En France, l’Europe a perdu
L’analyse au niveau national des élections européennes montre une droite affaiblie, et une gauche divisée. Dans un scrutin où le premier parti est celui de l’abstention, il y a fort à parier que ceux qui ont fait l’effort de se déplacer sont ceux qui voient le projet européen comme un projet d’avenir. Dans ces conditions, et dans la mesure où les divers sondages d’opinion annonçait cette abstention (qui ne fait que suivre une tendance lourde), les différents partis en concurrence auraient du recentrer leur discours sur l’Europe et uniquement cela. Les grands perdants de ces élections sont, en premier lieu la démocratie européenne, ensuite les grands partis de gouvernement PS, Modem et UMP.
Le PS, en se détournant du Manifesto, le projet européen construit par les 27 partis qui composent le Parti Socialiste Européen, et en privilégiant une approche nationale de la campagne, ont clairement raté le coche. Impossible de réunir ceux qui croient en l’Europe autour d’un vote anti-Sarkozy. La stratégie de Martine Aubry peut se comprendre : la première secrétaire fait campagne contre N. Sarkozy, impliqué dans cette élection, pour montrer qu’une alternative est possible en termes de politique intérieur, et laisse aux candidats présents sur les listes la partie de la campagne consistant à présenter le projet européen du parti. Problème : les combats internes au parti font plus de bruit médiatique que la présentation du programme. Lorsque les listes sont constituées, on parle plus des ego bafoués, des parachutages, et des arrangements personnels. En pleine campagne, dans les derniers jours, alors qu’il faut présenter les propositions concrètes ce sont les relations Aubry-Royal qui font la une du côté des socialistes. Sur les tracts reçus par les électeurs enfin, le PS mise sur le texte court plutôt que sur la présentation d’une liste de mesure concrète. Encore un point qui conforte dans l’idée que le PS est une nébuleuse plus qu’un parti. Résultat, les sympathisants socialistes et européens convaincus se détournent d’un parti qui semble ne leur parler que de politique nationale et de combat de chefs. C’est dommage pour le projet des socialistes européens qui sera mort avant d’être né. Et cela fait des dégâts : l’eurodéputé Benoit Hamon n’est pas réélu alors qu’il fait partie des rares hommes politiques à considérer que faire partie de la représentation européenne est un honneur plus qu’un lot de consolation.
Le Modem est également grand perdant. L’élection à un tour est peut-être le seul scrutin qui permet au centre de jouer pleinement son rôle de centre. En effet, les partis politiques ont intérêt à séduire tout de suite l’électeur médian, celui qui fera la différence dans l’élection, alors que dans les scrutins à deux tours, le premier est consacré au rassemblement de son camp, et le second à un recentrage pour grappiller les fameux électeurs indécis et ceux qui n’ont plus la possibilité de voter pour leur choix initial. Ici, pas de second tour, la métaphore de l’échiquier politique prend tout son sens puisqu’il faut tout de suite prendre le contrôle du centre pour espérer gagner. Force est de constater que le Modem a échoué, et ce pour diverses raisons. En premier lieu, la stratégie qui consistait à s’opposer frontalement à Nicolas Sarkozy n’a pas porté ses fruits, tout comme elle n’a pas réussi au PS. Il faudra retenir la leçon pour la prochaine fois, quand un scrutin dépasse le cadre franco-français, il est nécessaire de faire des propositions qui sortent également de ce cadre. Ce n’est pas tant le fait que F. Bayrou s’acharne sur N. Sarkozy qui a provoqué sa baisse d’audience, c’est surtout que le reste de ses propositions étaient complètement inaudibles, alors que le centre-droit français a toujours été un fervent supporter du projet européen. Ensuite le débat de jeudi soir a probablement accentué la baisse déjà amorcée. La fin de campagne de François Bayrou est catastrophique dans la mesure où celui-ci a montré une contradiction monumentale. D’un côté il a critiqué violemment les instituts de sondages[1] et de l’autre les résultats des sondages lui ont fait faire un virage à 180° : alors qu’il visait l’hégémonie de la droite dans les affaires politiques françaises, le sniper Bayrou s’est retourné pour shooter le vert Cohn-Bendit, ancien compagnon de route lors du précédent scrutin européen[2]. Le problème c’est que les français n’apprécient pas que l’on chasse la galinette cendrée au fusil d’assaut. Ce n’est pas tant la prestation de Bayrou vue en direct qui a provoqué sa chute, puisque l’audience de France 2 a été franchement mauvaise ce soir là, mais le relais assuré par ceux qui l’avaient vu auprès des autres électeurs. Quand le vendredi matin, celui qui a regardé le débat ne vous cite que l’altercation Bayrou-Bendit comme illustration d’un débat raté, il y a forcément des conséquences.
Plus surprenant maintenant, c’est finalement le fait que la droite française, tout en arrivant en première place, ne sort pas grandie de ces élections. Si les différents électorats sont agrégés, la France se dessine plutôt à gauche qu’à droite, et le centre perd son statut d’arbitre. La réserve de voix à droite ne serait pas suffisante, aujourd’hui, pour la donner vainqueur d’un scrutin à deux tours. Les responsables de l’UMP l’ont compris. Si 28% est un score honorable pour un parti politique, il ne faut pas oublier que l’UMP n’en est pas un : c’est un rassemblement, autour de la personne de Nicolas Sarkozy, et sans lui on ne sait pas ce que deviendrait la droite française. On a bien senti sur les plateaux de télévision que le personnel politique de droite ne laissait aucune place au triomphalisme. C’est vrai que si on ramène le nombre de voix qui se sont portées sur les listes UMP, ces dernières ne rassemblent que 11% du corps électoral. Dans ces conditions il est clair que personne n’a gagné, même pas Europe Ecologie qui n’est sollicitée que par 6% des Français en âge de voter.
[1] Et les commanditaires de sondages, surtout lorsqu’il s’agissait de l’audiovisuel public, encore une façon d’affronter N. Sarkozy qui nomme à présent les dirigeants de chaînes et de radios
[2] François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit ont réalisé beaucoup de meetings et de conférences ensemble pour défendre le « Oui » lors du référendum sur le Traité Etablissant une Constitution Européenne en 2005.
4 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON