Élysée 2022 (35) : le projet présidentiel du candidat Emmanuel Macron
« Le projet que je souhaite vous présenter est le fruit d’une cohérence, il se nourrit des crises que nous avons traversées. » (Emmanuel Macron, le 17 mars 2022 à Aubervilliers).
Le Président de la République Emmanuel Macron, reprenant son rôle de candidat, a tenu une très longue conférence de presse ce jeudi 17 mars 2022 après-midi à Aubervilliers (dont l'ancien maire communiste Pascal Beaudet vient de mourir) pour présenter les grandes lignes de son programme pour les cinq prochaines années. Je reviendrai sur le bilan de son premier quinquennat, mais ce qui compte le plus, et des candidats comme Édouard Balladur et Lionel Jospin s’en sont aperçus à leurs dépens, c’est le projet d’avenir que porte un candidat, certainement pas son bilan, aussi positif soit-il (et il l’est pour Emmanuel Macron).
En préambule, Emmanuel Macron a effectivement rappelé son bilan qu’il a défendu avec force et qui est très flatteur quand on compare aux bilans de ses prédécesseurs : l’emploi a progressé énormément malgré les crises successives, le chômage a diminué à un niveau d’il y a quinze ans, autour de 7% ; jamais le chômage des jeunes n’a été aussi bas depuis quarante ans ; malgré les crises, il a poursuivi la baisse des impôts et taxes de 50 milliards d’euros ; enfin, il a accéléré la baisse des émissions de CO2 de 12%. Ses perspectives futures prennent appui sur ce bilan pour faire mieux, puisque, évidemment, il s’agit de ne pas se contenter de la situation présente, notamment pour le chômage où l’objectif en 2027, c’est d’arriver au plein emploi (c’est-à-dire un chômage à 5%).
La première chose qu’on peut dire, c’est que son projet est costaud, globalisant, solide tant intellectuellement que politiquement, et l’ennui de ce genre d’exercice, c’est d’en dire trop, d’être trop détaillé, si bien qu’il y a plein de mesures importantes qui peuvent être oubliées, passées dans l’indifférence. Mais il y avait aussi une urgence, il ne pouvait pas distiller chaque chapitre de son projet chaque semaine car il ne reste plus que trois semaines avant le premier tour.
Indépendamment de sa position dominante de Président sortant, de favori des sondages d’intentions de vote (ce qui est toujours dangereux car cela peut démobiliser son cœur d’électorat), de Président "en guerre" ou plutôt capable de nous éviter une guerre thermonucléaire car, malgré toutes les ignominies du Kremlin en Ukraine, il garde un contact essentiel (et exclusif) avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a présenté un projet qui, à lui seul, pourrait le placer parmi les favoris. C’est sûr qu’en présidant la France depuis cinq ans, il connaît tous les dossiers, tous les sujets chauds, ce qui a loupé (il n’hésite pas à dire qu’il a raté la réforme des retraites et la réforme des institutions) et aussi la manière d’aborder des sujets, avec d’autres méthodes, bref, il a l’expérience précieuse d’un premier mandat et c’était d’ailleurs le principal argument de Jean-Pierre Raffarin et Éric Woerth pour leur ralliement, considérant qu’on ne peut pas tous les cinq ans élire un novice qui risquerait de rater son quinquennat par manque d’expérience.
Mais un projet cohérent et excellent n’est pas suffisant pour gagner, puisqu’en 2017, le candidat qui avait le projet le plus abouti, le plus cohérent, le plus construit, était François Fillon et qu’il n’a finalement pas gagné, éliminé dès le premier tour, et je pense qu’il l’aurait été même sans "son affaire", car il promettait trop de sang et de larmes et aucun rêve. On voit en tout cas tant la marque d’Emmanuel Macron (c’est un projet personnel) et de sa solidité intellectuelle et philosophique.
Car c’est bien de philosophie politique qu’il faut parler : on parle d’un effondrement des idéologies, et c’est heureux car les idéologies en question étaient mortifères, en particulier les deux grandes du XXe siècle, mais cela ne signifie pas qu’il ne faut pas avoir un "cadre" philosophique dans lequel les Français doivent se retrouver (comme : libéralisme, étatisme, etc.). Or, la grande faiblesse intellectuelle d’Emmanuel Macron, c’était d’avoir créé un parti politique ex nihilo, sans tradition politique, sans tradition historique, sans tradition philosophie (du reste comme De Gaulle).
Ainsi, ce 17 mars 2022, Emmanuel Macron a présenté le cadre philosophique de son projet présidentiel : les trois principes qui l’inspirent sont la souveraineté nationale, la foi dans le progrès (social, technologique, scientifique), et l’attachement à l’humanisme. Tout cela couplé avec trois axes : l’indépendance de la France dans une Europe plus forte, la solidarité et le pacte républicain.
Tout son discours était très structuré, très clair même si les nombreux sujets abordés trop vite pouvaient laisser un goût de frustration sinon d’inachevé. Il faut aussi noter une certaine humilité : à de nombreuses reprises, il a évoqué son programme, ce qu’il compte faire en précision la condition, qu’il soit réélu par les Français, ce qui change un peu de certains ministres qui évoquent des mesures après mai 2022 sans faire remarquer qu’il y aura entre-temps un bouleversement politique (même si la majorité gagne, il y aura un nouveau gouvernement, une nouvelle majorité parlementaire).
Dans les mesures qu’il a proposées (ce n’est pas exhaustif et je conseille de se reporter au document écrit qui sera publié dans quelque temps), j’en expose quelques-unes.
Pour l’indépendance, d’abord, l’indépendance militaire qui montre bien son importance avec la guerre en Ukraine : la hausse du budget de programmation militaire (déjà réalisé en 2017 et renforcé par la remise à jour des besoins actuels), une mobilisation nationale, en particulier la généralisation du service national universel et une augmentation du nombre des réservistes dans l’armée. Mais Emmanuel Macron a décliné l’indépendance également dans le domaine de la production dans le secteur agricole, dans l’industrie (baisse ou suppression des impôts de production), un renforcement de la recherche et développement avec un nouveau plan de 25 milliards d’euros et une plus grande autonomie des universités pour en faire les acteurs majeurs des grands programmes de recherche (il cite de nombreux thèmes comme santé, numérique, quantique, etc.).
Ensuite, toujours dans l’indépendance, l’indépendance énergétique, il propose la renégociation des prix des énergies (qui ne doivent plus être indexés sur celui du gaz). Les conséquences de la guerre vont dans le même sens que la transition écologique avec trois points : le renforcement des énergies renouvelables (dix fois plus de solaire, de l’éolien marin), le redéploiement du parc nucléaire français avec six nouveaux réacteurs à court terme et huit autres à moyen terme (tout en justifiant la fermeture de la centrale de Fessenheim qui n’avait plus été entretenue depuis la décision de l’arrêter prise en 2012), enfin, les mesures pour réduire la consommation d’énergie, avec un renforcement des aides, avec pour objectif la rénovation thermique de 700 000 logements par an, des aides pour l’acquisition d’une automobile électrique, etc. Ce mix énergétique est la meilleure façon de réduire les émissions de carbone qui soit synonyme de la rapidité, l’efficacité et la souveraineté.
Enfin, une indépendance culturelle et informationnelle, il souhaite promouvoir une information indépendante et libre, propre à la France, la production de documentaires français, etc., un point stratégique quand on voit les nombreuses officines de désinformation en pleine guerre en Ukraine.
Sur le plan social, Emmanuel Macron propose de travailler plus, en plusieurs points : le plein emploi, il souhaite transformer Pôle Emploi par France Travail (à préciser, il ne faudrait pas que ce ne soit qu’un changement d’appellation), il souhaite comme prévu la retraite à 65 ans, à condition de prendre en compte aussi les carrières longues et les métiers manuels, il souhaite enfin la réforme du RSA en y mettant une véritable composante d’accompagnement pour le retour à l’emploi, en généralisant le contrat engagement jeune mis en place le 1er mars 2021. Il propose enfin d’assouplir le cumul emploi-retraite en permettant que l’emploi en question donne des droits supplémentaires pour la retraite.
Dans la grande partie pour la société plus unie, Emmanuel Macron propose de prendre des mesures importantes contre le harcèlement des jeunes ados, et filtrer les écrans pour la jeunesse, il veut renforcer l’inclusivité dans les écoles, à l’image de son premier quinquennat où 400 000 enfants en situation de handicap ont été scolarisés, soit 85 000 de plus en cinq ans, grâce au recrutement d’un tiers de plus des AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) et propose des contrats de 35 heures pour les AESH. Pour les femmes, il veut améliorer la santé féminine, renforcer l’aide aux familles monoparentales, etc.
Sur deux grands thèmes qui sont sources d’inégalité, malgré les gros efforts financiers déjà entrepris, Emmanuel Macron suggère des rounds de concertation pour améliorer l’école et la santé, tout en gardant une politique nationale, mais qu’elle puisse être adaptée au local selon les acteurs sur le terrain.
Le candidat Président propose aussi de réaliser la solidarité à la source, comme l’impôt à la source, ce qui est plus rapide et plus efficace pour lutter contre la fraude. Il annonce aussi le triplement (il me semble, à confirmer) de la prime d’activité, la réduction des droits de succession, avec une exonération de 150 000 euros au lieu de 100 000 euros, la suppression de la redevance de l’audiovisuel public (mesure qui était amenée à disparaître avec la taxe d’habitation, ce n’est donc pas nouveau), tout en réaffirmant sa volonté de soutenir l’indépendance de l’audiovisuel public.
Autres mesures de solidarité nationale parmi d’autres : la réforme du compte épargne temps en compte épargne temps universel qui puisse être récupérable d’un employeur à un autre et beaucoup plus souple ; le minimum vieillesse à 1 100 euros ; une réforme réelle pour la dépendance, l’aide aux aidants de personnes dépendantes, mais aussi rester le plus possible à domicile au lieu d’habiter en EHPAD (à mieux contrôler), avec une aide équivalente à la prime de rénovation thermique pour adapter le domicile à la dépendance (ce qui valorise le logement et qui évite de le quitter), ainsi qu’une aide de deux heures par semaine supplémentaire d’accompagnement.
Dans le cadre du pacte républicain, il a rappelé son discours des Mureaux contre le séparatisme, il a évoqué l’immigration et le droit d’asile (il souhaite qu’un refus d’asile soit équivalent à une expulsion), rappelant qu’il a réduit les délais de réponse aux demandeurs d’asile, une politique plus ferme des visas à l’égard des pays qui refusent une coopération avec la France à ce sujet. Il annonce le recrutement de plus de policiers et de juges. Il a réaffirmé la vocation de l’État d’être au service de la nation, il faut multiplier les simplifications, réduire les délais, etc. Il reprend la réforme de Nicolas Sarkozy qui avait créé les conseillers territoriaux en remplacement des conseilleurs départementaux (généraux) et régionaux (réforme remise en cause par son successeur).
Enfin, la dernière proposition, et cela ne semble pas le passionner et je pense qu’il a raison de ne pas y accorder une importance démente car il y a bien d’autres enjeux plus urgents et cruciaux et on ne sait jamais ce que signifie un changement de règles institutionnelles (on l’a vu pour le quinquennat), instruit par l’échec de sa réforme de 2018, Emmanuel Macron propose la mise en place d’une commission transpartisane pour rénover les institutions en gardant trois points à l’esprit : garder un exécutif fort sinon, il serait impossible de gouverner en période de crise, mais avoir aussi un Parlement fort avec plus de capacité de contrôle du gouvernement, et enfin, avoir une meilleure représentativité (ce point institutionnel a été présenté de manière suffisamment flou pour satisfaire les partisans et les opposants à des réformes de fond).
Pour conclure, ceux qui considèrent qu’il n’y a pas eu encore campagne ni débat pourront se rassurer : avec ce pavé très dense dans la mare électorale, Emmanuel Macron permet à tous ses concurrents de réagir et d’interargir, tant sur ses propositions que sur son bilan, quitte à en agacer certains qui promettaient déjà certaines de ces mesures. Cette conférence de presse aura sans doute l’effet de faire rebondir le débat public et de susciter diverses réactions voire polémique. Mais c’est ça, une campagne !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (17 mars 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Élysée 2022 (35) : le projet présidentiel du candidat Emmanuel Macron.
Présentation du projet présidentiel d’Emmanuel Macron le 17 mars 2022 à Aubervilliers (vidéo).
Programme du candidat Emmanuel Macron pour 2022 (à télécharger).
Élysée 2022 (33) : Emmanuel Macron à 30% ?
Élysée 2022 (32) : Emmanuel Macron candidat !
Lettre du candidat Emmanuel Macron à tous les Français le 3 mars 2022 (texte intégral).
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron sur la guerre en Ukraine le 2 mars 2022 (vidéo et texte intégral).
Nous Européens, nous sommes tous des Ukrainiens !
La repentance nucléaire : Emmanuel Macron à Belfort.
Élysée 2022 (29) : Emmanuel Macron sera-t-il candidat un jour ?
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