Emmanuel Macron, 39 ans, était un banquier d'affaires qui a gagné des millions de dollars pour la banque Rothschild. Il y a dix ans, en 2007, à 29 ans, l'ingénieux jeune économiste a été invité par Jacques Attali, gourou extrêmement influent, dont les conseils depuis les années 1980 ont joué un rôle central dans la conversion du parti socialiste au globalisme néolibéral pro-capitaliste. Attali le fit entrer dans son groupe de réflexion privé, la Commission pour la stimulation de la croissance économique, qui a contribué à la rédaction des « 300 propositions pour changer la France » présentées au président Sarkozy un an plus tard comme modèle pour le gouvernement. Sarkozy ne les a pas toutes promulguées, par peur des révoltes ouvrières, mais les socialistes supposés « à gauche » peuvent se permettre des mesures anti-syndicales plus drastiques, grâce à leur discours plus doux.
Le discours doux (soft speech) a été illustré par le candidat à la présidence François Hollande en 2012 quand il a suscité l'enthousiasme en déclarant au cours de sa campagne : « Mon véritable ennemi est le monde de la finance ! ». La gauche applaudit et vote pour lui. Pendant ce temps, par mesure de précaution, Hollande a secrètement dépêché
Macron à Londres pour rassurer l'élite financière mondiale : ce n'était qu'une promesse électorale.
Après son élection, Hollande amena Macron dans son état-major. De là, il a été nommé ministre de l'Économie, de l'Industrie et des Affaires Numériques en 2014. Avec tout le charme insipide d'un mannequin de magasin, Macron a renversé son irascible collègue, le Premier ministre Manuel Valls, dans la silencieuse rivalité pour succéder à leur patron, le président Hollande. Macron gagne l'affection du grand patronat en faisant en sorte que ses réformes anti-travail paraissent jeunes, propres et « progressistes ». En fait, il a suivi l'ordre du jour d'Attali.
Le sujet est « compétitivité ». Dans un monde globalisé, un pays doit attirer des capitaux d'investissement afin d'être concurrentiel, et pour cela il est nécessaire de réduire les coûts de la main-d'œuvre. Une façon classique de le faire est d'encourager l'immigration. Avec la montée de la politique d'identité, la gauche est la mieux placée pour justifier une immigration massive sur des bases morales, comme une mesure humanitaire. C'est une des raisons pour lesquelles le Parti démocrate aux Etats-Unis et le Parti socialiste en France sont devenus les partenaires politiques du globalisme néolibéral. Ensemble, ils ont changé la perspective de la gauche officielle, des mesures structurelles favorisant l'égalité économique à des mesures morales favorisant l'égalité des minorités avec la majorité.
L'année dernière, Macron a fondé (ou avait fondé pour lui) son mouvement politique intitulé « En marche ! » et caractérisé par des rencontres avec de jeunes groupies portant des t-shirts Macron. En trois mois, il a senti le besoin de diriger la nation et a annoncé sa candidature à la présidence.
De nombreuses personnalités sont en train de sauter du navire socialiste abandonné et de passer chez Macron, dont la forte ressemblance politique avec Hillary Clinton suggère que la sienne (sa personnalité) va permettre de créer un parti démocrate français sur le modèle américain. Hillary a peut-être perdu, mais elle reste la favorite de l'OTAN. Et en effet, la couverture médiatique américaine confirme cette notion. Un coup d'œil
au papier extatique de Robert Zaretsky dans Foreign Policy magazine saluant « l’orateur anglophone, aimant l'allemand, que l'Europe attendait » ne laisse aucun doute sur le fait que Macron est le chouchou de l'élite transatlantique de la mondialisation.
En ce moment, Macron est deuxième derrière Marine Le Pen dans les sondages, ce qui lui permet d'ambitionner de la vaincre par un transfert des votes au deuxième tour. Cependant, son apparition soigneusement fabriquée est vulnérable à une plus grande information publique sur ses liens étroits avec l'élite économique. Mais...
Blâmer les Russes...
Pour parer à cette éventualité, une alerte préventive se met en place, importée directement des États-Unis. C'est la faute des Russes ! Qu'est-ce que les Russes ont fait de si terrible ? Ils ont surtout précisé qu'ils préféraient, en tant que chefs de gouvernements étrangers, leurs amis plutôt que leurs ennemis. Rien de si extraordinaire que ça, en somme. Les médias russes critiquent, ou interviewent les gens qui critiquent, les candidats hostiles à Moscou. Rien d'extraordinaire là non plus.
L'agence de presse russe Sputnik a interviewé un député républicain du parlement français, Nicolas Dhuicq, qui a osé dire que Macron pourrait être "un agent du système financier américain". C'est assez évident. Mais le tollé qui a suivi a omis ce détail pour accuser les médias d'État russes de "commencer à faire circuler des rumeurs prétendant que Macron a eu une affaire extra-maritale homosexuelle" (The EU Observer, 13 février 2017). En fait, cette prétendue « calomnie sexuelle » avait circulé principalement dans les cercles homos à Paris, pour qui le scandale, s'il y en a un, n'est pas l'orientation sexuelle alléguée de Macron, mais le fait qu'il le nie. L'ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë, était ouvertement homosexuel, le bras droit de Marine Le Pen, Florian Philippot, est gay. En France, l'homosexualité n'est pas un gros problème.
Macron est soutenu par un "très riche lobby gay", comme le dit Dhuicq. Tout le monde sait qui c'est : Pierre Bergé, le riche et influent dirigeant d'Yves Saint Laurent, personnification du chic radical, qui soutient fortement la gestation de substitution (GPA), qui est en réalité un sujet controversé en France, la véritable controverse sous-jacente à l'échec de l'opposition au mariage homosexuel.
L'état profond monte à la surface
L'adoption étonnante en France de la campagne anti-russe américaine est révélatrice d'une lutte titanesque pour le contrôle du récit - la version de la réalité internationale consommée par les masses de gens qui n'ont pas les moyens d'entreprendre leurs propres recherches. Le contrôle du récit est le noyau essentiel de ce que Washington décrit comme sa « puissance douce » (soft power). Le pouvoir dur (hard power) peut mener des guerres et renverser les gouvernements. La puissance douce explique aux spectateurs pourquoi c'était la bonne chose à faire. Les États-Unis peuvent s'en tirer littéralement sur tout, pourvu qu'ils puissent raconter l'histoire à leur propre avantage, sans risque d'être contredits de façon crédible. En ce qui concerne les points sensibles dans le monde, que ce soit l'Irak, ou la Libye, ou l'Ukraine, le contrôle du récit est essentiellement exercé par le partenariat entre les services de renseignement et les médias. Les services de renseignement écrivent l'histoire, et les médias de masse le diffusent.
Ensemble, les sources anonymes de l'« État profond » et les médias d'entreprise de masse sont habitués à contrôler le récits dits au public. Ils ne veulent pas partager ce pouvoir. Et ils ne veulent certainement pas le voir défié par des étrangers - notamment par les médias russes qui racontent une histoire différente.
C'est l'une des raisons de la campagne extraordinaire qui va dénoncer les médias russes et autres médias alternatifs comme sources de « fausses nouvelles », afin de discréditer ces sources rivales. L'existence même de la chaîne de télévision russe RT a suscité une hostilité immédiate : comment les Russes peuvent-ils s'imposer à notre version de la réalité ? Comment osent-ils avoir leur propre point de vue ! Hillary Clinton a mis en garde contre RT quand elle était secrétaire d'État et son successeur, John Kerry, l'a dénoncé comme un « mégaphone de propagande ». Ce que nous disons est la vérité, ce qu'ils disent ne peut être que de la propagande.
La dénonciation des médias russes et la prétendue « ingérence » russe dans nos élections est une invention majeure de la campagne de Clinton qui a continué à infecter le discours public en Europe occidentale. Cette accusation est un exemple très évident de double standard, ou projection, puisque les États-Unis espionnent tout le monde, y compris leurs alliés, et que leur ingérence dans les élections étrangères sont notoires.
La campagne de dénonciation de "fausses nouvelles", qui a débuté à Moscou, est en plein essor en France et en Allemagne à l'approche des élections. C'est cette accusation qui est l'interférence fonctionnelle dans la campagne, pas les médias russes. L'accusation selon laquelle Marine Le Pen est « le candidat de Moscou » n'est pas seulement censée travailler contre elle, mais elle est également la préparation à des efforts pour préparer la mise en place d'une certaine variété de « révolution de couleur » si elle arrive à gagner les élections du 7 mai. L'ingérence de la CIA dans les élections étrangères est loin d'être limitée aux informations controversées.
En l'absence d'une véritable menace russe à l'égard de l'Europe, les affirmations selon lesquelles les médias russes « interfèrent dans notre démocratie » servent à désigner la Russie comme un ennemi agressif et justifient ainsi l'énorme accumulation militaire de l'OTAN en Europe du Nord-Est. L’industrie de l’armement se frotte les mains.
À certains égards, l'élection Française est une extension de l'Américaine, où l'État profond a perdu son candidat préféré, mais pas son pouvoir. Les mêmes forces sont à l'œuvre ici, soutenant Macron comme la version Française d'Hillary, mais prêtes à stigmatiser tout adversaire comme un instrument de Moscou.
Ce qui s'est passé au cours des derniers mois a confirmé l'existence d'un État profond qui n'est pas seulement national mais transatlantique, aspirant à être mondial. La campagne anti-russe en est un révélateur. Elle révèle au grand public l’existence d’un État Profond, un orchestre transatlantique qui joue le même air sans conducteur visible. Le terme « État profond » est soudainement apparu même dans le discours dominant, comme une réalité qui ne peut être niée, même si elle est difficile à définir précisément. Au lieu du complexe militaro-industriel, nous devrions peut-être l'appeler le Complexe Médiatique de l'Intelligence Industrielle et Militaire, ou CMIIM. Son pouvoir est énorme, mais reconnaître qu'il existe est la première étape pour travailler à nous libérer de son emprise.
Diana Johnstone
Traduction - Jocelyne Galy
Corrections - Anthony Rêveur, Nathalie Berlon
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