Emmanuel Macron - mi-nistre mi-candidat, mais totalement « En Marche » - n’a de cesse de le répéter, il n’est ni de gauche ni de droite. Si mardi soir à la Mutualité « l’homme du renouveau » n’a pas confirmé ses ambitions présidentielles, ni plus que cela exposé ne serait-ce qu’une ébauche de programme, il nous a toutefois rappelé, avec insistance, sa volonté de« dépasser les clivages »et de« libérer le pays », en rassemblant« des hommes et des femmes de gauche, des hommes et des femmes de droite, et de la société civile » (1). L’avenir de la politique se trouverait donc au centre, pile entre droite de la gauche et gauche de la droite, focus sur la stratégie du mouvement immobile.
Le ni-ni est foncièrement de droite
« En général, quand quelqu’un se dit « ni de droite, ni de gauche », c’est qu’il est de droite. Ou, au plus, du centre, ce qui n’est, le plus souvent, qu’un autre nom de la droite, comme l’a démontré depuis 30 ans la vie politique française. » (2)
Ces mots éclairés, nous les devons à Jacques Attali. L’homme du faux consensus, qui s’est chargé d’introduire Emmanuel Macron dans le monde de la politique française, nous confirme par cette citation un petit quelque chose que l’on suspectait déjà : Macron n’est pas de gauche. Fort de ses incohérences, l’homme qui chuchote à l’oreille des présidents poursuit brillamment avec ces mots : « est de gauche celui qui veut, comme le Tiers État il y a plus de deux siècles, abolir les privilèges. Est de droite celui qui veut, comme les nobles, les conserver. »
Le voile est donc levé pour ceux qui avaient encore un doute, EM n’est pas l’homme du changement comme il le prétend, il est plutôt l’homme de la continuité. La continuité de politiques qui vont dans le même sens depuis 30 ans : celui de la réglementation de la déréglementation, du tout marché, ainsi que du devenir marchandise du monde - les êtres vivants qui s’y promènent y compris.
Comment l’homme au curriculum vitae aussi impressionnant que banal pour un Inspecteur des finances, peut-il à ce point réussir une telle mystification ? Ni de gauche, ni de droite, mais les deux… l’histoire est belle et beaucoup y croient. Mais ont-ils tort ? C’est vrai que le « libérateur du pays » cumule à la fois deux emplois : d’un côté Ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique d’un gouvernement (dit) de gauche, et de l’autre fondateur de l’association En Marche hébergée, selon Mediapart, au domicile privé du directeur du thing-thank libéral, l’Institut Montaigne, club patronal, créé par la direction d’Axa, donc autant le dire, de droite (3). Tout rentre dans l’ordre, Macron ne nous a pas menti il est de gauche et de droite, enfin presque.
Cette ambidextrie politique est rendue acceptable uniquement grâce à l’ignominie de ce qu’est devenu un parti politique comme le PS. En définitive, Macron n’est rien d’autre que le descendant direct d'autres Jacques Delors, Lionel Jospin, Dominique Strauss-Kahn et François Hollande, il est l’aboutissement même de cette lente dérive vers la droite d’un parti prétendument socialiste, mais sincèrement libéral, qui cache ses échecs sous la douce musique du « réalisme politique », et ce, peu importe si les fausses notes de la social-démocratie gâchent la fête (4).
La tromperie est double. L'homme qui se présente ni de gauche ni de droite, s’appuie en fait sur une gauche de droite - ou une droite complexée pour reprendre l'éloquente formule de Frédéric Lordon - pour justifier son positionnement. C'est ainsi que l'homme providentiel ni de gauche ni de droite, se transforme en homme de gauche et de droite, pour se métamorphoser en homme faussement de gauche mais vraiment de droite, ce qui revient à dire tautologiquement qu'il est de droite et de droite. Quelle prouesse !
Au centre, deuxième à gauche puis première à droite, ou un pas en avant, deux pas en arrière
Inutile de revenir sur les preuves de la « droitité » d’Emmanuel Macron - d’autres l’ont fait avant moi et bien mieux, vous trouverez les liens dans les sources de l’article (5). Ce qui est intéressant chez « l’homme providentiel » c’est ce qu’il représente, plus que ce qu’il fait. En effet, rien de très nouveau sous le soleil, ses positions politiques, loin d’être originales, sont un enchaînement de positions libérales qui ne détonnent en rien avec le paysage actuel. Rapporteur de la « Commission pour la libération de la croissance française » sous le mandat du Président Sarkozy et plus communément appelée « Commission Attali », une partie de ces recommandations a été transposée dans la « Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques », dite « loi Macron » (6). On voit bien ici qu’Emmanuel Macron ne se bat pour rien d’autres que ses idées - enfin celles de sa classe, peu importe que le gouvernement soit dit de gauche ou de droite - car comme dit en introduction du rapport de la Commission Attali : « [La réforme] ne peut aboutir que si le président de la République et le premier ministre approuvent pleinement les conclusions de ce rapport, le soutiennent publiquement, dès maintenant, personnellement et durablement, en fixant à chaque ministre des missions précises. Pour l’essentiel, ces réformes […] devront ensuite être poursuivies avec ténacité, pendant plusieurs mandats, quelles que soient les majorités. » (7) Quel mépris de la si Sainte valeur démocratique.
Des jeunes hégéliens à Emmanuel Macron, même combat
Marx disait : « l’histoire se répète toujours deux fois, la première comme une tragédie, la seconde comme une farce. » Plus qu’une répétition, ce à quoi on assiste aujourd’hui est tout simplement une continuation. La continuation d’une confrontation commencée il y a un peu plus de 150 ans, et qui opposait à l’époque les jeunes hégéliens à Marx et Engels.
Il a souvent été prêté à Marx et Engels l’idée selon laquelle l’idéologie pouvait être définie, uniquement, comme un ensemble de représentations exprimant une position de classe. Or, si ce concept apparaît assez tôt dans la philosophie de Marx, c’est qu’il se construit d'abord en opposition à l’idéalisme hégélien, dans une démarche de précision de ce qu’est le matérialisme (8). Le niveau zéro de l’idéologie est, pour les auteurs de L’Idéologie allemande, la croyance en l’autonomie et l’indépendance des idées. Soit, les idées prises comme construction établie hors du réel et sur laquelle celui-ci n’aurait aucune prise, aucune incidence. Voici de quoi Emmanuel Macron est le nom finalement. Il est le miroir d’une idéologie qui ne se dit pas, d’un système vu comme naturel, soit une défaite de la pensée critique et de la remise en question du réel, ce dernier étant établi comme rapports de production. Marx et Engels nous avaient pourtant avertis : « les pensées de la classe dominante sont aussi les pensées dominantes de chaque époque, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose du même coup des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante ».
Si Emmanuel Macron peut être de droite et de gauche en même temps, c’est justement parce que la droite et la prétendue gauche - disons celle du Parti socialiste - s’accordent sur la Sainte-Trinité du capitalisme (9) : propriété lucrative, marché du travail et financement de l’investissement par le crédit. Le reste n’est qu’ajustements. À droite, l’inégalité comme base du système. À gauche, la redistribution des miettes, après que le pain ait été volé par la propriété lucrative, permettant l'appropriation de la valeur ajoutée par une minorité.
Emmanuel Macron, encensé médiatiquement pour sa victoire dans la course à la transgression qui se joue au Parti socialiste, atteint des sommets lors de ses sorties polémiques (10). « Si on ne s’émancipe pas par le travail, je ne sais pas par quoi on s’émancipe », « le travail du dimanche c’est plus de liberté et la liberté c’est une valeur de gauche », « Les jeunes générations veulent devenir entrepreneurs, pas fonctionnaires » culte de la soumission au marché du travail et au capitalisme avec les mêmes accents que la campagne d'Uber « Uberéussite, devenez votre propre patron, devenez chauffeur ». « La réforme du pays c’est de laisser les gens la faire » la fameuse main invisible d’Adam Smith, ou le bien commun par la somme des intérêts personnels et l’individualisme de chacun. « Je dis qu’il faut que notre jeunesse ait envie de réussir. Être de gauche c’est combattre la rente et permettre à chacun d’aller plus haut » contredit par « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires », comme si on devenait milliardaire par la force du Saint-Esprit mais pas par le vol de la valeur ajoutée à ceux qui produisent la richesse.
On baigne en plein dans la doublepensée orwellienne. Macron est pour la liberté, mais en même temps pour l’asservissement au capital par le biais du marché du travail. Macron est pour un souverainisme ouvert « quand on est de gauche, on est contre l’expulsion des étrangers et pour le pouvoir d’achat des Français » mais ose comparer Syriza au Front National. Macron est pour l’écologie mais, en même temps, facilite l’enfouissement des déchets nucléaires et assouplit la règlementation du transport en autocar afin qu’il puisse « bénéficier aux pauvres qui voyageront plus facilement ». Ces mêmes pauvres qu’il participe à créer par les mesures qu’il supporte. La boucle est bouclée et le cercle est vertueux. Les français veulent travailler le dimanche « pour précisément pouvoir se payer le cinéma », tout est dit.
Macron, ni de gauche ni de droite, c’est en fait l’homme multidirectionnel, machine à fabriquer l’homme unidimensionnel - pour faire un clin d’oeil à Herbert Marcuse. Son projet de société, celui qui est dit sans l’être, est celui de sa classe, la classe des dominants, des capitalistes. Projet certes inconscient mais pas moins réel : l’intégration des individus à la consommation inutile par la création de besoins illusoires, ce qui nécessite pour médium la soumission au marché du travail et l’allongement illimité du temps de travail - allant de paire avec la contraction maximale des salaires et le recours au crédit - autrement dit, plus de biens moins de liens, changer tout en ne changeant rien. Alain disait : « lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de droite et partis de gauche, hommes de droite et hommes de gauche, a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui pose cette question n’est certainement pas un homme de gauche ». En effet, quel individu réellement de gauche - mouvement qui prône la révolution, ce qui implique la transformation des conditions matérielles, et par conséquent, la mise en place de nouveaux rapports de production - accepterait d’être comparé à Emmanuel Macron, l’homme en marche mais sur place.
François Hollande nous a vendu le « changement, c’est maintenant », et Emmanuel Macron file la métaphore. Celle du mouvement, immobile encore une fois. Relisons attentivement François Brune - l’iconoclaste - car ce dont il est question ici c’est bien d’idéologie. L’idéologie du progrès, qui comme tous ses synonymes, consiste à dire que tout pas en avant est forcément bon (11). Mais si, comme dit le dicton « on arrête pas le progrès », arrêtons au moins Emmanuel Macron, ainsi que ce et ceux qu’il représente.
(8) Lire Olivier Deckens, Apprendre à philosopher avec Marx, France, Ellipses, pp. 45-54