Embrouillamini et mini brouilles
LeMonde Dioplodocus, qu'on a connu mieux inspiré, a publié un malheureux brouillon sous un titre qui se veut sexy : Les embrouilles idéologiques de l’extrême droite.
La présentation du texte est la suivante : « L’absence d’ambitions de la gauche, ou son incapacité à les réaliser, encourage l’extrême droite à la détrousser de ses idées les plus porteuses. Quitte pour celle-ci à y injecter sa véhémence, son acrimonie, ses obsessions nationales ou religieuses. Dans ce registre qui entremêle sans relâche « gauche du travail et droite des valeurs », Alain Soral est devenu une vedette du Net. »

Le sujet du réquisitoire annoncé serait donc Alain Soral. On mesure la violence du propos :
" les vidéos mensuelles de Soral sur son site (Ecoute-moi et Regarde-moi), dont l’audience n’est, elle, assurément pas anecdotique, en particulier chez les jeunes (quinze millions de vues pour trois cent quatre-vingt-deux vidéos), permettent d’éclairer ce qui se joue.
Soral s’adresse, en son seul nom, aux citoyens de bonne volonté qui essaient de comprendre quelque chose à tout ce « bordel » — terme « soralien ». En tee-shirt, sur un canapé, désinvolte et concentré, il explique la situation : l’actualité, et le sens de l’histoire. Son passé témoigne de sa sensibilité d’artiste : plusieurs films, un roman. Mais également de son courage intellectuel, car son parcours politique correspond aux tentations de bien des inquiets."
"Adepte de surcroît des sports de combat (boxes, et française et anglaise), il se présente, discrètement mais fermement, comme la symbiose d’un adolescent prolongé — caractérisé comme il se doit par l’intensité de son questionnement, le non-conformisme de ses engagements (et dégagements) — et d’un individu presque moyen, confronté à la solitude héroïque mais musclée de celui qui, sans parti, sans appui, contre tous, tente d’y voir clair
". Sous le parrainage intrépidement conjoint d’une sainte guerrière et de dirigeants politiques peu portés sur le consensus, Soral donne son analyse et ses réponses."
" Soral pourrait même donner à croire qu’il est, non pas, comme il le prétend, « marxiste » — il faudrait être distrait de façon persévérante —, mais à la recherche d’une « gauche authentique ».
" C’est que sa véritable obsession est bien moins la justice sociale que le sauvetage de la France — « Je veux sauver la France, voilà » (vidéo rentrée 2012, 3e partie) — et ce qu’elle lui paraît représenter. En d’autres termes, la politique lui importe moins que la morale, la révolution moins que la nation. La morale, pour le sens qu’on peut donner à sa vie personnelle ; la nation, pour le sens qu’on peut donner à la vie collective."
"Il serait néanmoins frivole de considérer que les habitués de Soral sont tous de la graine de fascistes. Il le serait tout autant de ne pas prêter attention à ce qui, dans son discours, est un « embrayeur » d’équivoque, un facilitateur de dévoiement."
Tant de complaisance laisse rêveur. Je m'étais moi-même montré assez indulgent avec ce Pauvre Soral dans un petit article qui avait eu une audience beaucoup plus modeste. Cependant j'avais subi les assauts fort prévisibles des sections soraliennes. Mais, contrairement à Evelyne Pieiller qui finalement a commis un plaidoyer dans Le Monde Diplodocus, je ne m'étais pas montré admiratif d’Alain Soral. J'ai donc pensé que, si j'avais mérité les foudres de ses partisans, Evelyne Pieiller, elle, aurait mérité leurs remerciements. Mais non, elle a reçu une lettre publiée sur Ecoute-moi et Regarde-moi.
Cette lettre est signée par un Max Lévy qui est peut-être un pseudonyme et un clin d'oeil à Bernard Henri. Elle s’adresse en termes fort cavaliers à la pauvre Pieiller :
Afin de vous éviter une céphalée, je vais vous livrer un remède : acceptez l’idée que l’Internationale communiste est un instrument historique et idéologique du Capital mondial. (…)Tout semble démontrer dans vos propos que ce sont surtout les repères idéologiques de la gauche radicale qui volent en éclat face à la réalité.
Alain Soral prône un nationalisme social, c’est-à-dire une organisation économique et politique fondée sur la justice sociale et l’unité nationale afin de lutter contre l’injustice sociale et la guerre civile voulues par les oligarchies transnationales... :
En lisant cette lettre (qui, soit dit en passant, est mieux écrite que son pensum), Evelyne Pieiller, qui a pour Alain Soral les yeux de Chimène, a dû susurrer : "Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny !
http://www.youtube.com/watch?v=6LQWo_mhGXQ
Ose-t-elle suggérer que son champion est peut-être un peu antisémite sur les bords, Max Lévy lui rétorque :
« Il est évidemment diablement tentant pour ses adversaires d’agiter la menace nazie afin de le discréditer. Malheureusement pour eux, de plus en plus de Français se libèrent du carcan idéologique de la « gauche » et constatent que le nationalisme social français n’a rien à voir avec un projet de suprématie raciale germanique.
Vous aurez eu au moins le mérite de vous y essayer avec un peu moins de balourdise que certains de vos confrères. »[1]
Elle n’a jamais parlé de « nazisme », la pauvre, tout juste un peu d'une forme de fascisme. Mais, comme on peut le constater, ce passage à tabac se termine par un petit compliment.
En revanche, ce Max Lévy, sachant que le fascisme a vraiment mauvaise presse, n’hésite pas un instant à faire une déclaration qui, à ses yeux, pourrait le réhabiliter : « face à l’idéologie de la révolution permanente, seule une éthique enracinée peut prévaloir ».
Ce « repli national, éthique » que partagent les tenants de la « droite nationale » (de Buisson à Zemmour) et qui fait hurler les gauchistes, ce n’est pas le « protectionnisme économique » et la « sortie de l’euro » que défendent, par exemple, Jacques Sapir et Frédéric Lordon.
http://www.youtube.com/watch?v=wIDsWf6HZE4
Le Front National est effectivement le seul parti politique de dimension électorale à promouvoir le « protectionnisme économique » et la « sortie de l’euro ». Il n’hésite pas à se réclamer des idées de Jacques Sapir et de Frédéric Lordon, et même d’Emmanuel Todd, qui, comme on sait, sont classés à gauche. Le Front de Gauche, lui, hésite encore à ce sujet.[2]
C’est la raison pour laquelle l’audience du Front National s’est élargie dans l’électorat de gauche, au-delà de la droite nationale de Zemmour et de Buisson. Mais il est loin d'être certain que le Front National parvenant aux affaires entreprenne effectivement de sortir de l'euro. Après tout, la cure risquerait d'être sévère pour les rentiers et les retraités. Et le Front National, s'il aime afficher les jeunes aux dents longues qui ont rejoint ses rangs, réussit ses meilleurs scores, comme Nicolas Sarkozy, chez les personnes âgées.
Pour en revenir à Soral, qui lui aussi veut jouer les jeunes, si son audience peut sembler considérable, c’est uniquement parce que l’audience du Front National s’est élargie. La pauvre Evelyne remarque, admirative, que le site internet de Soral « est 269e au classement Alexa (réputé fiable) qui hiérarchise les sites français en fonction du trafic qu’ils génèrent. Celui de Télérama occupe la 260e place… »
Qu’en est-il du site de « Ceux qui aiment Zemmour » ? Il faut d’ailleurs faire la part de ceux qui, comme moi, peuvent visualiser les prestations de Soral ou Zemmour pour s’informer un peu et rigoler franchement.
Il n’échappe à personne que Soral et Zemmour sont deux porte-parole des « beaufs décomplexés » : Soral en est la version canaille, un peu sulfureuse et très musculeuse ; Zemmour, la version « premier de la classe », à qui il arrive aussi de se déclarer marxiste pour faire marrer les Balkany.
On m'a reproché, la dernière fois, d'avoir abordé le cas de ce "Pauvre Soral" du point de vue de la psychologie, voire de la psychiatrie. Et ici encore, Max la Menace pourrait m’interpeller : « Vous tentez vainement de vider la pensée soralienne de sa dimension politique en la réduisant à une morale individuelle imprégnée de mystique nationale ». « La pensée soralienne » ! Vous n’avez pas peur de mots, mon vieux (mais c’est peut-être Soral qui parle de lui à la troisième personne). Je persiste à penser que la psychologie, voire la psychiatrie, est la meilleure façon d'aborder ces cas comme ça, qu'ils se nomment Soral, Zemmour ou Evelyne Pieiller : du point de vue de la peste émotionnelle.
Emmanuel Todd le déplorait déjà en 1979 : "
"On refuse pourtant d’admettre que le mouvement qui portait certains petits-bourgeois vers le nazisme pouvait en porter d’autres vers le communisme, d’autres encore vers le suicide ou la maladie mentale. D’un point de vue psychiatrique, tous les extrémismes politiques relèvent d’une même catégorie définie par un symptôme banal, le besoin de violence et de pouvoir. Le désir aussi, de soumission."[3]
La petite dame avait de bonnes intentions. Le portrait qu’elle faisait de son idole commençait par une pâmoison devant son site : " A gauche de l’écran, Hugo Chávez, Ernesto Guevara, Mouammar Khadafi, Patrice Lumumba et Thomas Sankara, ainsi que MM. Mahmoud Ahmadinejad, Fidel Castro et Vladimir Poutine. A droite, Jeanne d’Arc et le créateur de ces rencontres du troisième type, Alain Soral."
Evelyne se souvient-elle du regretté Georges Fresche ? Avec plus de classe et plus de talent que l’auteur Des mouvements de jeunes expliqués au parents, il avait scandalisé le bourgeois en dispersant dans sa bonne de Montpellier des statues de ses grands hommes à lui : Lénine et Churchill, Staline et Mao ? Alain Soral devrait lui être reconnaissant et l’inviter au restaurant.
[1] Madame Pieiller,
Vous avez signé un article dans Le Monde diplomatique consacré au cas d’Alain Soral, que vous identifiez comme une figure de proue de l’entreprise de dépossession des valeurs de « la gauche » par « l’extrême droite ».
Sous le vernis d’impartialité analytique de votre article perce l’impérieuse nécessité d’une réappropriation de ces idéaux dont « la gauche », jadis usufruitière, se voit « détroussée ».
Vous attribuez d’ailleurs la responsabilité de cette rapine à la victime, laquelle se serait laissée dépouiller de ses bijoux de famille idéologiques, acculée ainsi à la prévarication par manque d’ambition ou d’impuissance.
C’est justice, car si le trousseau était chatoyant, c’est le peuple qui paye la dot aujourd’hui.
Moscovici acclamé par le Medef, De Benoist plaidant pour nationaliser les banques, les deux Fronts ennemis s’accordant sur la souveraineté populaire... Vous vous alarmez de ce « brouillage des repères dans l’air politique du temps » : où est la droite, où est la gauche ? Comble de l’horreur inversive, un élue communiste candidate à Marseille sous étiquette Front national... Vous prévenez : « Il est peut-être paresseux de considérer que ce sont là des démarches saisissantes, mais anecdotiques (...). C’est bien plutôt le signe d’une sérieuse confusion. »
Où allez vous débusquer les raisons de cette confusion angoissante ? « Les vidéos mensuelles de Soral sur son site (...) permettent d’éclairer ce qui se joue. » Là, celui que vous décrivez élégamment comme la « symbiose d’un adolescent prolongé (...) et d’un individu presque moyen », instillerait à la jeunesse le poison de l’idée de nation comme rempart à l’invasion idéologique libérale.
Si vous lui reconnaissez le mérite de vouloir en finir avec « l’oligarchie de la rente sur le travail humain », vous lui reprochez de privilégier la morale et la nation au détriment de la politique et de la révolution.
« C’est que sa véritable obsession est bien moins la justice sociale que le sauvetage de la France », déplorez-vous. Ce découplage conceptuel de notions que Soral parvient justement à articuler ne sert pas votre démonstration. Car si vous ne vous étiez pas contentée d’écouter mais aviez cherché aussi à comprendre, vous sauriez que la justice sociale est une condition du sauvetage de la France et que face à l’idéologie de la révolution permanente, seule une éthique enracinée peut prévaloir.
Vous tentez vainement de vider la pensée soralienne de sa dimension politique en la réduisant à une morale individuelle imprégnée de mystique nationale. À quelle fin ?
L’explication ne tarde pas :
« Évidemment, il lui est facile de préférer parler d’antisionisme ou d’opposition à la politique d’Israël. Mais c’est tout bonnement de l’antisémitisme. »
Et vous ajoutez :
« Pourtant, ce déchaînement maniaque ne suffit pas à le discréditer auprès de ses fidèles. C’est que les théories du complot (...) renvoient à ce grand sentiment d’impuissance (...) que n’atténuent guère les attaques (...) fréquentes contre les élites et l’oligarchie. »
Où l’on peut grâce à vous distinguer clairement deux types de remèdes à ce « grand sentiment d’impuissance » : combattre l’oligarchie en l’attaquant ou la servir en dénigrant ceux qui ont le courage de le faire.
Ainsi, vos concessions frileuses (« C’est sans doute aussi que, parfois, existent des arrangements effectivement tenus secrets ») dissimulent avec peine combien les catégories dont vous usez appartiennent à ceux que vous prétendez combattre.
Vous qualifiez la partition bicéphale de la représentation politique de « repère idéologique ». Cette expression laudative masque la nature réelle de ces piliers spectaculaires du temple « démocratique » : ce ne sont que les slogans publicitaires d’une entreprise à visée unique consistant à faire plier les peuples face aux ambitions de l’oligarchie financière mondiale. Tout semble démontrer dans vos propos que ce sont surtout les repères idéologiques de la gauche radicale qui volent en éclat face à la réalité.
Quand l’Histoire fait tomber les masques, les rapports de forces réels apparaissent. Qu’un homme se lève et livre au peuple une synthèse des enjeux structurels que ces rapports de force impliquent et voilà la gauche radicale qui se gratte la tête en se demandant pourquoi le réel ne rentre plus dans le moule idéologique de l’internationalisme prolétaire.
Afin de vous éviter une céphalée, je vais vous livrer un remède : acceptez l’idée que l’Internationale communiste est un instrument historique et idéologique du Capital mondial.
Déposez votre hochet « rouge-brun » au pied de ses concepteurs et cessez de convoquer l’Histoire pour faire trembler dans les chaumières. Il n’y a pas d’un côté « la gauche déterminée à créer les conditions d’une véritable justice sociale » et de l’autre « la droite extrême » dont elle devrait urgemment se distinguer en pérorant son dégoût.
Alain Soral prône un nationalisme social, c’est-à-dire une organisation économique et politique fondée sur la justice sociale et l’unité nationale afin de lutter contre l’injustice sociale et la guerre civile voulues par les oligarchies transnationales.
Il est évidemment diablement tentant pour ses adversaires d’agiter la menace nazie afin de le discréditer. Malheureusement pour eux, de plus en plus de Français se libèrent du carcan idéologique de la « gauche » et constatent que le nationalisme social français n’a rien à voir avec un projet de suprématie raciale germanique.
Vous aurez eu au moins le mérite de vous y essayer avec un peu moins de balourdise que certains de vos confrères.
Max Lévy
[2] Se souvenir du débat Sapir / Melenchon
[3] Le fou et le prolétaire (1979). Todd écrit aussi : « Parce que le nationalisme et le communisme représentent une bonne partie de l’histoire de France, beaucoup trouveront scandaleuse cette réduction de l’idéologie à la psychose, qui implique nécessairement que l’on considère de grands lambeaux de surexcitation nationale pour ce qu’ils sont, des délires psychotiques. Mais peut-être pouvons-nous, en 1979, nous offrir un meurtre de l’arrière-grand-père. »
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