DSK : la rénovation socialiste se fera-t-elle à Washington ?
Ainsi, Dominique Strauss-Kahn ira bien à Washington occuper le poste de directeur général du Fonds monétaire international, et ce, pour cinq ans. Une grande nouvelle pour l’ensemble de la scène politique franco-française, ses acteurs comme ses observateurs ayant déjà les yeux braqués sur l’élection présidentielle de 2012. Et si DSK, comme il l’a promis, effectue bel et bien la totalité de son mandat, il se disqualifie, ipso facto, pour ce rendez-vous électoral majeur.
Cafouillages idéologiques et mirages médiatiques : le crépuscule socialiste.
Un double motif de satisfaction pour le président de la République, qui peut ainsi brandir ce nouveau symbole (réel ou supposé) de l’« ouverture » en même temps qu’il se débarrasse d’un concurrent potentiellement gênant pour 2012, alors même que la gauche paraît de plus en plus embourbée, à la fois idéologiquement et dans la recherche d’un nouveau leadership. À l’heure actuelle, peu de dirigeants socialistes paraissent à même de révolutionner la pensée socialiste. François Hollande, premier secrétaire en sursis, surfe en ce moment entre les deux options offertes au Parti socialiste, toutes les deux semées de récifs électoraux. D’un côté, c’est barre à gauche toute, avec le risque de creuser un peu plus le fossé, érigé en son temps par Lionel Jospin et à peine comblé par Ségolène Royal durant la campagne présidentielle, entre la gauche et les Français. De l’autre, c’est la rénovation social-démocrate, laquelle passe peut-être par un rapprochement avec le Mouvement Démocrate de François Bayrou, qui pourrait néanmoins déboussoler une certaine frange de l’électorat socialiste. La vie de tout un chacun, homme ou institution, est faite de choix. Mais il semble évident que ce n’est pas sous la férule de François Hollande que le PS se décidera à faire sa rénovation... ou sa révolution.
L’option semi-réformiste représentée par Ségolène Royal paraît quant à elle de moins en moins plausible à mesure que les mois s’écoulent. Brocardée par ses pairs du cimetière des éléphants, méprisée ou rejetée par les agités de la cage aux jeunes lions, inaudible dans ses critiques à l’encontre de Nicolas Sarkozy, à la limite du ridicule dans sa posture victimaire et son refus de la moindre autocritique, la candidate malheureuse de la présidentielle apparaît de plus en plus comme un épiphénomène médiatique sans lendemain.
Mais qui, dans ce cas, pourrait prendre la tête du Parti socialiste ou, en tout cas, celle d’un grand mouvement de ravalement de façade idéologique ? Le nom de Bertrand Delanoë revient de plus en plus souvent dans la bouche des journalistes, et on murmure que le maire de Paris, quasiment assuré d’une réélection en 2008, aurait la préférence de Nicolas Sarkozy lui-même pour être son adversaire en 2012. Nul besoin d’être prophète pour en comprendre la raison : M. Delanoë, héraut des bobos et d’une certaine intelligentsia gauchiste, se ferait sans doute tailler des croupières par le rouleau compresseur sarkozyste.
Et qu’en est-il de Dominique Strauss-Kahn, dans cette affaire ? Certes, en annonçant qu’il resterait à son poste de directeur général du FMI jusqu’à la fin de son mandat (et en dépit de son « je reste Français » au 20 heures ce lundi 1er octobre), il laisse à penser qu’il renonce à ses ambitions présidentielles pour 2012. Néanmoins, doit-on donner tant d’importance à cette déclaration ? En effet, que pouvait-il dire d’autre ? Laisser planer le moindre doute sur une éventuelle démission avant terme aurait sérieusement écorné sa crédibilité (déjà remise en cause par un certain journal anglais pourtant réputé pour son sérieux), crédibilité dont il aura besoin pour réformer une institution internationale en perdition idéologique, en déficit de 105 millions de dollars (budget 2006-2007) critiquée de toutes parts et dont la raison d’être elle-même est difficile à cerner dans le monde du XXIe siècle.
Retour aux sources
Cependant, en admettant que DSK pourrait revenir sur la scène politique nationale avant 2012, beaucoup doutent de ses possibilités de s’imposer à gauche, précisément en raison de sa nomination à la tête du FMI : en effet, plus encore que d’avoir été « proposé » par Nicolas Sarkozy, c’est ce passage à la tête d’une organisation réputée consubstantiellement libérale qui hypothéquerait ses chances d’un retour gagnant. Analystes politiques, comme un grand nombre de militants socialistes, s’accordent sur ce point, les premiers estimant que les Français se fichent comme d’une guigne du FMI (et plus largement de l’ensemble des institutions internationales) et les seconds considérant qu’un socialiste français n’a rien à faire au poste de directeur du FMI.
Et c’est là qu’ils commettent une erreur. Bien au contraire, en temps que social-démocrate affirmé, Dominique Strauss-Kahn est tout à fait à sa place à la tête du Fonds monétaire international, et sans doute le plus à même de le réformer pour l’adapter au monde moderne. Car on a tendance à oublier qui est le père du FMI : lord John Maynard Keynes (1883-1946), mathématicien et financier britannique qui fut l’un des grands penseurs de l’hétérodoxie économique au XXe siècle. Un héritage brocardé par le FMI au cours des décennies qui nous séparent des accords de Bretton Woods (1944), l’organisation ayant depuis totalement embrassé les vues ultra libérales abhorrées par Keynes lui-même et devenant ce « pompier pyromane » dont la politique de conditionnalité a fait des ravages en Amérique du Sud et en Asie.
Car, bien que Keynes n’ait jamais rejeté le capitalisme, il mettait en garde contre l’un des postulats fondamentaux de l’orthodoxie libérale : l’autorégulation du marché, basé sur une hyper-rationalité des agents économiques, qui engendrait selon lui une anarchie économique que seule l’action publique pouvait contrebalancer, permettant ainsi la justice et la stabilité sociales.
Vu sous cet angle, Dominique Strauss-Kahn n’est-il pas le mieux placé pour prendre la direction du FMI et refonder cette institution dans le sens d’un retour aux sources ? Sa vision de la social-démocratie n’est pas si éloignée de celle de Keynes lui-même, et il a quelque chose du « bourgeois éclairé », expression que l’auteur de la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie utilisait pour se définir. Les premières déclarations de Dominique Strauss-Kahn (les mêmes qui lui ont attiré les foudres du Financial Times) vont dans ce sens, lui qui veut contribuer à réduire les inégalités entre pays développés et pays émergents, théorisant ainsi une vision mondiale de l’idéal keynésien de stabilité et de justice sociale.
Et DSK à Washington ne serait-il pas, en fin de compte, la meilleure chance de rénovation du Parti socialiste ? S’il réussit son pari, s’il parvient à mener à bien la rénovation du FMI, à le réinventer, ne pourrait-il pas contribuer à réinventer aussi le PS, et sur le même modèle : un parti enfin débarrassé de ses lubies marxistes, libéré de ses tentations chimériques d’une nouvelle Union de la gauche et d’une impossible synthèse entre révolution et réforme, c’est-à-dire entre le socialisme d’antan et une vision nouvelle, authentiquement républicaine (et donc française) celle-là, de la social-démocratie ? C’est tout le mal que l’on souhaite aux socialistes... et accessoirement, à la France.
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