Emmanuel Macron est-il si moderne que cela ?
La démission du désormais ex-ministre de l'économie du gouvernement, ce 30 août, laisse présager une candidature pour la présidentielle de 2017. Lui se voit jeune, moderne, et même antisystème. Mais qu'en est-il réellement du phénomène Macron ?
Pour les proches du ministre, sa démission du gouvernement Valls était un secret de polichinelle. Emmanuel Macron préparait cela depuis plusieurs mois. Il commençait même à agacer, au sein du gouvernement. Le premier ministre, Manuel Valls, en tête. Les prémices de cette démission étaient visibles dès le premier meeting de son mouvement "En Marche", le 12 juillet. Une petite phrase lourde de sens : "Ce mouvement, nous le porterons ensemble jusqu'en 2017 et jusqu'à la victoire !". Ainsi, Emmanuel Macron lançait les contours de son dessein, deux jours avant l'intervention annuelle du Président de la République. Une petite provocation contre celui qui l'avait pourtant propulsé dans la notoriété. Pourtant, François Hollande espérait une fidélité sans faille de son protégé... Mais les sirènes du carriérisme individuel ont sonné. Une sorte de Brutus des temps modernes pour certains, prêt à tuer le père Hollande... Car oui, Emmanuel Macron est un bébé politique créé de toute pièce par le monde politique. Un milieu qu'il attaque désormais.
Emmanuel Macron est-il vraiment le candidat du renouveau ?
Le parcours du ministre est assez atypique, parfois surprenant. Le plus cocasse : peut-être, lorsqu'il s'était rapproché du mouvement de Jean-Pierre Chevènement dans les années 90, le Mouvement des Citoyens. Un parti, parfois qualifié de "gaulliste de gauche", hostile à la construction européenne, à l'économie libérale, à l'Euro, au désengagement de l'Etat dans les services publics... Bien loin des idées actuelles du leader d'"En Marche".
Après 2002, il s'encarte au Parti Socialiste. Ses opinions évoluent et s'éclaircissent. Proche de Michel Rocard, il prône rapidement un rapprochement idéologique entre le PS et le centre, le Modem de François Bayrou. Sa première rencontre avec François Hollande se fait, en 2006, par l'intermédiaire de Jean-Pierre Jouyet. Enarque puis banquier d'affaires chez Rothschild, Emmanuel Macron attire. Sa proximité avec le volatil Jean-Pierre Jouyet (un temps proche de Lionel Jospin, puis membre du gouvernement Fillon et, enfin, conseiller de François Hollande) va l'aider. D'ailleurs, en 2010, il refuse une proposition pour rejoindre le cabinet de François Fillon. Après l'élection de François Hollande en 2012, il devient secrétaire général adjoint de l'Elysée.
De plus en plus ambitieux
Deux ans plus tard, à 36 ans, il devient ministre de l'économie. Il prend du grade. Il s'affirme et cela passe notamment par des petites piques : contre la jeunesse française qui manquerait "d'ambition à devenir milliardaire" ou "contre "l'illettrisme" de certains salariés d'une usine en faillite. Néanmoins, le ministre parvient à orienter économiquement les ambitions d'un gouvernement devenu ouvertement social-libéral. Un gouvernement qui s'éloigne alors clairement des projets initiaux du discours du Bourget, de 2012, du candidat Hollande. Son style décoince l'aile libérale du Parti Socialiste qui voit, en lui, un nouveau Dominique Strauss-Kahn en puissance. Grisé par le soutien d'une partie du centre et de la droite, il fait le tour des banques, va à la rencontre du milieu des affaires anglo-saxons, à la recherche d'investissements... Il tâte le terrain pour sa carrière politique. Mais, comment peut-il avoir tant de facilités d'accès, à gauche, comme à droite ? Seulement par son talent ? Lui qui n'a jamais été élu ! Indéniablement ses relations avec Rotschild, Jouyet, Attali, membres du club influent du "Siècle", ont permis à Emmanuel Macron d'intégrer les hautes sphères. Egalement, ses entrées dans les dîners mondains assurent au ministre le tissage d'un réseau, qu'il soit banquier ou qu'il soit politique de gauche à droite.
Emmanuel Macron rend flou le clivage PS/LR
Il souhaite incarner le candidat "moderne", "progressiste", "jeune", en phase avec son temps. C'est ainsi qu'il renvoie le socialisme à une idée passéiste. Quel beau pied de nez à son demi-père politique, François Hollande ! Son projet est clairement pour une réforme libérale du travail. A regarder de plus près son action et ses paroles, il n'y a pas une feuille de papier à cigarette qui le sépare de François Bayrou, d'Alain Juppé et même de la plupart des candidats à la primaire des ex-UMP, "Les Républicains". Son espace politique semble donc limité. Toutefois, il détient une capacité à rassembler. En effet, pour avoir contribuer à affaiblir la majorité gouvernementale et mis la pagaille au sein du Parti Socialiste, plus déchiré que jamais, son action a le mérite de plaire un minimum. D'abord, à tous les sociaux-libéraux qui se sentaient jusque là prisonniers du clivage gauche-droite. Emmanuel Macron "emballe" tous ceux qui souhaitent "ringardiser" la gauche, le socialisme, les protectionnistes, les partisans du modèle social français... Comme Jean-Marie Bockel (ex-PS, puis secrétaire d'Etat sous Nicolas Sarkozy). Et puis, Emmanuel Macron est celui qui est parvenu à chatouiller l'oreille du grand patronat, le MEDEF, grâce, en partie, à la loi Macron (déverrouiller le travail du dimanche et libéraliser le marché des transports) et la loi travail, dont il était l'inspirateur du projet initial : affaiblir les prud'hommes et simplifier les licenciements, contourner les droits des salariés avec la simplification du code du travail, hausser le temps de travail de nuit et partiellement de jour, augmenter le recours aux contrats précaires, etc. Emmanuel Macron lance aussi des appels, celui de la remise en cause légale des 35 heures et du statut des fonctionnaires (quels qu'ils soient, professeurs, monde hospitalier, administration). Des prises de position et des actes qui font parfois mouche. A tel point, que la droite, elle-même, s'est trouvée gênée de constater un petit homme, de 36 ans, bousculer son propre discours politique. Même sous François Fillon, aucun ministre de droite n'était parvenu à imposer des idées aussi libérales. C'est ainsi qu'Emmanuel Macron a permis à des jeunes et moins jeunes, en manque de notoriété au sein du parti des "Républicains", de piloter ses comités locaux "En Marche".
Emmanuel Macron a brusqué la droite libérale
L'ex banquier d'affaires a poussé les ex-UMP, "Les Républicains", dans une course au discours le plus libéral, voire provocateur. Les candidats à l'investiture présidentielle, comme A. Juppé, F. Fillon, B. Le Maire et N. Sarkozy, sont dans une bataille de celui qui supprimera le plus de fonctionnaires, de celui qui baissera le plus le poids des charges sur les entreprises. Cette surenchère, parfois ridicule, nous la devons, en partie, à Emmanuel Macron.
En revanche, nous pouvons nous poser la question de l'utilité idéologique d'Emmanuel Macron. Outre que la gauche ne semble pas être son espace naturel, Emmanuel Macron est une sorte de Matteo Renzi (chef du gouvernement italien) : se faire une place au sein de la gauche pour l'embarquer à droite toute. Le programme de Matteo Renzi plaît à Emmanuel Macron. Mais force est de constater que l'Italie est bien loin d'un modèle pour la France. Tout comme l'Espagne et le Portugal, qui ont suivi ce même chemin sur la recommandation de l'Union Européenne et du FMI. Ces trois pays sont dans un état économique et social catastrophique. Le modèle Matteo Renzi a réussi à faire fuir sa jeunesse, à précariser le monde du travail, à affaiblir les services publics et, malgré la réduction des dépenses de l'Etat, finalement, à augmenter sa propre dette et la fracture sociale entre les riches et les pauvres.1 On recherche la modernité d'un tel programme, si ce n'est d'avoir conforté les hautes fortunes dans leurs positions... Le projet de société d'Emmanuel Macron n'a donc rien de moderne, si ce n'est qu'il n'a jamais été appliqué rigoureusement par la France. Et peut-être heureusement... Effectivement, sans plan d'austérité aussi sévère, le taux de chômage français reste plus faible qu'en Italie.
Emmanuel Macron devra convaincre. Certains rêvent d'une alliance Juppé/Bayrou/Macron. D'autres voient mal comment Emmanuel Macron peut se passer de l'électorat de gauche pour battre des dinosaures, tels Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy, qui n'ont plus que 2017 comme objectif ultime dans leur carrière.
1. Quelques liens, chiffres à l'appui, du bilan Matteo Renzi : http://tempsreel.nouvelobs.com/topnews/20160714.REU3337/la-pauvrete-atteint-un-niveau-inedit-depuis-dix-ans-en-italie.html http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/italie-les-raisons-de-la-defaite-de-matteo-renzi-580652.html http://www.lepoint.fr/monde/le-jobs-act-de-matteo-renzi-a-l-examen-des-chiffres-03-03-2016-2022587_24.php
32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON