Emmanuel Macron : le choix de l’efficacité
« Le cap est clair et simple : c'est celui de l'indépendance du pays pour pouvoir consolider un modèle plus juste. L'indépendance de la France, c'est son indépendance économique, industrielle, énergétique, militaire, géopolitique. Il n'y a pas de politique qui tienne si nous ne sommes pas indépendants. » (Emmanuel Macron, le 21 juillet 2023 à l'Élysée).
Le Président de la République Emmanuel Macron s'est livré à un très étrange exercice de communication politique ce vendredi 21 juillet 2023. Il s'est en effet laissé filmer en train de prononcer ses propos introductifs au début du conseil des ministres qui a réuni la première fois l'ensemble du gouvernement remanié la veille.
Certes, Emmanuel Macron s'était déjà livré une fois à ce petit exercice le 24 août 2022, lors de la première rentrée du gouvernement Borne l'année dernière (il avait évoqué un peu maladroitement la « fin de l'abondance », la « fin de l'insouciance », comme si on venait de sortir d'une période de prospérité pour tous), mais cette méthode reste encore un OVNI dans la communication présidentielle.
En principe, les conseils des ministres sont feutrés, confidentiels, avec interdiction formelle de prendre des photos, des films ou du son (le ministre Alain Lambert s'était fait blâmer pour avoir pris quelques photos volées à l'époque du Président Jacques Chirac). On ne retrouve des traces de ces conseils des ministres seulement dans les mémoires des différents ministres, ce qu'ils ont bien voulu révéler (ou se souvenir), et aussi dans la masse documentaire du ministre Alain Peyrefitte dans "C'était De Gaulle".
En regardant cette (pas si courte) intervention présidentielle (il a parlé 25 minutes), j'imaginais ce qui aurait pu se passer à l'époque du Président Valéry Giscard d'Estaing, un Président jeune et volontaire, soucieux de modeler la réalité à sa vision, voulant tirer la France vers un horizon idéalisé, mais peut-être plus pompeux. Lorsqu'il était Premier Ministre, Dominique de Villepin avait annoncé que s'il était Président, il rendrait publiques les séances du conseil des ministres, ce qui aurait sans doute des effets pervers (chacun parlant en posture et pas en sincérité, sous le regard du peuple et des médias : depuis Heisenberg, on sait bien que l'observation change la réalité).
C'est un peu cela qui s'est passé ce 21 juillet 2023 alors que les Français étaient déjà en vacances ou s'apprêtaient à l'être : on ne savait pas très bien à qui s'adresser le Président de la République, à la Première Ministre ? à ses ministres ? ou encore, à la caméra qui le filmait et, par ricochet, à l'ensemble des Français ? Un exercice étrange car si Emmanuel Macron ne lisait pas son texte (qu'il a densément préparé), il regardait rarement ses interlocuteurs, à savoir ses ministres placés tout autour de lui. Il n'était pas dans la séduction mais dans le régalien.
S'il fallait retenir deux mots de son message aux ministres, ce seraient exigence et exemplarité, car c'est ainsi que ce message a été nommé par Emmanuel Macron sur son site Internet. Cela reprend très peu l'ensemble du discours qui voulait conclure la période de 100 jours qu'il s'était fixée le lundi 17 avril 2023 dans une allocution télévisée : « Nous avons devant nous cent jours d'apaisement, d'unité, d'ambition et d'action au service de la France. C'est notre devoir. Et je vous fais confiance, je nous fais confiance pour y arriver. ». Pour l'apaisement, il devra repasser, mais il ne pouvait pas prévoir les émeutes urbaines.
C'est d'ailleurs l'un des contenus du discours, répondre à ce qui s'est déroulé en fin juin 2023 avec les violences urbaines, en proposant trois directions : plus d'autorité (force est à la loi), plus de respect (certains ne se sentent pas respectés, pas reconnus), et insuffler plus d'espérance en l'avenir pour éviter la fracturation de la société.
Sa formulation exacte était celle-ci : « Nous aurons à apporter des réponses profondes aux émeutes que le pays a vécues (…), car au-delà des réponses d'urgence, nous voyons bien à travers les crises que le risque de fragmentation, de division profonde de la nation est là. Et il y a un besoin tout à la fois d'autorité, de respect, d'espérance légitime, et c'est une réponse complète et profonde qui se joue à l'échelle de la nation qu'il nous faut (…). C'est notre capacité collective à apporter une réponse française aux inquiétudes et aux défis du moment. Et cette réponse, elle doit être humaniste, elle passe par de l'exigence, de l'autorité, de l'ordre, elle passe aussi par une volonté d'émanciper, de continuer à forger des citoyennes et des citoyens, à l'éducation, à la culture. ».
Il y avait une nécessité urgente à s'exprimer publiquement sur le cap présidentiel car dès dimanche 23 juillet 2023, Emmanuel Macron sera en visite en Nouvelle-Calédonie où il devra négocier les conditions de son maintien dans la République française comme les trois référendums prévus et organisés l'ont souhaité.
Emmanuel Macron a d'abord tenu à renouveler de manière appuyée sa confiance (« avec clarté ») à la Première Ministre Élisabeth Borne. Il a déclaré : « J'ai choisi la continuité et l'efficacité pour les temps qui viennent et qui s'ouvrent devant nous. ». Il a souhaité la bienvenue aux nouveaux ministres et a rendu hommage à ceux qui sont partis (« Je veux exprimer des remerciements chaleureux. »).
Il a également justifié l'utilisation de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, avec un certain agacement : « Et quand j'entends tous les commentaires qui expliqueraient que le gouvernement ne pouvait plus passer des lois... Dans l'année qui vient de s'écouler, plus de lois ont été passées qu'il y a six ans. Plus. Plus ont abouti par des CMP conclusives et donc par des accords. Et lorsqu'il a fallu simplement utiliser la Constitution pour passer des lois nécessaires au pays, comme la réforme des retraites, malgré les engagements des oppositions constructives qui, à la fin, ont hésité à la voter, nous l'avons fait parce que nous utilisons la Constitution avec exigence, respect, mais détermination. » [CMP signifie commission mixte paritaire pour élaborer un texte commun aux deux assemblées].
Quatre axes de sa politique nationale ont été posés depuis 2017 : la réindustrialisation et l'emploi (« Nous croyons au travail et au mérite. »), les progrès (en particulier l'éducation, la formation et la santé), la planification écologique et l'ordre républicain. Cela a justifié le renvoi des ministres pas assez politiques dans ces deux grands ministères que sont l'éducation et la santé.
Le Président a notamment confirmé qu'il entendait défendre un projet de loi sur l'immigration : « Nous aurons la question de l'immigration qui va structurer nos travaux de rentrée et sur laquelle nous aurons à travailler avec toutes les oppositions constructives et républicaines. Le gouvernement a engagé une réforme importante avec un texte solide qui répond de manière pragmatique au sujet. ».
Le plus intéressant est évidemment le message qu'il a adressé aux ministres : il attend d'eux dignité (les ministres doivent être exigeants et exemplaires et ne pas tenir de propos outranciers, ne pas avoir de comportement inapproprié, ne pas susciter des polémiques inutiles), collégialité, efficacité et beaucoup de relations avec les parlementaires mais aussi avec les élus sur le terrain, en particulier les maires (Emmanuel Macron a souhaité travailler avec le Conseil national de la refondation). Il a aussi demandé à ses ministres de ne pas seulement participer à des émissions dans les médias mais d'abord de diriger leur administration afin que leurs consignes soient appliquées : « être ministre, ce n'est pas parler dans le poste ! ».
On a souvent reproché à Emmanuel Macron d'être un beau parleur. Pourtant, depuis six ans, il a des résultats concrets, notamment sur l'emploi. Mais c'est à lui et à ses ministres d'en convaincre les Français. Et ça aussi, c'est un grand chantier...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (21 juillet 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Emmanuel Macron : le choix de l'efficacité.
Intervention filmée du Président Emmanuel Macron au conseil des ministres du vendredi 21 juillet 2023 (vidéo).
Composition complète du gouvernement d'Élisabeth Borne au 20 juillet 2023.
Le 4e remaniement ministériel du premier gouvernement d'Élisabeth Borne du 20 juillet 2023.
La France des investissements productifs félicitée par Emmanuel Macron.
Interview du Président Emmanuel Macron le 15 mai 2023 à 20 heures sur TF1 (vidéo).
Faut-il encore polémiquer sur le RSA ?
Emmanuel Macron : "J'appelle à la pause réglementaire européenne".
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