Dupond-Moretti, Darmanin : le droit et la morale
Pourquoi la nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l'intérieur peut être un mauvais coup fait à la République et pourquoi les arguments du garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, ne suffient pas à justifier cette nomination et représente du mépris envers certaines personnes.

La nomination de Monsieur Darmanin au maroquin de ministre de l’Intérieur a suscité de forts débats en raison de fait potentiellement susceptibles de sanction pénale. Pour l’instant le sieur Darmanin n’est pas renvoyé devant un tribunal, pas même mis en examen et, en outre, déjà connues par le Parquet ces faits avaient donné lieu à un classement sans suite alors que Monsieur Darmanin était déjà ministre du Budget et des Comptes Publics.
S’appuyant sur ce classement sans suite et sur l’absence d’une mise en examen, le nouveau Garde des Sceaux a mis en avant, devant la commission des lois à l’Assemblée nationale comme devant les médias, le principe de la présomption d’innocence. Monsieur Dupond-Moretti, pourfendeur de quiconque bafoue la présomption d’innocence, a raison : Monsieur Darmanin est présumé innocent tant que la Justice ne l’a pas condamné. Mais qui, ici, l’accuse ?
Personne, sauf les sots, accuse Gérald Darmanin d’un quelconque délit, mais chacun s’interroge et interroge le chef de l’État sur le bien-fondé de la nomination d’un homme qui lui-même a reconnu avoir eu des relations sexuelles avec celles qui l’accusent et qui ont déposé plainte, mais rejette la qualification pénale de viol ou d’abus arguant que ces femmes étaient consentantes.
Laissons la Justice faire son travail et appliquons le principe de la présomption d’innocence sans retenue. Cela donnerait raison au Garde des Sceaux sur le plan du droit et sans doute de la morale s’il n’y avait pas la question sous-jacente de corruption passive : qu’est-ce pour un élu, tenant d’un pouvoir, que d’accepter des faveurs sexuelles en échange d’un service ? En outre, Monsieur Dupond-Moretti manifeste d’une cécité dans la lecture des pratiques du droit, une affaire classée sans suite n’est pas un acquittement ; lorsqu’un Procureur classe sans suite c’est soit qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour poursuivre : dans le cas présent les accusatrices n’auraient pas apporté d’éléments prouvant un abus sexuel, ou le procureur, par l’intermédiaire des policiers, n’en a pas trouvé, soit il estime que l’affaire n’est pas suffisamment caractérisée au regard du Code pénal. Mais en aucun cas un classement sans suite dit qu’il n’y a rien eu, en ce sens la justice des USA est plus précise où le procureur ne classe pas sans suite mais renonce à poursuivre comme ce fut le cas dans l’affaire Strauss-Kahn où le procureur a clairement écrit dans sa décision que faute d’éléments suffisants il renonçait à poursuivre.
Toutefois il subsiste toujours un doute sérieux sur l’objectivité du procureur lorsqu’il prend une décision de classement sans suite lorsqu’il s’agit d’un ministre en exercice : n’est-il pas « piloté » par le Garde des Sceaux au nom du Chef de l’État ? Rappelons-nous les affaires Ferrand où les procureurs classèrent sans suite les dénonciations de prises illégales d’intérêts et de conflits d’intérêts, puis portées devant un magistrat ces affaires, même dépaysées, ont abouti à une mise en examen. Comme pour Gérald Darmanin c’est le principe de la présomption d’innocence qui prévaut mais pour autant l’aspect moral de ces affaires ne disparaît pas, et c’est sur cela que la nomination de Gérald Darmanin, comme le maintien de Richard Ferrand à la fonction de président de l’Assemblée nationale, pose question et peut susciter des débats voire des réprobations fortes dans le public.
Là se pose la question de la confrontation de la morale du droit et de la morale sociétale. La morale du droit, ici le principe de la présomption d’innocence, peut-elle prévaloir la morale sociétale qui ici veut qu’un élu, sans toutefois exiger que les élus par le peuple soient des parangons de vertu absolus, témoigne pour le moins de la mise en pratique des valeurs consensuelles de la société. Ainsi, s’attend-on qu’un ministre n’use pas de ses prérogatives de pouvoir pour obtenir de la part d’une personne des avantages pour satisfaire ses plaisirs personnels notamment les plus intimes en ayant recours à des faveurs sexuelles et que les victimes présumées soient protégées de toute intervention de l’élu sur l’ordonnancement de la justice.
Si ces dames étaient consentantes une qualification pénale de viol ou d’abus pourrait être exclue, mais il demeurerait celle de corruption passive qui toutefois elle aussi serait sans raison d’être si la justice montrait qu’aucun avantage n’a été consenti à ces dames. Mais il demeure que la décision du Procureur, quelle qu’elle soit, demeurera entachée de suspicion au vu des relations étroites entre le Parquet et le Garde des Sceaux s’il y a classement sans suite, elle le sera pareillement s’il y a renvoi devant un juge où ceux qui soutiennent Gérald Darmanin crieront à la dictature de l’opinion publique.
La sagesse aurait été de laisser cette affaire dans l’espace privé en ne nommant pas Monsieur Darmanin à ce poste où, de surcroît, il dispose d’un pouvoir hiérarchique y compris disciplinaire sur les policiers susceptibles de l’interroger. Tout est désormais non seulement biaisé mais vraisemblablement corrompu. La République, la Démocratie et la relation entre les élus et les citoyens en sortent terriblement blessées.
Outre, cela a été discuté maintes et maintes fois, qu’un élu doit se démettre dès lors qu’il est atteint par une affaire ouvrant ainsi la voie à une justice sereine, le Garde de Sceaux, la Ministre de la Citoyenneté (?) comme les élus du Nord signataires d’une pétition de soutien (relayée sur son compte Twitter par Gérald Darmanin lui-même) auraient mieux fait en s’abstenant de parler ; souvent le silence est plus efficace que trop de paroles.
Au-delà des aspects de la morale, cette nomination est aussi un véritable camouflet, violant la morale sociétale, envoyé à la face du débat sur les violences faites aux femmes et manifeste d’un profond mépris pour celles et ceux qui défendent cette cause. C’est d’autant plus grave que si cette nomination est porteuse d’un symbole négatif, or rien en politique échappe aux symboles, la négativité en est renforcée du fait des prises de position du Garde des Sceaux lorsqu’il était avocat qui sont apparues comme des attaques contre « la cause des femmes » en tout cas très antiféministes. Là où il y a besoin de débat le président de la République envoie un message de fin de non-recevoir et de mépris ; mais n’est-ce pas son habitude ? Quant aux élus, dont Xavier Bertrand à propos de qui la rumeur, non démentie, dit qu’il pourrait être candidat à la prochaine élection présidentielle, leur pétition témoigne d’une approche particulière des institutions et surtout de la prise en compte des citoyens.
Comme l’écrit Jean-Philippe Derosier[1] : « Il y a les personnes et il y a les fonctions ; les premières exercent les secondes et les secondes protègent les premières. Mais la préservation des secondes exige que les premières soient irréprochables. » Un doute sur la probité des premières entache toute décision prise dans le cadre des secondes.
[1] La constitution décodée, Réflexions estivales : https://constitutiondecodee.fr/2020/07/27/reflexions-estivales/
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