Entre deux tours - Vers une alternance triste
La seule vraie surprise du premier tour de l’élection présidentielle de 2012 est le niveau élevé de la participation. Pour le reste, les résultats confirment que la France s’achemine probablement vers une alternance sans enthousiasme, alors que le Front National se place au centre du jeu pour le second tour mais aussi pour la recomposition politique qui suivra.
Les états-majors politiques et les médias ont eu beau spéculer lors de la dernière semaine de campagne sur la possibilité d’une surprise lors du premier tour, de surprise il n’y eut point... En tout cas en ce qui concerne les résultats, qui envoient les candidats PS et UMP au second tour et installent encore un peu plus le Front National au centre du jeu politique, avec des conséquences probablement profondes et durables pour l’avenir du pays.
La seule véritable surprise concerne en fait la participation, plus élevée que prévue. Tout semblait indiquer que l’abstention risquait d’être forte, en raison de la date du vote lors des congés scolaires mais aussi et surtout du manifeste manque de souffle d’une campagne qui a mis du temps à trouver son tempo. En fait, la participation dépasse 80%, à peine en dessous du niveau de 2007 (83,77%) et beaucoup plus élevée qu’en 2002 (71,6%). Il semble bien que ce surcroit de participation ait surtout bénéficié à la candidate du Front National, qui seule atteint un score significativement plus élevé que ce qui lui était promis par les dernières enquêtes d’opinion précédant le vote.
Pour autant, et sauf à faire preuve de malhonnêteté intellectuelle ou de manque de lucidité, il est impossible de considérer le score du FN comme une surprise. Ce score est au contraire dans la logique même d’une évolution politique entamée il y a plus de vingt ans, et que jusqu’à présent rien n’a permis d’enrayer durablement. Depuis son irruption sur le devant de la scène lors des élections européennes de 1984 puis des législatives de 1986, le parti lepéniste a installé l’extrême droite dans le jeu politique français, et ce pour la première fois de manière durable dans l’histoire démocratique du pays. Depuis lors, le FN a fortement pesé sur l’ensemble des scrutins, et a de fait obligé l’ensemble des autres forces politiques à se situer par rapport à lui. A gauche, on a d’abord favorisé la création de la mouvance anti-raciste dans les années 80 avant de s’essayer à la riposte de type « grande gueule » dans les années 90 avec Bernard Tapie. Mais dans le même temps le parti socialiste a vite saisi le profit électoral qu’il pouvait tirer de l’existence d’un mouvement mordant sur l’électorat de la droite républicaine, instrumentalisant le vote FN d’après certains observateurs… A droite, l’épineuse question de la relation au parti lepéniste n’a dès lors pas cessé d’être au centre des enjeux électoraux : des présidentielles de 1988 jusqu’aux régionales de 1998, la droite s’est déchirée parfois violemment sur l’attitude à adopter vis à vis du FN.
L’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles en 2002 n’a pas seulement constitué l’aboutissement de l’irruption du FN dans le paysage politique français, elle a aussi ouvert une nouvelle séquence de notre histoire récente dont le score de la candidate frontiste au premier tour de l’élection 2012 n’est que le dernier développement en date. Car c’est bien du 21 avril 2002 qu’a découlé l’essentiel de ce qui s’est passé depuis… Dès sa nomination au Ministère de l’Intérieur en 2002, et pour éviter une répétition du 21 avril, Nicolas Sarkozy a entamé de bâtir sa campagne de 2007 sur une stratégie consistant à « siphonner » les voix du FN en « droitisant » fortement et médiatiquement le discours et la pratique de la droite de gouvernement sur les questions d’immigration et de sécurité. Pari réussi en 2007, le candidat de la « droite décomplexée » réussissant à capter une partie de l’électorat frontiste et ramenant Jean-Marie Le Pen à environ 10% des voix. Mais pari extrêmement risqué, car Nicolas Sarkozy n’a jamais eu ni l’intention ni les moyens de donner à cet électorat FN ce qu’il souhaitait vraiment.
En effet le vote FN n’exprime pas seulement une frustration ou une désespérance économique et sociale, mais aussi et peut-être surtout une aversion à l’égard des évolutions de la population et de la société française. N’en déplaise à certains observateurs, une frange importante et probablement croissante de nos concitoyens n’est pas à l’aise avec la diversification ethno-culturelle de la population française, qu’elle perçoit non seulement comme cause d’une insécurité croissante et d’un appauvrissement économique mais aussi comme une atteinte à ses modes de vie et ses valeurs. Pour contenter la part de l’électorat FN qu’il avait su attirer à lui lors de l’élection de 2007, il eut donc fallu que Nicolas Sarkozy puisse mettre un frein et même inverser cette diversification, ce qui est évidemment parfaitement impossible sans mettre à bas les institutions démocratiques du pays. Rien d’étonnant, donc, à ce que ces électeurs retournent vers le Front National en 2012, avec la colère et le ressentiment de ceux qui on l’impression de s’être fait rouler. Ce retour au vote FN était d’autant plus prévisible que, dans le même temps, l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti a permis à celui-ci de retrouver une nouvelle dynamique et de dépasser le « plateau » qu’il semblait avoir atteint avec son ancien dirigeant.
Le score de Marine Le Pen n’est ainsi que le retour de bâton de la tentative de captation d’une partie du vote FN par Nicolas Sarkozy lors de la précédente présidentielle. Ce retour de bâton était inscrit dans la logique des choses dès 2007, et place le FN au centre du jeu pour le second tour mais aussi pour la recomposition politique qui devrait suivre. De ce point de vue, le score de la candidate FN est peut-être plus significatif encore que l’accession de son père au second tour en 2002. Sa stratégie pour la suite est claire : lancer un OPA sur la droite de l’UMP – comme un reflet inversé de l’OPA sarkozyste de 2007 – et se positionner en chef de l’opposition.
Dans l’immédiat, il apparaît clairement que l’électorat frontiste tient les clés du second tour. La seule possibilité pour Nicolas Sarkozy de l’emporter est de ramener vers lui la quasi-totalité des électeurs du FN, et la stratégie du président sortant pour les quinze prochains jours est donc claire : à droite toute… Pour Nicolas Sarkozy les réserves de voix sont sur sa droite plus qu’au centre, et il faut donc s’attendre à entendre beaucoup parler de sécurité et d’immigration dans les quinze prochains jours. Le discours du président sortant au soir du premier tour ne laisse d’ailleurs aucun doute sur son positionnement pour le second… Il n’est pas impossible que les stratèges de l’UMP aient anticipé cette situation, ce qui pourrait expliquer le positionnement déjà très droitier du candidat pour le premier tour, destiné à préparer le terrain pour le second, mais aussi l’imprécision de son programme, publié deux semaines seulement avant le vote et qui lui laisse la possibilité de sortir de nouvelles propositions à destination de la « France du Non » entre les deux tours…
Pour autant, Nicolas Sarkozy a-t-il une chance de l’emporter le 6 mai ? Cela paraît bien improbable, tant la montagne qu’il doit gravir est élevée… En effet, non seulement il aura beaucoup de mal à convaincre les électeurs frontistes de lui faire à nouveau confiance, mais il est également clair que Marine Le Pen fera tout pour le faire battre, la défaite du candidat UMP étant la condition même de la réussite de sa stratégie post-élection…
Sauf grosse surprise, la France se dirige donc vers l’alternance. Toutes les conditions sont réunies pour une élection de François Hollande le 6 mai prochain. Le total des voix de gauche lors du premier tour atteint son niveau le plus élevé depuis les présidentielles de 1981 et de 1988 qui avaient vu la victoire du candidat socialiste. Malgré la faiblesse des écologistes et le « pschitt » final de la bulle Mélenchon, le rapport de force est favorable à François Hollande, d’autant que Nicolas Sarkozy repoussera les électeurs centristes vers la gauche à mesure qu’il mettra le cap vers la droite… Le président sortant le sait pertinemment, dont l'insistance à vouloir tenir trois débats entre les deux tours sonne comme un terrible aveu de faiblesse…
Pour autant, l’alternance qui s’annonce sera une alternance triste, sans entrain. Contrairement à François Mitterrand en 1981, le candidat Hollande ne suscite que peu d’enthousiasme, et même ses partisans donnent l’impression de se faire peu d’illusions sur ce que le nouvel élu sera en mesure d’accomplir une fois à l’Elysée. Le ressort fondamental de l’élection aura été l’anti-sarkozysme, dont aurait probablement bénéficié tout adversaire présenté par parti socialiste. Plus qu’aux qualités et au programme de François Hollande, la gauche devra donc sa victoire à Nicolas Sarkozy, dont l’Histoire jugera probablement le quinquennat avec sévérité, mais aussi à Marine Le Pen, qui sait que la victoire du candidat socialiste sert ses intérêts pour la suite. Alors on dansera peut-être sous la pluie place de la Bastille au soir du 6 mai 2012, mais probablement pas avec le même entrain que le 10 mai 1981…
Pour terminer, une autre leçon doit être tirée du premier tour de l’élection présidentielle 2012 : bien qu’ayant été, comme en 2007, le seul candidat à tenir un langage de vérité sur la situation du pays, François Bayrou voit son score divisé par deux… Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que l’élection présidentielle ne se gagne pas en s’adressant à la raison des citoyens mais à leur instinct et à leurs passions. En 2012, le régime politique de la France continue donc à amener le pays à faire ses choix cardinaux sur des bases non rationnelles et non raisonnables, portant en germe les inévitables désillusions futures…
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