Éva Joly l’incorruptible : une vie de convictions au service de la justice
En tant que juge d’instruction comme en tant que candidate, Éva Joly s’est toujours laissée guider par sa foi en la justice, son rejet de la corruption et son espoir d’un monde meilleur. Ses opposants préfèrent l’attaquer sur la forme plus que le fond. Ils ont tort.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH136/Eva-Joly-N4thaniel-WCC-67aac.jpg)
L’amour de la France ne s’affirme pas dans la stigmatisation des autres peuples ou une quelconque hiérarchisation des civilisations. Beaucoup semblent l’oublier et se servent d’Éva Joly pour catalyser leur haine puante pendant cette campagne. Ses détracteurs préfèrent l’attaquer sur son accent et son physique plutôt que son programme. Ce genre de pratique dégrade celui qui l’inflige plus encore que celui qui le subit. C’est un vice symptomatique de notre Ve République gangrenée par l’ultra-personnalisation de sa monarchie quinquennale.
L’accent norvégien d’Éva Joly réveille les vieux démons xénophobes qui n’ont jamais cessé de hanter la mémoire collective du peuple français. Les nationalistes haineux, comme la droite conservatrice, rivalisent de railleries au lieu d’apprécier le lyrisme touchant qu’apportent ses inflexions nordiques à notre vieil idiome. Éva Joly défend la diversité quand les disciples acharnés d’une vision jacobine dépassée de l’unité nationale se réjouissent de voir notre langue si riche sombrer dans l’obscurantisme de l’uniformisation. La France résonne de tous les accents du monde, de la Bretagne au Maghreb et de Marseille à Bamako. Sa présence dérangeante nous le rappelle, elle renvoie notre pays face à ses laideurs, son système injuste, ses tendances discriminatoires et réactionnaires. Ce discours délétère résonne dans la bouche de ceux-là mêmes qui militent pour la peine de mort, l’ostracisme ou la fin de l’IVG. Les légataires directes des heures les plus sombres de notre histoire, héritiers du pétainisme, puis de l’OAS et du poujadisme.
On aime toujours plus ce que l’on a choisi ; et Éva Joly a choisi la France quand beaucoup la subissent. Elle a choisi l’amour quand d’autres ont hérité de la haine. Éva Joly n’est pas moins française que les multimilliardaires français qui fuient la solidarité nationale en déclarant leurs impôts en Suisse. Sa double nationalité exècre les ignorants qui s’imaginent un mérite illusoire à être nés quelque part sans avoir cherché à regarder au delà ; comme si Le Rat et l’Huître de Jean de La Fontaine pouvait encore faire foi à leurs yeux. Ses propositions de jours fériés pour nos frères juifs et musulmans font vomir les chantres du temps-béni-des-colonies ou les ultras-conservateurs cyniques, adeptes de « la France forte » ; quand ce dont nous avons besoin, c’est d’une France juste. Face au multiculturalisme, ils imaginent le renfermement nationaliste et la ségrégation comme une supériorité.
Cette campagne présidentielle pousse l’hypocrisie française dans les méandres abyssaux de son paroxysme. Qu’allons-nous aduler un président noir d’origines kenyanes aux Etats-Unis, pour ensuite traiter d’étrangère une femme, française depuis 45 ans, chez nous ? Pourquoi prôner l’ascension sociale par le travail comme valeur fondamentale de la réussite, mais mépriser une norvégienne née dans les quartiers pauvres d’Oslo devenue juge d’instruction puis candidate à présidence de la république ? Ce qui surprend chez Éva Joly, ce n’est en rien son accent ou, même, son physique -comme le croit Nadine Morano- c’est sa détermination. Une détermination honnête et profondément humaine. Cette même détermination qui a fait trembler les lobbies et ceux qui ont un compte en banque à la place du cœur, alors qu’elle était juge d’instruction.
D’aucun n’a fait ses preuves comme elle les a faites au cours de sa vie de combats. Beaucoup ont été ministres ou députés, ils ont tous fait parti du système. Elle l’a combattu. Tous parlent de travail et de précarité, elle les a vécu. Élevée dans une famille ouvrière luttant contre le déclassement d’abord, puis comme fille au paire, secrétaire et couturière ensuite, menant de front sa vie de mère et ses études de droit. Éva Joly a connu plusieurs vies, elle aurait pu s’enrichir dans la magistrature, elle a choisi la politique. Non par carrière, elle en a déjà une derrière elle, mais bien par conviction et par amour de la France. Elle n’a jamais rien lâché quand beaucoup capitulent sous la pression ou face à la carotte miroitante d’un ministère ou d’une mallette. Sa vie est une histoire de luttes, elle a subit des menaces de mort et s’est confrontée aux plus grands tourments pour faire triompher la justice dans l’affaire Elf. Elle a contribué à faire évoluer la solidarité Nord-Sud aux côtés du gouvernement norvégien dans le cadre de ses actions pour le développement international, contre la corruption et le détournement d’argent. Elle a expliqué aux Islandais pourquoi leur dette ne devait pas être remboursée et leur pays ne s’est jamais porté mieux que depuis.
Éva Joly veut changer le système, en aucun cas se mettre à sa tête. Mais si cela demande d’endurer une campagne de coups bas et de boules puantes, elle y est prête et le prouve tous les jours. Afin de convaincre, elle n’utilise pas l’argent, elle n’en a pas. Elle n’utilise pas un verbiage tonitruant, sa petite voix ne lui permet pas. Elle n’utilise pas la haine et le discours simpliste du bouc émissaire, elle en connaît les ravages. Elle n’utilise pas non plus la certitude ou l’ambition d’avoir une destinée providentielle, c’est un peut tard à 68 ans. Elle n’utilise que son cœur et ses convictions inébranlables. C’est sa foi en un monde meilleur qui guide ses pas. Les élites dominantes ont peint de la France un portrait à la Dorian Gray, cherchant à lui dissimuler ses laideurs. Elles se cachent derrière ce mirage, claironnant candidement que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Éva Joly est là pour lever le voile. Non pas pour anéantir le sujet de l’œuvre -comme dans le romain d’Oscar Wilde- mais pour lui permettre de renaître et aller de l’avant.
Yves Cochet dit d’elle que c’est une sainte et il est probablement proche de la vérité ; mais Éva Joly ne sera jamais présidente de la République. Elle l’avoue bien volontiers et penser le contraire serait pure illusion. Nul doute cependant qu’elle sera regrettée. Ses combats inspireront les générations futures de militants et l’Histoire lui rendra hommage comme elle le fera pour de nombreux écologistes qui ont eu raison avant tout le monde. De René Dumont et son verre d’eau, à José Bové faucheur d’OGM. De Noël Mamère célébrant le premier mariage homosexuel, au combat pour une Europe des peuples de Daniel Cohn Bendit. Les visionnaires ont toujours ce souci qu’ils sont trop en avance sur leur temps.
Maxence PEIGNÉ
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