Existe-t-il un plan « anti-vieux » ?
Entre fantasmes (sondage récent SOFRES déclarant que les Français ont une mauvaise image des maisons de retraite) et réalité (officielle), quelle est la part de vérité ? Un livre intitulé « On tue les vieux » est paru en novembre 2006. Un autre, « On achève bien les vieux » l’a suivi de peu. Et, à présent, ce sondage inquiétant. Qu’en est-il réellement ?

Rappelons les enjeux :
Un "tsunami démographique" nous menace tous. Le nombre de personnes âgées de plus de 85 ans est appelé à doubler entre 2005 et 2020. D’ici à 2019, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait croître de 20 %. Vous me direz : "Oui, mais c’est prévu, nos politiques s’en occupent !" Pas si sûr... Lors de la campagne présidentielle, un collectif d’associations et d’organismes a posé douze questions à tous les candidats et demandé une rencontre en direct. Aucun candidat n’a donné suite à cette dernière demande et seulement six candidats ont donné une réponse suffisamment étoffée et acceptable : Bayrou, Besancenot, Buffet, Royal. (Sarkozy a bâclé une réponse en toute dernière minute). Claude Evin, député socialiste et président de la Fédération hospitalière de France critique le "plan solidarité grand âge" créé en juin 2006 : selon lui, les moyens sont largement insuffisants et devraient être doublés.
Quels sont les reproches formulés ?
Le livre "On tue les vieux" est sorti fin 2006. Ses auteurs sont des professionnels de renom, dont Jacques Soubeyrand, professeur de gériatrie à Marseille et Christophe Fernandez, président de l’AFPAP (association française de protection et d’assistance aux personnes âgées). Que dit-il ? On tue les vieux mais pas uniquement en France, on les tue partout, ce serait international. L’Internationale du crime de vieux en somme. Un documentaire de 90 minutes paru sur Canal Plus le 15 septembre 2003, "Le Business des mouroirs", montrait des scènes qui avaient de quoi épouvanter tout téléspectateur : un résident presque nu abandonné sur un fauteuil, sonnettes d’urgence inaccessibles, malades d’Alzheimer pataugeant dans l’urine des couloirs, etc. Le livre cite une enquête de la revue "Sciences et Avenir" (numéro spécial février 2003) qui montre que plus on est vieux et plus on attend longtemps dans les salles d’attente des services d’urgence. Comptez sur un délai de 8 à 10 heures si vous avez plus de 65 ans ! Une autre enquête, celle d’un organisme officiel cette fois - la DREES - le confirme (Etudes et Résultats n° 212 janvier 2003). La prise en charge de la douleur chez nos vieux en maison de retraite est très négligée. C’est un rapport officiel qui l’affirme ("L’évaluation et la prise en charge de la douleur chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale", Assemblée nationale, rapport d’information n°1708 du 30 juin 2004).
Les Français ayant répondu au sondage SOFRES ont confirmé en partie ces griefs, ajoutant le coût à leur sens trop élevé des séjours, le manque de places, la maltraitance. Voyons ce qu’il en est...
Les griefs sont-ils vraiment fondés ?
Des efforts immenses ont été réalisés ces dernières années : transformation des hospices, mise aux normes de toutes les catégories d’établissements, création de la prestation dépendance (PSD puis APA)... Les PUV (petites unités de vie), particulièrement adaptées au milieu rural, ont vu leur nombre augmenter considérablement. Il s’agit d’une formule intermédiaire entre le maintien à domicile et l’hébergement en établissement. La loi du 2 janvier 2002 a rénové l’action sociale et médico-sociale en garantissant les droits des usagers des maisons de retraite : respect de la dignité, confidentialité (etc), le tout assorti d’instruments permettant d’assurer l’effectivité de la mise en oeuvre de ces droits, dont le "livret d’accueil" et une série de recommandations officielles dans la charte des établissements signataires de la "convention tripartite". Tout établissement est désormais soumis à l’obligation de se doter d’un médecin coordonnateur qui a pour mission, entre autres, de veiller à l’application des bonnes pratiques gériatriques et d’évaluer la qualité de soins.
Mais le sondage est sévère. Il est vrai que l’hécatombe due à l’absence de dispositif anti-canicule a marqué les esprits. Il est exact aussi que si les maisons de retraite comptent aujourd’hui 610 000 pensionnaires, il faudra deux fois plus de places dans quinze ans ! A condition que les moyens suivent, ou plus exactement anticipent, précèdent le phénomène de vieillissement et de dépendance de la population. Car le constat pour le moment est dur : le taux d’équipement des établissements d’accueil des personnes âgées était estimé en 2005 à 140 pour 1000 personnes âgées de plus de 75 ans, soit une diminution de 26 points par rapport à 1996. (DREES Etude et Résultats, n° 379, février 2005). Si nous sommes déjà en déficit de places, comment donc pouvons-nous prétendre satisfaire une demande toujours croissante ?
Deux plans ont été établis :
Le plan "Solidarité grand âge" (2007 - 2012) :
On remarquera la concordance des dates avec les présidentielles. Souhaitons que cela incitera les prochains candidats à se montrer plus sérieux dans leurs propositions et programmes. Le ministre Philippe Bas qui a détaillé ce plan l’a présenté comme "très ambitieux". Ce n’est pas ce que dit Claude Evin (voir plus haut). Le ministre dit "inventer la maison de retraite de demain" par une ouverture plus large sur l’environnement, en transformant les maisons de retraite en plates-formes d’offres de services diversifiés orientés vers le domicile. Il promet une augmentation progressive du taux d’encadrement médical, la baisse du prix grâce à des subventions lourdes. Il annonce aussi la création d’une filière gériatrique dans les hôpitaux pour que les vieux n’aient plus à passer par les services d’urgences.
Le plan contre la maltraitance :
Le même ministre a annoncé en mars son plan de lutte et de prévention contre la maltraitance et de promotion de la "bientraitance" (terme à la mode appliqué aussi dans le domaine de la protection de l’enfance). Une agence nationale d’évaluation des établissements a été créée à cette fin. Les Français ont-ils alors raison de s’inquiéter de maltraitance de leurs aînés placés ? Pas vraiment. En janvier 2002, un rapport du professeur Michel Debout, membre du Conseil économique et social, alertait le ministère qui d’ailleurs prescrit aussitôt des mesures aux DDASS. Et par arrêté du 16 novembre 2002 était institué le Comité national de vigilance et de lutte contre la maltraitance des personnes âgées. L’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) fit un rapport sur le dispositif de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des handicapés et mit en avant un certain nombre d’obstacles dans le traitement des plaintes ainsi que la confusion des compétences entre l’Etat et les départements, l’absence de coordination entre la justice et les affaires sociales.
Je conclurai là-dessus. Il y a urgence de clarifier les rôles des collectivités et organismes et de discuter de la question des maisons de retaite et de la dépendance sous forme d’une conférence nationale (puisque le sujet a été escamoté lors des rares débats de cette présidentielle-spectacle). D’autre part, une chose est d’élaborer des plans, une autre est de s’assurer qu’il seront financés et qu’ils sont efficaces. Faute de moyens suffisants, tous les plans risquent de n’en faire plus qu’un seul : un plan anti-vieux !
Liens :
- Le dossier consacré à la maltraitance, sur le site du ministère délégué aux Personnes âgées.
- Le site consacré à l’ouvrage "On tue les vieux" par les éditions Fayard.
- Le site de l’Association française de protection et d’assistance aux personnes âgées.
- Le rapport de l’Igas sur l’évaluation du dispositif de lutte contre la maltraitance dans les établissements.
- http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000352/0000.pdf
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