne bénéficient d'aucune aide à la rédaction du récit (technique, traduction, ...) alors qu'ils ont l'obligation de demander une place en CADA. Il y a donc une inégalité de traitement pour un même devoir d'inscription. Les traducteurs et interprètes ne sont pas mis à disposition. Le transports et les frais de déplacement pour aller à l'entretien à l'OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) ne sont pas remboursés, alors que c'est une étape primordiale de la procédure, là encore : un handicap de plus pour le demandeur. Lorsque le demandeur ne peut pas être hébergé en CADA, il perçoit l'ATA (Aide Temporaire d'Attente) d'un montant de 10,54 € par jour avec lesquel il doit se nourrir, se loger, se soigner, se vêtir, se transporter, se défendre, se faire conseiller, ... C'est impossible !
En plus des conditions matérielles handicapantes, la procédure a elle aussi connu des modifications pour réduire le droit d'asile à peau de chagrin : à côté de la procédure normale (constitution de la demande en 21 jours, Autorisation Provisoire de Séjour, accès au CADA ou à l'ATA, délai indéfini pour la décision de l'OFPRA, ...) il a été mis en place une procédure dite "prioritaire". Il ne faut pas entendre "prioritaire" comme "privilégiée", mais plutot comme "expéditive". Dans cette procédure prioritaire - expéditive, le demandeur a 15 jours pour rédiger son récit, il n'a pas d'autorisation provisoire de séjour et s'il est en rétention l'OFPRA dispose de 96h pour prendre une décision (15 jours dans le cas contraire). Depuis 2004, on assiste à une augmentation de l'utilisation de cette procédure, qui représente maintenant 30 % environ des demandes d'asile. Une des conditions pour placer les demandeurs dans cette procédure est l'évaluation de la situation du pays d'origine. Une liste de pays dits "sûrs" a été élaborée. Dans cette liste on trouve l'Inde, alors qu'il y a toujours un conflit au Cachemire, le Sénégal, alors qu'il y a toujours un conflit en Casamance, ... Quand on regarde les accords de protection donnés à des demandeurs issus de pays "sûrs", on s'aperçoit qu'ils sont plus nombreux que pour la procédure normale (42 % d'accord après recours pour la procédure prioritaire et 36% pour la procédure normale). Cet état de fait montre que cette procédure prioritaire est absurde d'un point de vue de la réalité. Sa justification est donc à trouver dans une orientation politique qui consiste à se désengager de la protection dûe aux persécutés.
Pour finir de s'en convaincre, faisons une corrélation entre les prévisions budgétaires du Minstère et la tendance des demandes d'asile. Après avoir fortement baissée pendant 5 ans, les demandes d'asile connaissent une hausse en France depuis 2008. Pour 2010, les statistiques donnent une augmentation autour de 9 % par rapport à 2009. Or le budget passe de 563 Millions d'euros en 2011 à 543 millions en 2013. Déjà les besoins sont importants en terme d'accueil, d'hébergement, d'accompagnement, de transport, de traduction, tout porte à croire, vu l'état du monde, que les demandes d'asile vont augmenter, mais non l'Etat prévoit d'investir moins d'argent dans la protection des persécutés.
Il est grand temps de mettre fin au réglement Dublin 2 qui réduit les Hommes à une charge à éviter ou à délester.
Il est grand temps de rétablir une procédure de demande d'asile équitable où le demandeur n'est pas mis en situation de handicap.
Il est grand temps de mettre fin à la procédure expéditive.
Il est grand temps de sauver la Convention de Genève.
RESSOURCES :
http://www.cimade.org/poles/defense-des-droits/rubriques/2-droit-d-asile-
http://www.cimade.org/poles/defense-des-droits/rubriques/2-droit-d-asile-?page_id=1779
http://www.cimade.org/publications/35
http://www.cimade.org/publications/39
http://www.cimade.org/publications/18
http://www.ofpra.gouv.fr/index.html?dtd_id=11&xmld_id=2730
http://www.ofpra.gouv.fr/index.html?xml_id=167&dtd_id=11
http://ec.europa.eu/ewsi/UDRW/images/items/docl_12314_149012681.pdf
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