Étudiant gravement blessé à Tolbiac : une fake news des Jeunes Insoumis ?
Depuis vendredi dernier circulait une terrible rumeur, selon laquelle un étudiant de Tolbiac aurait été dans le coma, suite à un accrochage avec les CRS. La lumière se fait petit à petit sur cette affaire. Pas à la gloire des militants qui ont instrumentalisé cette histoire...
Juliette, 19 ans, est l'une des porte-parole les plus en vue des étudiants bloqueurs de Tolbiac (université Paris I). Elle a fait le buzz sur Internet suite à son passage sur LCI le 20 avril ; face à Robert Ménard, elle a défendu le principe des assemblées générales en non-mixité raciale et de genre, consistant à exclure les hommes blancs (figures de l'Oppresseur). Elle a aussi rétorqué au maire de Béziers que le racisme anti-blanc était une invention, qu'il n'existait pas.
Dans l’émission « C Politique – le débat », diffusée sur France 5 le dimanche 22 avril, Juliette a-t-elle relayé « une très grave fake news » ?
Interrogé par l'animateur, elle a maintenu l’affirmation, pourtant catégoriquement démentie par les autorités, selon laquelle il y aurait eu un « blessé grave » pendant l’évacuation du site de Tolbiac par les forces de l’ordre, allant jusqu’à soutenir que les pouvoirs publics mentent :
– Karim Rissouli : Pour être très clair, vous pensez que la Préfecture de police de Paris, l’AP-HP, la Mairie de Paris […] mentent aujourd’hui ?
– Juliette : Pour le moment, c’est ce que je constate, oui, tout à fait.
L’étudiante se réfère, dit-elle, à des « témoignages nombreux [et] qui se recoupent » provenant « de gens qui [souvent] sont précaires ».
Dans une vidéo postée le 20 avril sur YouTube, elle faisait déjà allusion à cet étudiant qui, suite à l'intervention d'un policier, se serait « éclaté la tête dans les escaliers », était « inconscient », « ne bougeait plus du tout », et aurait perdu « énormément de sang ».
L’individu, dont tout le monde parle, mais que personne n'a pu identifier, aurait tenté de fuir par les toits et alors qu’il s’apprêtait à sauter vers un autre bâtiment, un policier lui aurait tenu la cheville, précipitant sa chute quelques mètres plus bas.
Ce que nombre de médias qualifient de « rumeur » est apparue vendredi 20 avril sur des sites alternatifs comme Reporterre (dirigé par Hervé Kempf), ou Le Média, proche du mouvement de Jean-Luc Mélenchon, et reprise par le compte Twitter de la branche parisienne du syndicat Sud éducation :
D'après nos infos un blessé à la Salpetriere non inquiétant et un autre à cochin qui serait dans un état grave. Le fait qu'un bacqueux ait blessé gravement un jeune occupant est confirmé par des gens qui étaient dans Tolbiac. Mais pour l'instant on en sait pas plus..
— Sud éducation Paris (@sudeducparis) 20 avril 2018
Le syndicat Sud-Santé AP-HP a, quant à lui, évoqué un possible « mensonge d’État ».
Le Média a annoncé, dans un article qui a depuis été dépublié, qu’« un étudiant de Tolbiac [était] dans le coma », en illustrant son article avec une photo dont il apparaîtra qu’elle était datée du 1er octobre 2017 et qu’elle avait été prise en Espagne, lors du référendum sur l’indépendance de la Catalogne...
Puis, sur son compte Twitter, Le Média a diffusé le témoignage d'une étudiante, Leïla, déclarant que les pompiers avaient emmené un blessé « actuellement dans le coma avec une hémorragie interne ».
🔴 INTERVENTION POLICIÈRE À TOLBIAC : "DES CRIS, DES PLEURS, DU GAZ"
Leïla, étudiante à @TolbiacLibre nous raconte l'intervention policière de ce matin.
➡️ Le Média existe grâce aux Socios, rejoignez-nous https://t.co/EXExYWYVH4 pic.twitter.com/cIyPu5Meve— Le Média (@LeMediaTV) 20 avril 2018
Leïla, notons-le, est une militante de La France insoumise ; elle soutenait Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2017 :
Leila l'étudiante qui affirme avoir vu le garçon gravement blessé au point de sombrer dans le #coma et gisant dans son sang à la fac de #Tolbiac, celui-là même qui a mystérieusement disparu et qui n'a été aperçu dans aucun hôpital, est en fait une militante de la #FranceInsoumise pic.twitter.com/kXdJLWMX24
— de Cabarrus Thierry (@tcabarrus) 21 avril 2018
Toujours sur Twitter, Patrice Gravoin, coordinateur des événements nationaux de La France insoumise, a affirmé, vendredi en fin de journée, que « peut-être un môme [était] entre le vie et la mort » :
Alors que peut-être un môme est entre le vie et la mort, les images de @franceinfo, @BFMTV... et tous ces médias au service de #Macron sont une insulte à ce môme !!
Camarades salarié-e-s de ces médias, débrayez, ne laissez pas diffuser ces images de propagande !! #Tolbiac— Patrice Gravoin (@PGravoin) 20 avril 2018
Démentis officiels
Selon le communiqué de la Préfecture de Police de Paris du 20 avril, l’opération d’évacuation à Tolbiac s’est déroulée dans le calme, sans « aucun blessé » :
Conformément au communiqué de presse diffusé ce matin la @prefpolice confirme qu’il n’y a eu aucun blessé lors de l’opération d’évacuation de ce matin à #Tolbiac pic.twitter.com/a2GxAAalst
— Préfecture de police (@prefpolice) 20 avril 2018
Version corroborée par le directeur du site de Tolbiac, Florian Michel :
"Le centre est libéré. Tout s'est relativement bien passé. Il n'y a pas de blessés graves. L'opération de police a été menée avec beaucoup de finesse", explique Florian Michel, directeur du site de #Tolbiac pic.twitter.com/XMRtkUCUdm
— Romain Lescurieux (@RLescurieux) 20 avril 2018
Samedi 21 avril, l’AP-HP, qui gère 35 hôpitaux en Ile-de-France, a « [démenti] fermement » la rumeur :
L’AP-HP dément fermement les rumeurs selon lesquelles un blessé grave aurait été conduit dans l’un des services de l’AP-HP à la suite de l’évacuation de #Tolbiac https://t.co/LDbap1Mutk
— AP-HP (@APHP) 21 avril 2018
Des flaques de sang nettoyées ?
En dépit des démentis, Reporterre, le 21 avril, a maintenu sa version des faits, s'appuyant sur trois témoins.
D'aucuns sont allés jusqu'à se demander si les traces de sang, consécutives à ce supposé grave incident à Tolbiac, n'avaient pas été effacées (puisqu'elles ont disparu).
C'est ainsi que le syndicat CGT FTDNEEA et la Fédération CGT des Services publics « [demandent] à la Ville de Paris de faire la lumière sur la question de l'éventuelle intervention d'une équipe municipale de nettoyage qui aurait effacé des traces de sang » :
Un jeune gravement blessé à Tolbiac hier ?
Avec le syndicat CGT FTDNEEA, la Fédération CGT des Services publics demande à la Ville de Paris de faire la lumière sur la question de l'éventuelle intervention d'une équipe municipale de nettoyage qui aurait effacé des traces de sang pic.twitter.com/WG8khsYjKy— CGT Services Publics (@cgtfdsp) 21 avril 2018
Interrogé par Reporterre, Mao Peninou, maire adjoint chargé de la propreté de la Ville de Paris, a affirmé qu’après enquête au sein des services municipaux, « [nous] n’avons ni nettoyé ni repéré de taches de sang ou quoi que ce soit de ressemblant à Tolbiac ou dans ses environs ».
Mais Reporterre renchérit :
Problème : interrogée samedi après-midi par Reporterre au centre Censier, qui est occupé par les étudiants, Gérardine (prénom modifié), qui vit l’occupation depuis le début et a subi l’évacuation de vendredi matin, assure que deux autres personnes ont vu des flaques de sang là où le blessé serait tombé, tandis qu’un autre étudiant a vu les agents de nettoyage avec leur camionnette, ce que dit aussi Désiré, le principal témoin.
Sur le site Medium, Alain Grand Bernard (qui se présente comme un « citoyen attentif » et « En Marche ») met en cause le sérieux du journaliste de Reporterre, qui ne serait, d'après lui, qu'un stagiaire...
Les deux articles que Reporterre a consacrés à cette affaire (ici et là) sont signés Maxime Lerolle, qui, sur Twitter, se présente comme étudiant en journalisme culturel à Paris 10 et à l'ENS de Lyon. Sur Linkedin, on constate qu'il était stagiaire à L'Humanité jusqu'en juin 2017, stagiaire à Reporterre jusqu'en avril 2018, mais qu'il serait désormais (depuis quelques jours) pleinement journaliste.
Voici ce qu'Alain Grand Bernard reproche au travail de Maxime Lerolle :
L’article, toujours en ligne, intitulé « trois témoins racontent comment un occupant de Tolbiac a été blessé à la tête », offre un bon exemple de manipulation rhétorique en reprenant à chaque fois les démentis des différentes autorités mais en y opposant des témoignages d’individus dont les noms ne sont même pas les vrais et qui sont surtout des militants politiques, pas des acteurs neutres.
On apprend donc qu’il n’y a pas de blessé mais que c’est justement parce qu’il y a un blessé qu’on nous dit qu’il n’y pas de blessé, qu’il n’y a pas de traces de sang mais que c’est justement parce qu’il y en a qu’on nous dit qu’il n’y en pas. Etc. etc. Vous voyez le délire : c’est Matrix chez les zadistes de Tolbiac ! Le même journaliste qui se félicitait sur son compte Twitter d’avoir sorti son « premier scoop » en parlant du prétendu coma d’un étudiant. Chacun appréciera sa grande classe…
Une affabulation des Jeunes Insoumis ?
Il explique encore que Leïla, le témoin-clé cité par Le Média, est une « militante de la France Insoumise, qui quelques heures auparavant dans un autre média expliquait qu’elle n’était pas présente lors de l’évacuation… »
Effectivement, comme Leïla le dit elle-même au début de la vidéo ci-dessous (tournée pour Brut), elle n'était pas à l'intérieur de Tolbiac au moment des faits, et n'a donc rien vu :
C'est typique des rumeurs : beaucoup de faux témoins, qui, en réalité, ne font que répéter ce qu'on leur a dit, mais que finalement personne n'a vu de ses propres yeux... Dans l'affaire présente, les témoins directs dont on nous parle sont anonymes : on ne sait pas qui ils sont, sauf que ce sont des militants, qui n'ont donc pas une parole tout à fait neutre.
Leïla, que l'on reconnaît dans cette autre séquence, devant Tolbiac, en train de provoquer les CRS avec un ami :
Voici l’ami de #Leila, la militante affabulatrice de #franceinsoumise qu’on reconnaît à ses côtés. Calme, respect, dignité, ça donne envie pour nos enfants pic.twitter.com/re2xqra1gJ
— Aurélien Véron (@aurelien_veron) 22 avril 2018
L'ami agité de Leïla, qui hurle sur les CRS, c'est Taha Bouhafs, un candidat de La France Insoumise de la 2éme circonscription de l'Isère, lors des élections législatives de 2017.
Dans sa version des faits, donnée sur Twitter, Taha Bouhafs estime avoir été victime d'une agression des CRS (à chacun d'en juger...) :
Je me suis fait agressé et écarté par des CRS de la rue en face de l’université Tolbiac pour m’empêcher de témoigner aux médias de la situation. Coup de matraque dans le ventre discrètement. La fac est maintenant accessible uniquement aux policiers et journalistes. #Tolbiac
— Taha Bouhafs🔻 (@T_Bouhafs) 20 avril 2018
Taha Bouhafs ayant, ce 24 avril, limité l'accès à son compte Twitter aux seuls abonnés confirmés, voici une copie de son tweet :
Une chose est sûre, c'est l'orthographe qui est agressée dans son tweet... Deux fautes de conjugaison qui font mal aux yeux...
Deux heures après avoir posté ce tweet où il fait part de sa supposée agression par les CRS, il poste cet autre tweet, décrivant une véritable scène d'horreur : des CRS épongeant le sang des étudiants pour tenter de cacher leur crime...
les CRS épongent le sang des étudiants à l’intérieur de la FAC pour ne laisser aucune trace. C’est tout simplement incroyable ce qu’il se passe.
— Taha Bouhafs🔻 (@T_Bouhafs) 20 avril 2018
Quatre jours après les faits présumés, personne n’a pu établir l’identité du prétendu blessé, aucun proche de la « victime » ne s’est manifesté, et les rares témoins directs de l’événement demeurent anonymes.
« Sur place à Tolbiac, notre envoyé spécial n’a pu obtenir plus de détails sur l’identité de cet étudiant "blessé" », lit-on dans Le Parisien.
Faut-il en conclure que les jeunes militants de La France insoumise ont inventé de toutes pièces cette sordide histoire ?
Gérard Miller, l'un des cofondateurs de Le Média, publiait le 21 avril un tweet rassurant... qui signifiait aussi la fausseté de toute l'histoire complaisamment colportée par Juliette, Leïla, Taha et Maxime Lerolle (qui devra encore attendre un peu pour savourer son premier scoop)...
Plusieurs témoins, choqués par la violence policière à Tolbiac, évoquent un étudiant gravement blessé à la tête. L’info, après enquête, semble rassurante : tant mieux ! Il faut évidemment le dire et s’en réjouir, mais cette intervention policière n’en est pas moins scandaleuse.
— Gérard Miller (@millerofficiel) 21 avril 2018
A moins d'un incroyable coup de théâtre dans les prochains jours, qui verrait le prétendu blessé ou ses proches se manifester, il semble bien que l'on soit en présence d'un cas exemplaire d'affabulation complotiste.
« Le blessé qu'on invente, c'est le mort qu'on espère »
Mais pourquoi une telle affabulation, si c'en est une ? Pour le comprendre, il suffisait peut-être d'être attentif à un indice...
Sur le plateau de France 5, on a vu Juliette affublée d'un T-shirt demandant justice pour Adama Traoré, ce que Taha Bouhafs, le jeune Insoumis, a relayé sur Twitter :
Courageuse cette étudiante, Juliette, venue dénoncer sur @France5tv la violence policière lors de l'évacuation de #Tolbiac et de se présenter avec un t-shirt lourd de sens. #CPolitique #JusticePourAdama pic.twitter.com/4PRtkyfllE
— Pierre Jacquemain (@pjacquemain) 22 avril 2018
Il y a quelques jours, Taha Bouhafs portait le même T-shirt... lors d'un rassemblement en soutien à Serene Traoré, condamné à quatre mois de prison ferme et 600 euros d’amende par le tribunal de Pontoise, pour outrage à l’encontre de Nathalie Groux, la maire (UDI) de Beaumont-sur-Oise.
avec mes camarades Assa Traore et @Youbrak au rassemblement en soutien à Serene Traore condamné aujourd’hui, c’est le 4ème frère en prison, stop à l’acharnement contre cette famille et tout les copains qui se mobilisent pour la justice et la vérité.#ConvergenceDesLuttes pic.twitter.com/mqZeiJp71a
— Taha Bouhafs🔻 (@T_Bouhafs) 18 avril 2018
Et le porte-parole des Jeunes Insoumis David Guiraud portait, lui aussi, le même T-shirt sur CNews... ce qui semble indiquer qu'il s'agit d'une action coordonnée dans cette formation politique, et qui peut nous interroger sur l'affiliation de Juliette à La France insoumise...
#Universidad #university #educación #education RT @laveritepradama
Bravo au porte-parole des Jeunes Insoumis David Guiraud (@GuiraudInd) d'avoir porté fièrement le t-shirt "Justice Pour Adama" sur @CNEWS ! #JusticePourAdama partout sur tous les fronts !! pic.twitter.com/2DGzzGcmVw— eraser juⒶnjo * ✘ ★ (@eraser) 17 avril 2018
La mort d’Adama Traoré, après son interpellation par les gendarmes, le 19 juillet 2016, est présentée comme une "bavure" par l’extrême gauche, qui « rêve, dixit Valeurs actuelles, de faire éclater la nouvelle affaire Malik Oussekine, nom de l’étudiant mort le 6 décembre 1986, après une intervention policière à l’issue d’une manifestation étudiante ».
« Le blessé qu'on invente, c'est le mort qu'on espère ». Ainsi Raphaël Enthoven a-t-il saisi, sur Europe 1, l'essence de cette affaire, de la rumeur de Tolbiac. Il est en effet à craindre que certains militants gauchistes espéraient secrètement que les CRS ne dérapent et ne commettent l'irréparable : une bavure fatale. C'eût été l'étincelle qui aurait embrasé la situation... à quelques jours des 50 ans de Mai 68.
L'étudiant dans le coma de #Tolbiac.#FakeNews honteuse car, comme dit @Enthoven_R « Le blessé qu'on invente, c'est le mort qu'on espère »
"mythomanes sordides" de l'@UNEF, #FranceInsoumise, @MarianneLeMag, @LeMediaTV @pjacquemain
(par @AlainGdBernard : https://t.co/MKsfrk6uK6) pic.twitter.com/UrF0W24zil— Fʀᴇɴᴄʜ 🇫🇷🇪🇺 Oɴ Tʜᴇ Lᴇғᴛ (@OnZeLeft) 23 avril 2018
Ce lundi, la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a qualifié d'« abjecte » la rumeur selon laquelle l'évacuation par les forces de police de Tolbiac vendredi avait fait un blessé grave chez les occupants. Elle a d'ailleurs repris les mots d'Enthoven, « qui a dit que 'l'étudiant blessé qu'on invente, c'est peut-être le mort que l'on souhaite' ».
La ministre a aussi fermement regretté que Le Média, la web TV créée par des proches de La France Insoumise, « avait l'air de se réjouir de cette nouvelle, qui lui a permis de faire du buzz ». Selon elle, « c'est tout sauf du journalisme ».
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