Élysée 2022 (39) : programme minimum pour la campagne présidentielle ?
« On n’est jamais vieux quand on regarde la télévision, on est juste déjà mort. Le corps ne sert à rien et le cerveau non plus, le temps passe, on joue à se faire croire qu’on s’amuse alors qu’on n’a jamais ressenti un ennui si profond, si intime. » (Nicolas Ancion, "Les ours n’ont pas de problème de parking", éd. Le Grand Miroir, 2001).
Il ne reste plus qu’une semaine de campagne électorale avant le premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril 2022 et le moins qu’on puisse dire, c’est que les médias en parlent très peu. Il suffit de zapper sur les chaînes d’information continue pour se rendre compte à quel point nous ne sommes pas en campagne, ou alors, il faut comprendre le mot campagne de façon guerrière : nous sommes en pleine guerre en Ukraine.
Il y a donc manifestement une grande responsabilité des médias à parler aussi peu de la campagne présidentielle. Parfois, on occupe l’antenne sur l’Ukraine jusque de manière très dérisoire, alors que le choix du prochain Président de la République est d’une importance historique. On ne se rend pas compte que le temps est bref.
Certains ont considéré que ce temps de campagne a été dénaturé par le Président sortant Emmanuel Macron, mais je pense que c’est une erreur de reporter cette responsabilité sur lui. D’une part, il ne continuerait pas à agir sur le plan diplomatique qu’il serait fortement critiqué. D’autre part, et on le voit dans les sondages depuis deux semaines, ne pas faire campagne se fait à son détriment et pas à son profit, tout comme De Gaulle en 1965. Ne pas faire campagne, c’est en quelque sorte mépriser les Français, et Emmanuel Macron en est d’ailleurs tout à fait conscient et persuadé qu’il faut agir, aller à la rencontrer des Français.
Les pleureuses qui fustigent le comportement d’Emmanuel Macron à ce sujet sont assez ridicules. Jamais François Fillon n’aurait porté un jugement sur la non-campagne d’un concurrent pour la bonne raison que cela l’avantagerait et que lui ne s’occupait pas de ses adversaires, il menait campagne avec son propre fil conducteur, ce qui avait fait son succès à la primaire LR. Si la campagne de Valérie Pécresse n’imprime pas, ce n’est certainement pas à cause d’Emmanuel Macron, c’est à cause d’elle, de ses thèmes de campagne (trop insistants sur l’immigration, pas assez sur le pouvoir d’achat). Si un candidat doit exister uniquement en se positionnant par rapport à un autre, alors, il est inexistant.
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont continué à faire campagne, Emmanuel Macron candidat déclaré ou pas, la guerre en Ukraine déclarée ou pas, ils ont mené leur entreprise jusqu’au bout avec leur programme. On pourrait dire de même avec Éric Zemmour qui a multiplié les meetings ces dernières semaines, si ce n’est que, comme Valérie Pécresse, il n’a pas pris le thème de campagne le plus attendu des électeurs. Quant à Anne Hidalgo, si les résultats du premier tour se confirment et sont conformes aux sondages actuels, ce sera une véritable énigme : comment une candidate d’un parti aussi installé aura pu faire aussi bas ? (du reste, personnellement, je m’en réjouis).
Mais je crois qu’il ne faut pas reporter toute l’inconsistance de la campagne présidentielle sur la guerre en Ukraine (qui reste un événement historique d’importance mondiale et la première crise que le candidat élu le 24 avril 2022, ou la candidate, aura à gérer).
Il y a à mon sens une autre raison plus structurelle, provenant des médias eux-mêmes, mais aussi de la réglementation institutionnelle de plus en plus loufoque. Elle est régie principalement par deux lois, la loi organique n°2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle et la loi n°2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles aux élections. En particulier, le temps de parole est sévèrement contrôlé pendant la campagne électorale et la nouvelle réglementation applicable déjà à l’élection présidentielle de 2017 a introduit le concept d’équité du 1er janvier 2022 au 7 mars 2022, puis d’équité renforcée du 8 mars 2022 au 27 mars 2022, le 8 mars 2022 étant la date de publication de la liste officielle des candidats à l’élection présidentielle.
L’équité est un critère difficile à appréhender, elle pondère l’importance de chaque candidat en fonction de sa représentativité à la dernière élection et de l’activité du candidat (s’il ne fait aucun meeting, aucune déclaration publique, il est normal de ne pas en parler dans les médias). Elle ne dépend pas des sondages d’intentions de vote, ce qui permet à Anne Hidalgo d’avoir été beaucoup mieux traitée avant le 28 mars 2022 que Jean Lassalle, par exemple, alors qu’elle navigue dans les mêmes estimations électorales.
Invité de Guillaume Erner le 28 mars 2022 sur France Culture, Anne Grand d’Esnon, membre de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique qui vient de remplacer le CSA) et présidente du groupe de travail "Pluralisme, déontologie, supervision des plateformes en ligne", a expliqué le régime d’après le 28 mars 2022 : « Chaque candidat et ses soutiens doivent avoir exactement le même temps d’antenne et de parole afin de ne pas défavoriser un candidat par rapport à un autre, et ce pendant quinze jours. (…) Dès qu’il y a diffusion sur une antenne, c’est comptabilisé, que ce soit la reprise d’un programme passé ou n programme originel. ». Donc, également quand ce programme est repris sur Internet.
Du 28 mars 2022 au 8 avril 2022, pendant la campagne officielle, on n’est effectivement plus en régime d’équité renforcée mais d’égalité absolue des temps de parole, ce qui paraît normal puisque chaque candidat doit être placé dans les mêmes conditions. On aurait pu d’ailleurs imaginer que ce régime de stricte égalité soit applicable dès la publication de la liste officielle des candidats.
Ainsi, Emmanuel Macron aurait dû faire son grand meeting à La Défense une semaine avant, le 26 mars 2022 au lieu du 2 avril 2022 après-midi, car cela lui aurait permis d’avoir une retransmission en direct et dans son intégralité sur les chaînes d’information continue. Après le 28 mars 2022, impossible pour les chaînes de diffuser intégralement un long meeting sans le faire également pour les onze autres candidats dans les mêmes créneaux horaires, c’est techniquement impossible ! Et c’est là le problème, car il n’y a pas un temps infini d’antenne, d’autant plus que l’équilibre (l’égalité) doit se faire à chaque tranche horaire (ce qui est normal, sinon, on mettrait les "petits candidats" en pleine nuit et les "grands candidats" en "prime time").
Mais il y a une différence dans l’application de cette règle par rapport à 2017, car les dispositions ont été complétées par la recommandation du CSA du 6 octobre 2021 : sont pris en compte non seulement le temps de parole du candidat et de ses soutiens, représentants ou revendiqués (la hantise des journalistes, c’est d’interviewer une personnalité supposée neutre qui annonce son soutien à l’un des candidats, car il faut ensuite rééquilibrer avec les onze autres candidats !), mais aussi le temps d’antenne consacré à ce même candidat, par exemple, quand un éditorialiste commente un fait ou une proposition d’un candidat.
Ainsi, c’est le moins disant qui fait la référence : une chaîne de télévision ou une station de radio serait incapable de passer autant de temps d’antenne sur les faits et gestes de Jean Lassalle que sur la politique sécuritaire ou migratoire d’Éric Zemmour comme l’électeur téléspectateur en a été inondé pendant tout l’automne dernier. Alors, la guerre en Ukraine est une aubaine pour ces antennes d’en faire le moins possible sur la campagne présidentielle pour simplifier leurs tâches, mais cela n’aide pas la démocratie.
La campagne est donc monotone car elle ne fait pas preuve de beaucoup d’originalité. L’ordre d’arrivée au premier tour sera probablement l’ordre des candidats qui auront fait le mieux campagne, exception faite du Président sortant dont le statut spécial peut l’avantager ou, au contraire, le désavantager.
Rappelons donc qui sont les différents candidats et lisons aussi leur programme, même si je considère que l’élection présidentielle désigne une personne et pas un parti politique, et je préfère plutôt connaître les valeurs et les principes qui animent le candidat plutôt qu’il se cadenasse avec un programme qui sera immédiatement périmé dès qu’il sera en mesure de l’appliquer, car à part pour les sortants ou proches des sortants, aucun candidat ne peut avoir une vision réaliste et précise de la situation de la France, base de toute action future.
Sur les douze candidats, sept étaient déjà candidats en 2017, dont cinq également en 2012 : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Poutou et Nathalie Arthaud. Il n’y a qu’en France qu’on reprend les mêmes (perdants) et on recommence. C’est vrai, François Mitterrand et Jacques Chirac ont été élue à la troisième tentative (les seuls réélus au suffrage universel direct d’ailleurs), mais la troisième tentative a été souvent une tentative de trop : François Bayrou, Jacques Cheminade, sans compter les multirécidivistes Arlette Laguiller (6 candidatures) et Jean-Marie Le Pen (5 candidatures) ! Mais la règle de première élection, en général, c’est de se faire élire dès la première candidature (pour six Présidents de la République sur huit).
Parmi les cinq "primocandidats" (premières candidatures), un est chef de parti (Fabien Roussel), probablement le moins connu des candidats, un est un polémiste hypermédiatisé à la télévision depuis près de vingt ans (Éric Zemmour), deux ont été des seconds couteaux au rôle important (Anne Hidalgo, maire de Paris ; Valérie Pécresse, ancienne ministre et présidente du conseil régional d’île-de-France), et un a été tête de la liste aux dernières européennes arrivée en troisième position (Yannick Jadot).
Contrairement à ce que les sondages semblent indiquer, l’issue de l’élection est beaucoup plus incertaine qu’imaginée, les écarts se réduisent dans les sondages et l’enjeu reste important. Cette incertitude va sans doute réveiller quelques électeurs pris au piège du à-quoi-bonisme.
En clair, on ne peut pas dire que nos candidats sont des inconnus de la vie politique. Et les moins connus ne sont pas forcément ceux qui auront le moins de voix, car parfois, c’est parce qu’on connaît trop bien un candidat qu’on ne veut surtout pas qu’il soit au pouvoir. Tous les candidats sont très différents et le choix reste crucial pour l’histoire et l’avenir de la France. Qu’ils prennent des forces, c’est le sprint final !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (02 avril 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Relevé du temps de parole des douze candidats de 2022 dans l’audiovisuel, par l’Arcom.
Élysée 2022 (39) : programme minimum pour la campagne présidentielle ?
Emmanuel Macron.
Projet du candidat Emmanuel Macron pour 2022 (à télécharger).
Marine Le Pen.
Programme 2022 de la candidate Marine Le Pen (à télécharger).
Jean-Luc Mélenchon.
Programme 2022 du candidat Jean-Luc Mélenchon.
Valérie Pécresse.
Programme 2022 de la candidate Valérie Pécresse (à télécharger).
Éric Zemmour.
Programme 2022 du candidat Éric Zemmour (à télécharger).
Yannick Jadot.
Programme 2022 du candidat Yannick Jadot (à télécharger).
Fabien Roussel.
Programme 2022 du candidat Fabien Roussel (à télécharger).
Jean Lassalle.
Programme 2022 du candidat Jean Lassalle (à télécharger).
Nicolas Dupont-Aignan.
Programme 2022 du candidat Nicolas Dupont-Aignan (à télécharger).
Anne Hidalgo.
Programme 2022 de la candidate Anne Hidalgo (à télécharger).
Philippe Poutou.
Programme 2022 du candidat Philippe Poutou (à télécharger).
Nathalie Arthaud.
Programme 2022 de la candidate Nathalie Arthaud (à télécharger).
Petits candidats et grands candidats.
L'abstention, c'est grave, docteur ?
Élysée 2022 (34) : la liste officielle des 12 candidats.
Élysée 2022 (33) : Emmanuel Macron à 30% ?
Sondage Ipsos publié le 5 mars 2022 à télécharger.
François Bayrou, le parrain de Marine Le Pen.
Situation des parrainages pour les candidats de la présidentielle de 2022 (arrêtée au 7 mars 2022).
Le serpent de mer des parrainages pour la présidentielle.
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