En quoi sommes-nous Charlie ?
Les médias considèrent unanimement que le 11 janvier 2015 entrera dans l'histoire comme un moment fort d'unité nationale, comparable aux grandes manifestations de la Libération (1944-45) ou à la Fête de la Fédération qui a marqué, le 14 juillet 1790, le premier anniversaire de la prise de la Bastille (c'est elle qui est commémorée chaque année depuis la Troisième République). Nous n'avons pas seulement été 3,7 millions à défiler dans les rues de nos villes, une cinquantaine de chefs d’État étrangers (le quart des pays de la planète) a marché avec nous. Nous avons été le centre du monde, et les regards resteront braqués sur nous pendant un certain temps encore. Mais en quoi sommes nous vraiment Charlie ?
Notre peuple a réagi avec vigueur à l'attaque terroriste contre Charlie Hebdo, montrant ainsi sa capacité de mobilisation et sa détermination à réaffirmer la liberté d'expression qui est un des fondements de la démocratie. En même temps, nous sommes sous le choc de ce qui est arrivé la semaine dernière et que certains n'hésitent pas à qualifier de « 11 septembre français ». Or l'état de choc et la peur de nouvelles frappes terroristes ne favorisent pas la réflexion et la prise de décisions rationnelles : nous sommes plutôt enclins à demander davantage de sécurité à ceux qui nous gouvernent et prêts à accepter un certain nombre de sacrifices pour la garantir.
Cependant, il est urgent de prendre du recul par rapports aux événements récents et de se poser les bonnes questions.
N'oublions pas l'avertissement de Benjamin Franklin :
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. »
Il serait quand-même paradoxal que notre élan pour défendre la liberté (d'expression, de la presse…) ne débouche sur son exact contraire : la restriction de nos libertés au nom de la lutte contre le terrorisme ! Or c'est exactement ce qui risque d'arriver, comme aux États-Unis après le 11 septembre : un « Patriot Act » à la française ! (http://fr.wikipedia.org/wiki/USA%20PATRIOT%20Act). L’État protecteur peut-il devenir si facilement un État-inquisiteur ? Nous en voyons déjà les prémisses. (http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/01/12/le-gouvernement-annonce-vouloir-encadrer-davantage-les-reseaux-sociaux_4554254_4408996.html) Donc oui, il le peut, s'il n'y a personne en face pour l'en empêcher !
N'oublions pas non plus l'avertissement de Naomi Klein : dans son livre « La Stratégie du Choc », elle montre comment des catastrophes (naturelles ou non) qui plongent les populations dans un état de choc peuvent être exploitées afin de leur faire accepter des choses auxquelles elles n'auraient jamais consenti en temps normal ! (https://www.youtube.com/watch?v=E5ynxcM_k7w)
Il s'agit ensuite de se poser les bonnes questions, et ne pas forcément compter sur nos médias « libres » pour nous y aider, car leur liberté est souvent entravée par les intérêts des grands groupes industriels auxquels ils appartiennent comme l'a montré le documentaire « Les Nouveaux Chiens de garde » (https://www.youtube.com/watch?v=j5Zx_Ze0bX0).
Quelques pistes : quel est le rôle de la politique extérieure française dans ce déchaînement de violence contre notre pays ? On se souvient que Nicolas Sarkozy a réintégré l'OTAN en 2009 alors que le Général De Gaulle était sorti de son commandement intégré en 1966 : notre politique pourrait être perçue comme étant à la remorque de celle des Américains. Nicolas Sarkozy est intervenu militairement en Libye. Pour chasser un dictateur ? Rappelons que Khadafi, reçu avec les honneurs à Paris en décembre 2007, est suspecté d'avoir financé sa campagne présidentielle… Et l'intervention de François Hollande au Mali et en Centrafrique ? On peut avoir certaines difficultés à croire qu'il s'agissait uniquement de chasser les barbus enturbannés qui imposaient le voile aux femmes et coupaient les mains aux voleurs. La proximité des mines d'uranium du Niger pourraient nous fournir des explications plus plausibles. Tout récemment, nos avions ont bombardé l’État Islamique en Irak et en Syrie, mais aucune intervention extérieure n'a jamais fait l'objet d'une consultation des Français, seul le Président est chef des armées !
Aujourd'hui, l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, ou la Libye sont livrées au chaos, les djihadistes y prolifèrent et certains jeunes de nos banlieues, manipulés par des sectes islamistes, vont s'y entraîner à des techniques de combat qu'ils mettent ensuite en oeuvre sur le sol national contre des caricaturistes irrévérencieux. Les médias interrogent-ils le rôle de notre politique extérieure dans le drame de Charlie Hebdo ? Ne devrions-nous pas avoir notre mot à dire sur ces interventions militaires hors de nos frontières ?
Dimanche 11 janvier, nous nous sommes levés pour défendre la démocratie et la liberté d'expression qui est une de ses conditions, voilà en quoi nous sommes Charlie.
Mais nous ne serons pas Charlie bien longtemps si nous négligeons de revendiquer cet autre fondement de la démocratie qu'est le référendum d'initiative citoyenne (1) ! Lui seul nous permettra de décider si la liberté d'expression doit avoir des limites ou pas, et dans l'affirmative, de les tracer nous-mêmes. Lui seul nous permettra de contrôler la manière dont le gouvernement combattra le terrorisme, et le cas échéant, de l'empêcher d'abuser de la surveillance et de la censure, ou d'entraîner notre pays dans des aventures militaires qui prendront pour prétexte la lutte contre les djihadistes mais qui poursuivront en réalité de tout autres objectifs. L'heure est grave, notre pays a subi un choc, nous sommes vulnérables donc nous devons être d'autant plus vigilants, sans quoi les pires atteintes à la démocratie et à la liberté d'expression pourraient venir de là où on ne les attend pas.
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