Elections législatives, Macron, …La grande forme
Le discours d’Emmanuel Macron du 22 juin à la suite des élections législatives est un chef-d’œuvre de tartufferie qui se fonde, comme souvent chez Macron, sur un mensonge, sur une interprétation ou une recomposition très personnelle de la réalité : « Le 24 avril, vous m’avez renouvelé votre confiance en m’élisant président de la République. » Or, point de confiance pour une partie importante de ceux qui ont voté « Macron », pour ceux-là il ne s’agissait que de ne pas voter « Le Pen ». C’est ce que signale Céline Bracq, directrice générale d'Odoxa[1] : « Emmanuel Macron ayant gagné une seconde fois face à Marine Le Pen, de nombreux électeurs ont fait le choix de l'élire non par adhésion, mais pour faire barrage au RN. » Les politologues avaient déjà bien montré ce phénomène de vote par défaut à l’occasion de l’élection de 2017 où près de la moitié (47 %) de ceux qui avaient glissé un bulletin Macron dans l’urne ne l’avait fait que par défaut, pour faire barrage à la représentante du Rassemblement National. Au cours de leurs analyses à venir les analystes montreront en 2022 la présence d’un phénomène identique à l’élection de 2017. Au-delà des électeurs, contraints ou acquis, qui ont voté pour Jupiter il faut, pour comprendre la réalité de la société française et de ses choix, prendre en compte ceux qui se sont abstenus et ceux qui ont voté blanc. Partant d’une réalité tronquée et réaménagée pour lui complaire, quelle stratégie politique et de gouvernance peut bâtir Macron qui part sur une analyse fausse de la situation ?
Mais, comme il en est coutumier, Macron assène ici un postulat : vous m’avez accordé votre confiance, pour endormir voire anesthésier toute velléité d’analyse rationnelle et raisonnable chez les journalistes et, espère-t-il, chez les citoyens. Jupiter dit, Jupiter a raison, on obéit à Jupiter et gare à ceux qui dévieraient de la route. La force, jusqu’à présent de Macron, a été d’avoir pu, par des discours laudatifs et souvent soporifiques, stériliser toute analyse, toute pensée ; les commentaires des chroniqueurs montrent qu’il serait en passe de réussir à nouveau. Tous se pâment devant le discours d’union : « Sa (la majorité) responsabilité est donc de s'élargir, soit en bâtissant un contrat de coalition, soit en construisant des majorités texte par texte. Oui, pour agir dans votre intérêt et dans celui de la nation nous devons collectivement apprendre à gouverner et légiférer différemment. Bâtir avec les formations politiques constituant la nouvelle assemblée des compromis nouveaux dans le dialogue, l'écoute, le respect. » Et, tous nous expliquent qu’une coalition n’est pas possible puisque les partis politiques ont fait savoir qu’ils n’en veulent pas, ce que le président confirme dans son discours ajoutant que pour lui ce ne peut pas être la solution du moment ; pourquoi diable l’a-t-il proposé à certains. Les chroniqueurs enfourchent le baudet présidentiel en suggérant que la solution contre un immobilisme type 4e république[2], ce qui est une comparaison scientifiquement erronée, sera la création de majorité d’opportunité comme Macron l’indique : « il va falloir construire des majorités texte par texte ». Mais, les Français savent bien que c’est là le fondement du travail parlementaire : un texte est présenté à l’assemblée nationale et au sénat, les commissions l’étudient, les parlementaires y apportent des amendements, sort un texte « consolidé » qui est mis aux voix et voté par ceux qui en approuvent le contenu. Il n’y a donc pas à construire de majorité d’opportunité, sauf à considérer les oppositions comme des éléments négligeables et au risque que ceux des citoyens qui ont voté pour ces oppositions se sentent trahis si elles rejoignent le camp majoritaire sans concession de sa part.
Ce travail parlementaire « normal » n’est pas ce qui convient à Macron, et semble-t-il serait une incongruité pour les chroniqueurs politiques. Macron ne souhaite pas que ses projets de loi soient amendés, narcissique au plus haut point il est fortement persuadé de posséder la vérité, il se suffit à lui‑même. Dans son discours il montre à quel point il hait la contradiction : « Je crois qu'il est donc possible, dans le moment crucial que nous vivons, de trouver une majorité plus large et plus claire pour agir. » Toutefois rappelons que ce sont les Français qui lui ont refusé cette majorité. Or la question, sauf pour le satisfaire, n’est pas celle de fabriquer une majorité artificielle ; la question n’est que celle du contenu des textes qui supportent les réformes. On voit là se dessiner, à nouveau, un parlement de godillot à la botte de Macron si des élus, pire, des groupes, d’opposition acceptaient sine die de voter les textes proposés par Macron sans en connaître le contenu ; au passage rappelons qu’un programme électoral ne constitue en rien un texte législatif ni même un canevas.
Ce travail de constitution d’une majorité qui ne serait pas issue des urnes, semble avoir débuté où quelques affidés auraient commencé à démarcher, en vue de leur débauchage, quelques députés d’autres partis pour les rallier à la macronie. Depuis 2017 on voit les trahisons se succéder agrémentées de promesses de maroquin ou d’aide diverses, ça continuera en 2022 ; imagine‑t‑on, qu’après avoir suggéré un rapprochement avec la macronie, un ancien député européen, maire, chef de service dans un hôpital Parisien refuserait un poste de ministre ?
On voit là le travail de Macron qui comme Napoléon III, veut supprimer les partis politiques : « Je suis convaincu de la nécessité du dépassement politique depuis le premier jour… » Sans partis politiques, plus d’opposition ! « La responsabilité [des oppositions] ensuite. Il faudra bâtir, comme je l'expliquais, des compromis, des enrichissements, des amendements, mais le faire en toute transparence, à ciel ouvert si je puis dire, dans une volonté d'union et d'action pour la nation qui concerne toutes les forces politiques. » Sera-t-il plus attentif aux idées des autres qu’il ne l’a été durant son premier quinquennat ? Supposons qu’il le soit et que les groupes d’opposition puissent faire entendre et prendre en compte leurs amendements, pour autant ces groupes d’opposition ne peuvent pas, faute que Macron ait présenté des projets de loi, lui signer un blanc-seing en déclarant qu’ils acceptent sa proposition de déclarer qu’ils voteront certains textes : « Pour cela, il faudra clarifier dans les prochains jours la part de responsabilité et de coopération que les différentes formations de l'Assemblée nationale sont prêtes à prendre. Entrer dans une coalition de gouvernement et d'action. S'engager à voter simplement certains textes, notre budget. » Et, tel un despote, il leur fixe un ultimatum : « Dès mon retour, à la lumière des premiers choix, des premières expressions des groupes politiques de notre Assemblée nationale, nous commencerons à bâtir cette méthode et cette configuration nouvelle. »
La vie démocratique d’un pays ne se gère pas sur des recompositions de la réalité, pas non plus sur la malhonnêteté des gouvernants et des élus, et pas avec des ultimatums despotiques lancés à la face des représentants du peuple. Jupiter commence bien mal sa nouvelle méthode de gouvernance qu’il veut façonner par l’écoute, la transparence et les compromis. Les Français ne supporteront pas d’être mis en accusation pour un immobilisme, qui n’est que supposé au vu d’analyses historiques peu fiables, des institutions alors que le seul responsable est Macron, son narcissisme et sa tendance despotique. Les électeurs lui ont signifié clairement sa responsabilité dans la genèse de cette situation ; dans une étude Odoxa Backbone Consulting[3] pour Le Figaro 70 % des sondés affirment que Macron porte lui-même la responsabilité de cette situation politique. Même parmi les sympathisants du parti présidentiel, 40 % des sondés imputent cet échec à Emmanuel Macron. Ces électeurs, plus généralement les Françaises et les Français, ne veulent pas porter la responsabilité d’un quelconque blocage à l’Assemblée nationale dans la mesure où, d’après le sondage Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro ils se disent « majoritairement optimistes, satisfaits que leur espoir exprimé en amont du scrutin - que l'exécutif soit privé de majorité absolue - se soit finalement réalisé. » Les Français sont « 64 % à trouver que l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale est une bonne chose, car cela redonne un vrai rôle au Parlement, en obligeant le gouvernement à composer avec les députés pour adopter les lois. » Tout groupe d’opposition qui succomberait au chant de la Sirène macronienne décevra ses électeurs et risquera de perdre toute légitimité pour les prochaines élections, il en irait de même pour les députés qui partiraient vers la macronie ou même qui simplement voteraient les textes proposés par Macron sans qu’ils aient été amendés. Pour sûr ce n’est pas avec des pratiques de ce type qu’on ramènera les abstentionnistes dans les bureaux de vote.
Rêvons qu’aujourd’hui les femmes et les hommes politiques comprennent que les électeurs (y compris les abstentionnistes) ne sont pas des « ânes ».
[2] « La IVe République correspond donc à l'entrée dans un système de protection sociale élevée et d'État-providence. La reconstruction et la modernisation de l'économie ont connu bien sûr beaucoup de vicissitudes ; sur le moment, les observateurs ont surtout souligné les difficultés de la situation, mais au total et rétrospectivement, on peut dire que la IVe République a à peu près réussi à relever les défis économiques dans les premières années de ce que Jean Fourastié appellera plus tard les Trente Glorieuses. » in Pierre BRÉCHON, « QUATRIÈME RÉPUBLIQUE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/quatrieme-republique/
[3] Etude Odoxa Backbone Consulting pour Le Figaro, le 23 juin 2022.
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