Et voici que François Fillon revient...
« Les mots "sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction" figurant au premier alinéa de l’article 385 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, sont contraires à la Constitution. » (Décision n°2023-1062 QPC du 28 septembre 2023 du Conseil Constitutionnel).
Non ! L'ancien Premier Ministre et candidat malheureux à l'élection présidentielle de 2017 n'a pas décidé de se relancer dans la course présidentielle pour 2027, mais François Fillon, qui a déjà été condamné en première instance par la justice, vient de remporter le 28 septembre 2023 sa première victoire judiciaire depuis près de sept ans.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a amené beaucoup plus de complexité dans la pratique de la justice, et pour une raison simple, la défense des citoyens et la garantie de l'égalité de traitement y sont mieux protégées. Grâce, en particulier, de l'introduction d'une innovation constitutionnelle majeure, amorcée il y a treize ans, la question préalable de constitutionnalité (QPC) qui est la grande part de l'activité du Conseil Constitutionnel désormais.
Je rappelle très rapidement ce qu'est cet objet bizarre : jusqu'à 2008, le Président de la République, les Présidents des deux assemblées ou au moins soixante parlementaires pouvaient saisir le Conseil Constitutionnel pour contester une disposition d'un texte de loi qui venait d'être adopté définitivement par le Parlement, avant sa promulgation par le Président de la République. Si elle devait être invalidée par le Conseil Constitutionnel pour inconstitutionnalité (non conforme à la Constitution), cette disposition serait annulée et ne serait donc pas applicable. Or, les QPC permettent une chose incroyable : d'invalider une disposition d'une loi... existante ! Ce contrôle de constitutionnalité a posteriori est juridiquement révolutionnaire ; c'est un gain pour les droits du citoyen car les valeurs fondamentales l'emportent sur la loi (principe d'égalité, de liberté, laïcité, etc.), mais cela peut aussi déstabiliser le droit et la justice. La QPC se fait évidemment avec un filtre très sévère, celui du Conseil d'État ou de la Cour de Cassation, avant que le Conseil Constitutionnel ne soit réellement saisi de l'affaire. Et il faut que le requérant soit lui-même impliqué dans une affaire judiciaire dans laquelle la disposition critiquée le:met en difficulté.
C'était le cas pour l'affaire de "François F." (la justice, dans ses décisions, ne cite jamais publiquement les patronymes des personnes en cause) : le Conseil Constitutionnel a ainsi été saisi le 30 juin 2023 par la Cour de Cassation (arrêt n°986 du 28 juin 2023) d'une QPC posée par "François F." relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, du premier alinéa de l'article 385 du code de procédure pénale.
Par sa décision n°2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, le Conseil Constitutionnel a rendu son verdict, il a donné raison à François Fillon. Il faut noter que trois membres du Conseil Constitutionnel, sur les neuf, ont refusé de siéger pour cette affaire, dont Alain Juppé, ancien ministre de François Fillon (et réciproquement), « ayant estimé devoir s'abstenir de siéger ». En revanche, deux anciens ministres du Président Emmanuel Macron ont siégé, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault, ainsi qu'un multiministre ancien Premier Ministre Laurent Fabius qui a présidé la séance. Pour l'occasion, parmi les « parties intervenantes », "Nicolas S." a fait enregistrer ses propres observations le 2 août 2023, ce qui n'est autre que Nicolas Sarkozy. Des observations qui allaient dans le sens de celles de François Fillon. Ce renfort politiquement inattendu n'est pas étonnant et a une force particulière puisqu'il provient d'un ancien Président de la République et membre de droit du Conseil Constitutionnel (qui ne siège plus au Conseil depuis 2013 pour éviter tout conflit d'intérêts).
De quoi s'agit-il dans la procédure pénale ? En gros, le Conseil Constitutionnel a donné raison à François Fillon sur le fait qu'une question de nullité de procédure doit pouvoir être soulevée même après la clôture de l'instruction.
Le premier alinéa de l'article 385 du code de procédure pénale prévoit : « Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction. ». Or, le prévenu pourrait n'avoir connaissance d'éléments pouvant conduire à la nullité de la procédure qu'après la clôture de l'instruction. Selon le requérant ("François F."), « il en résulterait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense ».
D'autres arguments ont été également évoqués comme : « Ces dispositions méconnaîtraient le droit à un procès équitable et le "principe de sécurité juridique". ». Une partie intervenante a expliqué aussi : « Le prévenu ne bénéficie pas de la même possibilité de soulever des nullités selon que le tribunal est saisi à la suite d’une enquête ou d’une information judiciaire. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice. ».
Les Sages ont été convaincus par ces arguments. Donc, l'inconstitutionnalité a été prononcée, en insistant bien, dans le communiqué de presse de la haute magistrature : « Sans se prononcer sur le litige de fond à l’origine de la QPC, le Conseil Constitutionnel déclare contraire à la Constitution le premier alinéa de l’article 385 du code de procédure pénale. ».
Concernant la date de l'inconstitutionnalité, le Conseil Constitutionnel a précisé : « En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. ». Ainsi, cette inconstitutionnalité s'applique immédiatement pour l'affaire avec François Fillon.
En revanche, pour les autres affaires judiciaires (toutes celles en cours !), le Conseil Constitutionnel a considéré que son inconstitutionnalité immédiate aurait des conséquences excessives (on imagine le risque de nullités de procédure), et par conséquent, a remis sa réalité au 1er octobre 2024, le temps que toutes les personnes concernées en prennent connaissance et agissent en conséquence : « En l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives. ».
Mais ce délai n'empêchera de s'en réclamer : « Afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er octobre 2024, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction. Il reviendra alors à la juridiction compétente de statuer sur ce moyen de nullité. ».
On le voit, le sujet est juridique et particulièrement ardu à appréhender pour le non juriste. En revanche, on peut comprendre assez vite que cette décision, au-delà de son impact sur les affaires en cours de François Fillon, risque de bouleverser considérablement les autres affaires judiciaires en cours par de nouveaux risques de nullités de procédure, comme écrit précédemment. Loin d'être un privilège pour éviter la condamnation d'une élite, il s'agit avant tout d'une protection des droits de la défense lorsqu'un justiciable est mis en cause par un juge. Et cela, tout le monde peut se rejoindre pour approuver.
Quant à François Fillon, il n'a pas à crier victoire de cette décision qui lui a donné raison, car cela ne préjuge rien sur ce que cela signifie dans le déroulement ultérieur de ses propres affaires judiciaires. Il pourra juste se dire que ses avocats sont bons et efficaces et qu'il ne les paie pas pour rien. Ses avocats considèrent que les révélations tardives selon lesquelles le Parquet national financier (PNF) aurait été pressé ou invité à aller vite dans son affaire pourrait constituer une nullité de procédure. Mais les révélations ont eu lieu après la clôture de l'instruction, ce qui empêchait de soulever cette nullité à cause de la disposition de ce premier alinéa de l'article 385 du code de procédure pénale. D'où le grand intérêt d'avoir saisi le Conseil Constitutionnel de cette QPC.
De toute façon, il n'a jamais été question d'un retour à la politique, des trois barons de LR (Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon), il est celui qui s'est retiré le plus facilement du monde politique en passant à autres affaires, dont certaines pouvaient d'ailleurs avoir, encore récemment, un arrière-goût un peu trop russe...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 septembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Et voici que François Fillon revient...
A-t-on volé l’élection de François Fillon ?
François Fillon, victime de la morale ?
Une affaire Fillon avant l’heure.
François Fillon, artisan de la victoire du Président Macron.
Matignon en mai et juin 2017.
François Fillon et son courage.
Premier tour de l'élection présidentielle du 23 avril 2017.
Macron ou Fillon pour redresser la France ?
François Fillon, le seul candidat de l’alternance et du redressement.
Programme 2017 de François Fillon (à télécharger).
L’autorité et la liberté.
Un Président exemplaire, c’est…
Interview de François Fillon dans le journal "Le Figaro" le 20 avril 2017 (texte intégral).
Interview de François Fillon dans le journal "Le Parisien" le 19 avril 2017 (texte intégral).
Discours de François Fillon le 15 avril 2017 au Puy-en-Velay (texte intégral).
Discours de François Fillon le 14 avril 2017 à Montpellier (texte intégral).
Discours de François Fillon le 13 avril 2017 à Toulouse (texte intégral).
Tribune de François Fillon le 13 avril 2017 dans "Les Échos" (texte intégral).
Discours de François Fillon le 12 avril 2017 à Lyon (texte intégral).
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