Eva Joly : portrait d’une combattante

Ce portrait, presqu’un autoportrait puisque seule parle la protagoniste, montre sans ostentation les différents liens que cette femme pugnace et hors du commun tisse entre son passé et l’avenir de la planète, entre sa vie intérieure et sa vie publique, entre elle et le monde.
Eva Joly, simplement, probablement du fait d’une éducation d’une rectitude toute nordique, est une combattante qui ne se « la joue pas », mais qui agit. Elle nous en donne encore la preuve en sillonnant le monde et en militant contre les paradis fiscaux. Le film malheureusement n’aborde pas son engagement politique actuel, un temps auprès du MoDem, aujourd’hui auprès des Verts pour la campagne des élections européennes qui s’annoncent.
L’Europe est toutefois évoquée dans le film par l’ancienne juge d’instruction qui souhaite s’investir dans des projets à l’échelle européenne. « En voyageant et étant présente dans les pays en voie de développement, j’ai compris combien l’Europe est importante et combien les valeurs européennes représentent d’espoir ».
Elle raconte un souvenir qui a marqué sa vie. Elle se souvient que sa mère rêvait d’un réfrigérateur (à une époque où c’était un luxe). Qu’à cela ne tienne, son père lui a en fabriqué un ! Si on veut, on peut. Ce souvenir c’est le symbole de ma vie explique t-elle aujourd’hui.
Le Film commence par relater une visite officielle au Mali. Elle y est invitée par le Premier ministre Modibo Sidibé. « Chaque Malien vit avec 350 dollars par an, précise Eva Joly. Dans le monde, 9 millions de personnes possèdent 37 trillions de dollars ». Voilà l’équation qu’il faut absolument résoudre.
« Nous ne pouvons pas arrêter la corruption, constate Eva Joly, mais nous pouvons fermer les endroits où ils cachent leur fortune. On ne peut plus laisser les choses en l’état ». « Tout l’enjeu de l’aide au développement moderne est d’armer les services publics locaux pour les mettre en état de recouvrer leurs propres ressources. Si nous le faisons pas c’est que nous ne le voulons pas. Parce que le secret c’est que ça nous sert, le secret c’est que le colonialisme continue. Nous laissons les multinationales piller l’Afrique et le pivot du système ce sont les paradis fiscaux et il me semble que dans les dix années à venir c’est cela que nous devons changer ».
Ce travail de pédagogie est concret, c’est une façon palpable d’ « agir sur le monde » : « J’ai vingt minutes pour expliquer, pour parler avec le chef du gouvernement malien, il est entouré de ses secrétaires d’états qui donne des ordres tout de suite ».
Eva Joly n’est plus juge d’instruction depuis 2002. Elle a obtenu ses diplômes en 1970, en France, son pays d’adoption depuis 1964 où elle est arrivée comme jeune fille au pair et où elle a fondé une famille. Elle explique comment elle s’est battue pour apprendre les mœurs de ce pays étranger - s’inscrire en droit était pour elle une façon d’appréhender la société française en comprenant ses institutions - et combien cet apprentissage « douloureux » lui a permis faire face lors de l’Affaire Elf qui aurait pu la détruire. Juste après, si le gouvernement norvégien n’avait pas fait appel à elle, elle serait « morte moralement », confie t-elle.
Pourtant, malgré les pressions de toutes sortes, elle se souvient du jour où elle a découvert cette véritable intrigue : « j’ai vu tout de suite que c’était un dossier important. J’étais sûrement inconsciente ! J’avais envie de voir ce qu’il y avait au bout ». L’Affaire Elf, ce sont six années où sa vie était en danger, où elle a « bénéficié » de la protection d’un garde du corps. Durant deux ans, pendant cette période, des hommes armés demeuraient même dans son foyer vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour la protéger.
Un enfer pour elle, mais surtout pour sa famille, complètement déboussolée. « Moi, reconnaît-elle aujourd’hui, j’avais le plaisir de l’action ». Dans la folie médiatique déclenchée par cette affaire et largement exploitée par les dirigeants mis en examen, Eva Joly « reste calme », ne perd pas la direction de son enquête. « Ils ont réussi à faire croire à l’opinion que nous avions fait une énorme mise en scène. Malgré cela, ils ont été condamné ».
Sans forfanterie elle rappelle que « c’est la première fois que l’on montrait le dessous des cartes des entreprises […] les dirigeants me disaient qu’on avait tort de nous intéresser à eux. Ils ne faisaient ce que tout le monde faisait. A partir de là j’ai compris qu’il fallait s’attaquer aux structures qui permettent de détourner des fonds en toute impunité. L’affaire Elf a abouti à trente condamnations. C’est exceptionnel car ce genre dossiers subit des avaries (juges mutés, procédure annulée…). Aujourd’hui constate t-elle avec une espèce de détermination qui allume ses yeux vifs, « ils sont sortis de prison et non pas payés les amendes ». Son espoir : « Que l’opinion retienne que c’était une justice malgré tout ».
Et, confie t-elle, un rien désabusée : « La justice n’est pas faite pour juger les dirigeants, mais pour juger les voleurs de sacs à main et d’auto-radios ».
De façon inattendue, quasiment à la fin de cette affaire qui l’a épuisée, son pays natal, intéressé par ses compétences internationales et la lutte qu’elle a menée contre les flux financiers illicites, lui demande . Une nouvelle vie commence là où il y a maintenant 65 ans, Eva Joly a commencé la sienne.
Non, vraiment, on n’apprendra rien de nouveau en regardant ce film. Mais il faut tout de même s’en imprégner. Car il nous rappelle qu’il y a sur cette terre des individus qui se battent avec nous, pour nous. Merci Eva Joly.
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Crédit photo : David Reverchon
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