Enterrons Terra Nova, une usine à gaz bien peu démocratique pour une gauche qui ne progresse plus !
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Les éditorialistes constatent l’inexorable poussée de la droite en Europe alors qu’en France, le PS entre dans la phase de désignation de son secrétaire général. A lire les analyses et commentaires sur ce second parti de France, on ne comprend plus vraiment les enjeux ni les problèmes. Les uns disent que le Parti socialiste a besoin d’un chef, mais dispose d’un réservoir d’idées, au contraire de la droite qui, en déficit de solutions, aurait emporté les élections en jouant la carte du chef charismatique. Le PS malgré ses idées ne cherche pas vraiment à asseoir un programme, mais plutôt à asseoir ses dirigeants sur les chaises musicales. C’est ce que pensent quelques analystes politiques.
Curieusement, le PS soi-disant riche d’idées et de pistes de réflexion se trouve coupé des intellectuels, contrairement à la gauche italienne ou bien à Tony Blair, cité pour son compagnonnage avec Anthony Giddens. Partant de ce constat, un think tank de gauche vient d’être lancé le 13 mai 2008 à l’initiative d’un cercle élitaire de gauche. Terra Nova, ainsi est dénommée cette nouvelle institution incarnant selon les termes un « think tank progressiste indépendant ayant pour but de produire et diffuser des politiques publiques en Europe ». Ses références, le Center for American progress aux Etats-Unis et, en France, l’Institut Montaigne, grosse institution où figure Jean-Pierre Raffarin et censée inspirer les politiques publiques de droite. Terra Nova s’affirme sans ambiguïté comme résolument ancrée à gauche, enfin, disons d’un bord opposé à celui qui gouverne actuellement. Cette institution a pour objectif de favoriser la rénovation intellectuelle de la social démocratie et de contribuer à la refondation de la « matrice idéologique » de la gauche progressiste ainsi que la promotion de ses idéaux. Elle se veut par ailleurs profondément européenne, ayant de plus la prétention de faire émerger un progressisme européen original, mais en s’inspirant des réussites des politiques publiques menées par nos partenaires européens.
N’y a-t-il pas quelque chose de contradictoire dans l’un des préceptes essentiels portant sur l’analyse des réussites publiques des partenaires européens ? Ou, du moins, une équation rendant quelque peu vaine toute cette agitation pensante. S’inspirer des politiques de gauche, c’est appliquer des programmes qui viennent d’être sanctionnés par les électeurs ? N’est-ce pas alors contribuer à produire une machine à perdre les élections en 2012 ? Et si Terra Nova s’inspire des politiques actuelles, celles qui sont de droite, n’y a-t-il pas le risque d’une schizophrénie propre au progressisme de gauche qui affiche une étiquette, mais propose un produit pragmatique n’ayant rien d’une politique de gauche ? De quoi rendre illisibles les choix pour les citoyens et de les couper encore plus de ces deux mondes eux-mêmes déjà scindés, les politiques et les intellectuels.
La notice de présentation de cette future fondation ne surprend guère tant le propos est attendu. Plutôt que la surprise, c’est sans doute l’agacement qui sera suscité auprès des citoyens constatant ce langage technocratique et cet imposant organigramme évoquant le politburo du temps des Soviets. Deux mots reviennent souvent : expert et science. Pratiquer des expertises, comité d’experts, cabinet d’experts, conseil d’orientation scientifique, directeur scientifique, fonctionnement selon le mode cabinet ministériel. Avec les règles de la diffusion propre au marketing ou à la propagande. Chacun a droit à sa prestation adaptée. Des réunions de présentation pour les politiques ; une présence dans les médias, communiqués, conférences de presse ; enfin, pour le grand public, création d’événements et d’un réseau d’adhérents. Tout cela ressemble à une sorte de putsch mené par des intellectuels pour occuper le cerveau des populations et diffuser de la propagande. Bref, des moyens bien conventionnels ayant montré leur limite par le passé. C’est un peu fort pour une future fondation qui se présente comme progressiste. A moins que le seul salut du progrès soit dans l’expertise et l’usage de la science rationnelle appliquée à l’homme.
Examinons la structure imposante de cette usine à gaz pensante. Un comité de direction, rien de bien surprenant. Puis, en amont, pas moins de 250 experts, des personnalités qualifiées de l’entreprise, de la haute fonction publique et du monde associatif. Pas très démocratique pourrait-on penser. Une élite qui s’arroge les prérogatives pour penser le politique. Ce cabinet d’expert est censé fournir des évaluations pour les solutions inventées par le comité scientifique comprenant 100 membres répartis en trois collèges.
Premièrement, les universitaires. On sent le cercle formé sélectivement dans quelques lieux de prédilection. Notamment Sciences Po Paris, l’EHESS de Paris, quelques universités… de Paris, un prof à l’Ecole des Ponts, un autre à l’Ecole normale, des chercheurs du CNRS. Rue89 a noté la faible présence des femmes. C’est en effet une cocasserie dont on se demande si elle ne cache pas quelques réseaux souterrains. J’ose poser une question incorrecte. Quels sont les lieux où les femmes sont absentes ? Les deux grandes loges maçonniques les plus influentes pardi (GO et GLNF). A chacun de penser ce qu’il veut. Mais, par-delà l’absence des femmes à tous les niveaux, c’est cette consanguinité entre membres des mêmes institutions, entre gens qui se fréquentent, mandarins de la fac et quelques gens bien placés dans l’édition.
Deuxièmement, au sein du conseil scientifique, figurent parmi le second collège des personnalités dites de la société civile. Est-ce là la réelle ouverture vers les vies citoyennes ? Jugez-en par vous-mêmes sur la base de quelques titres et professions de ces messieurs. Directeur général, président, consultant, chargé de direction, préfet, PDG, directeur de Culture France, ancien président d’entreprise, maître à la Cour des comptes, ancien commissaire au plan, chief economist, rédacteur en chef, ambassadeur… bref, chacun pourra vérifier cette liste bien peu démocratique ressemblant à un cercle autoproclamé de gens habilités à produire l’organisation sociale, des gens du genre « notable de bureau », des gens qui dirigent d’autres gens, qui se fréquentent entre eux, mais ne semblent avoir de rapport avec la société autre que par l’intermédiaire de numéros, rapports, expertises, chiffres et statistiques. Autant dire que, si une politique se dessine de cette usine à gaz, elle sera concevable comme une douce dictature d’experts. Troisièmement, si on observe la composition du collège international, on retrouve un même type d’individu. Le gestionnaire par excellence.
La création de ce think tank progressiste n’apportera rien à la gauche et le PS serait bien inspiré de prendre ses distances face à cette usine à gaz qui ne peut produire que du bricolage et singer ce qui se fait à droite. Terrible erreur que de vouloir jouer la partie progressiste sans le peuple, sans les citoyens, sans ceux qui vivent et qui ont pour certains des idées. Erreur que de se placer sur le terrain de l’adversaire sans aucun recul philosophique, sans réfléchir à un possible dessein de gauche pouvant s’écarter du pragmatisme, de la technocratie, du bricolage bureaucratique, pour un avenir lié au développement du génie humain sous la gouverne des visionnaires, bien plus habilités à œuvrer pour le progrès que tous ces gestionnaires qui se greffent le plus souvent sur l’intelligence des individus, prétendant diriger et souvent avides de prébendes. Comme sans doute toute cette faune émargeant à Terra Nova. L’avenir vaut mieux que cette fondation.
Terra Nova, une « farce intellectuelle » somme toute divertissante vue de province, si elle ne captait pas la quantité de progrès politique en squattant l’espace des possibles indûment. Pour preuve, cette réflexion d’Oliver Ferrand, président de Terra Nova qui, déjà, inaugure le mode de penser de l’usine à gaz à propos du logement et de la mixité. Créer un « parcours résidentiel », dit-il. Faut oser le faire dans le genre concept technocrate. Et puis une mesure bien bureaucratique, bien administrative. Créer des associations de propriétaires habilités à préempter des logements pour les louer et la manne publique de financier un différentiel de loyer. Bref, une mesure selon moi triplement idiote. D’abord, une association, ça ne se crée pas, et puis ce n’est pas fait pour faire du profit, enfin, l’argent public a d’autres destinations que de remplir le portefeuille de propriétaires pour satisfaire aux obsessions d’intellectuels décidant de montrer qu’ils sont des progressistes en œuvrant pour la mixité sociale. Avec en plus l’idée que la mixité s’achète auprès de la "société des propriétaires" comme une vulgaire marchandise. Il y a des options ô combien plus intelligentes. Notamment celles qui prennent appui sur les vécus et les expériences de tous les professionnels de toutes branches ayant un savoir-faire et une intelligence de terrain. Ces bureaucrates penseurs n’ont aucun savoir-faire si ce n’est jouer d’un charisme leur permettant d’occuper les innombrables strapontins en guise de hochet aurait dit Napoléon ; ils n’ont même pas le génie philosophique leur offrant quelque légitimité à « guider » le progrès. Et, donc, enterrons Terra Nova, cette institution avortée car génétiquement altérée par une consanguinité intellectuelle la rendant inopérante pour un mieux faire et mieux être social à inventer dans d’autres lieux !
La gauche est politiquement morte. Les chacals de l’intelligentsia peuvent maintenant se nourrir de son cadavre. Et le PS de chercher un chef charismatique car c’est la seule chance pour la gauche d’avoir une maigre possibilité de l’emporter en 2012. En l’état actuel des choses, c’est-à-dire en jouant sur le terrain de la droite.
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