Et l’article 9 du chapitre 3 alors ?
Un petit commentaire sur le décret d’assurance-chômage du 26 juillet 2019.
L’objet de ce texte est d’imaginer les conséquences de cet article (d’imaginer tout court même), en voilà un copié-collé :
« La durée d'indemnisation est égale au nombre de jours calendaires déterminé à compter du premier jour de la première période d'emploi incluse dans la période de référence mentionnée à l'article 3, jusqu'au terme de cette période de référence.
Sont déduits de ce nombre de jours calendaires, les jours, situés en dehors d'une période pendant laquelle l'intéressé bénéficie d'un contrat de travail, correspondant :
- aux périodes de maternité mentionnées à l'article L. 331-3 du code de la sécurité sociale et aux périodes d'indemnisation accordées à la mère ou au père adoptif mentionnées à l'article L. 331-7 du même code ;
- aux périodes de maternité non mentionnées à l'alinéa précédent, indemnisées au titre de la prévoyance ;
- aux périodes d'arrêt maladie d'une durée supérieure à quinze jours consécutifs ;
- aux périodes d'accident du travail mentionnés à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale ainsi que les périodes de maladie d'origine professionnelle mentionnées à l'article L. 461-1 de ce code ;
- aux périodes d'activité professionnelle non déclarées par le demandeur d'emploi en application de l'article L. 5426-1-1 du code du travail. »
Après épluchage des nombreuses pages de ce décret, c’est certainement la nouveauté la moins commentée, mais peut-être la plus importante de toutes (en dehors des cas prévus par le dernier tiret déjà sanctionnés par le régime actuel).
Pourquoi ? Parce que pour la première fois, l’assurance-chômage va être liée à l’assurance-maladie, le recours à l’une empiétant sur l’autre. Alors qu’autrefois, les régimes étaient imperméables, chacun disposant de sa propre cotisation, aujourd’hui, la généralisation à travers le mécanisme unique de la CSG ouvre la porte à une réglementation globale. Cet article 9 du décret du 26 juillet 2019 en est une manifestation tangible. La porte ouverte pour simplifier l’assurance d’État-Providence ou plutôt la réduire à un minima payé par l’impôt et qui n’est plus corrélé à la contribution socialisée, générale ou pas. L’alignement de tous les régimes conduit forcément à la jonction des règlements. Puisque c’est la loi qui détermine par le haut, et non plus la négociation qui conduit à l’accord, il y aura encore moins de surprises, les bénéficiaires en seront toujours les mêmes. « Heureux les pauvres… »
Comment ? Une fois encore, par la centralisation des systèmes d’information et le recours à la micro-électronique et au bon Dieu Silicium, lequel n'est pas seulement un semi-conducteur mais surtout un parfait isolant. Certes, il va y avoir du travail, l’application de cette règle va nécessiter une coordination complète des organes de transmission et une participation des assurés. Mais les tuyaux sont encore petits et le personnel vieillissant des CNAV ou des Pôle Emploi n’a pas la compétence et encore moins la culture pour assurer le service après-vente de l’automatisation de la transmission des données, quelquefois défaillante comme les animaux humains qui les envoient. Il faudra aussi au départ que les gens déclarent absolument tous leurs évènements de vie quand ils s’inscrivent dans un organisme quelconque, ce qui ne va pas de soi, pas forcément parce qu'ils font de la résistance à la surveillance ou au changement, mais simplement parce que le temps passé à remplir des dossiers peut toujours mieux être employé ailleurs. Le changement de posture attendu est peut-être trop ambitieux pour fonctionner dans l'immédiat. Comme d’habitude, ça va traîner un peu. Mais on s’y fera, et la machine finira par marcher. L’inertie est devenue la meilleure alliée du pouvoir. On nous promet pire pour demain, on va donc se contenter des bonnes miettes d’aujourd’hui.
Dans quel but ? Pas stigmatiser le malade. Non. Le but est de stigmatiser la personne qui n’est pas en emploi. Le malade qui est en emploi est épargné par l’article, il est affilié à un employeur, on ne lui défalque pas ses jours de maladie de son capital de chômage. Le malade qui n’est pas en emploi voit par contre son affiliation totale être diminuée. Son tort aura été d’être indemnisé par la Sécurité Sociale pendant qu’il n’occupait pas un emploi (ce qui sous-entend qu’on suppose qu’il est forcément en maladie pour garder intact son capital de chômage). Une femme au chômage qui tombe enceinte et qui passe en arrêt maternité pendant son chômage verra son droit ultérieur réduit de cette période de gestation si jamais elle retrouve un contrat à durée déterminée ensuite. L’enfant d’un entrepreneur ou d’un salarié en CDI a meilleure valeur que celui d’un salarié précaire, ce n’est pas un fait génétique comme dans « Gattaca », c’est une affirmation législative. Non, quand on voudra stigmatiser les malades ou les femmes enceintes, on s'attaquera aux fondements de la Sécurité Sociale. Chaque chose en son temps.
Il faut être réaliste, l’argent a gagné sur toute autre considération. Personne ne demande de droits, tout le monde demande de l’argent. Les droits donnent des devoirs en contrepartie, l’argent n’oblige à rien sauf à le placer là où il faut pour qu’il s’épaississe au plus vite (et ça oblige à réfléchir, ce qui est pénible, mais tant que c’est pour soi et pas pour un autre...). Les derniers « Gilets Jaunes » qui restent sont ceux qui ont troqué les drapeaux CGTistes contre ce nouvel uniforme et les retraités qui ont du temps à occuper et un équipement obligatoire à rentabiliser. Ceux qui l’ont enlevé ont donné raison aux élites. La valeur travail a triomphé, la valeur métier n’existe plus. Puisque nous ne sommes plus ce que nous faisons, nous sommes encore moins ce que nous sommes. Nous ne sommes que ce que nous gagnons ou partageons, ou par la dernière force des choses, avalons. Nous faisons ce que nous faisons pour manger, couverts par une apparence de culture qui nous dissimule le vernis autrefois éclatant de notre bestialité. Pas parce qu’on est nés au seuil d’une forêt et que l’habitude locale a fait de nous des bûcherons. Pas parce que grand-père a fait un bel arc dont on tire encore profit en assénant des flèches aux rivaux locaux et en s’accaparant leurs terres. Non, parce que la forêt concrète a été remplacée par l’école centralisatrice et pas si abstraite, qui centralise les avenirs, qui centralise les projets, qui fait de tous ces projets les conditions de la participation de tous aux grands profits dont plus personne ne profite. Si tu n’as pas de projet, tu es malade, tu es donc inséré dans un système d’assurance, et le but c’est que comme l’école, ce système d’assurance soit unique et ne distingue plus les personnes. La simplification du tri coûte moins cher. Pour quelqu’un qui a de l’argent, tout ce manège fait sens. Celui qui n’en a pas reste près de la cabine à attendre que le gars ou la fille qui encaisse les tickets s’endorme pour pouvoir monter et y faire un tour. Pendant ce temps-là, le patron est en train de réécrire le tableau d'affichage avec les tarifs d’entrée. Après tout, ce ne sont que des prix à payer.
La résignation syndicale aura laissé le champ libre pour ce type de changement ("réforme", dans la langue du vulgaire). Les grandes centrales ont mal fait leur boulot, et pourtant, elles ont été grassement payées pour ça. La question n’est pas de savoir par qui. Elles avaient un rôle à jouer, et elles n’ont même pas fait semblant. La restructuration du système ne se fera pas pour les gens qu’elles sont censées défendre, ce qui veut dire qu’elle ne se fera pas non plus pour elles. Les décrets vont se succéder, les institutions d’après-guerre dans lesquelles les syndicats de salariés ont apporté leur pierre vont devenir des Églises d’un autre ordre. Et ce n’est pas bien grave. Les prières les plus fortes sont celles qu'on entend dans les casinos au moment de jeter les dés. Heureux les pauvres...
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