Faillite de l’Etat : filons la métaphore
Parce qu’il ne peut
s’agir que d’une métaphore, il nous faut tenter d’en analyser le pourquoi et la
signification.
Bien évidemment, et
même si l’exemple argentin pourrait nous en faire douter, un Etat ne peut être
en faillite.
Au pire, est-il
endetté. Or, mercredi 26 septembre, Daniel Cohen indiquait sur les ondes de France Culture que le
problème de l’endettement de la France résidait moins dans son taux, 60 % du
PIB (sur la question de la comparaison de notre endettement au
regard d’autres pays notamment européens, voir les articles publiés dans les éditions
précédentes sur Agoravox), que dans sa progression constante et surtout
exponentielle laquelle a pour principal effet, à court et moyen terme, de saper
la confiance tant des Français, conscients que leur avenir se trouve ainsi
obéré, que des investisseurs. Il ajoutait qu’un monde où les Etats ne seraient
pas endettés serait un monde invivable au plan économique...
N’étant pas économiste,
je ne m’aventurais pas sur ce type de terrain.
En revanche, il n’est pas inintéressant de se pencher sur le contexte et la
signification de l’emploi du terme qui ne doit rien au hasard.
En premier lieu, il
convient de remarquer qu’il est donc emprunté au vocabulaire juridique
habituellement utilisé dans le monde des affaires. Il relève en effet d’une
terminologie juridique de droit commercial. Toutefois, nous verrons qu’il est a
priori employé dans son acception commune et non technique laquelle retiendra
malgré tout notre attention.
Notons au préalable que
cet emploi de termes qui, dans la conscience collective, se rapportent au monde
de l’entreprise s’inscrit dans un mouvement général impulsé par le nouveau président de la République qui a annoncé, dès les premiers jours de son mandat,
qu’il entendait rompre avec une certaine pratique de gouvernement et mettre en
œuvre ce que l’on retrouve au sein des entreprises. Il a donc notamment délivré
à ses ministres des lettres de mission, ainsi que des objectifs chiffrés à
l’aune desquels leur action sera jugée.
Qu’est-ce qui se joue
ainsi dans la porosité de plus en plus avérée entre les modes de fonctionnement
de deux champs d’intervention de l’activité humaine aussi différents que le
gouvernement d’un Etat et celui d’une entreprise ?
Se posent
indéniablement les questions suivantes :
Un Etat peut-il être
géré comme une entreprise ? Et inversement, la démocratie que l’on tente
d’instaurer dans le fonctionnement des entreprises à travers le rôle de plus en
plus prégnant des actionnaires, est-il compatible avec le mode de gestion des
entreprises ?
Il est bien évident que
l’entreprise sous forme de société apparaît dans un environnement capitaliste
et libéral comme le modèle le plus abouti de l’efficacité. Rappelons que la
société a pour but la réalisation de bénéfices ou d’économies (art. 1 832 du Code civil).
Ainsi donc, il n’est
pas étonnant que dans la nouvelle imagerie en vogue y compris dans les milieux
politiques, l’on veuille transformer l’Etat en super entreprise performante.
Est-ce la prise en compte pragmatique d’une situation qui a eu pour effet de
transférer le pouvoir d’agir sur le réel des gouvernements des Etats aux grands
groupes capitalistiques transnationaux ? N’est-ce pas du reste le discours
également tenu au niveau européen dont la Commission ne cesse d’édicter les
règles d’orthodoxie à respecter en matière de gestion ? N’est-ce pas aussi ce
qui motive la chasse aux gaspillages, aux fraudes devenue le credo du président
(le terme chef de l’Etat étant pour l’heure assez flou dans la pratique
actuelle des institutions) ? Force est de constater qu’il y a du «
costkiller » dans notre président (chasseur de coût, consultants, qui
oeuvrent dans toute grande entreprise digne de ce nom) ! Tout cela étant frappé
du label de l’efficacité et de la réussite.
Alors pourquoi donc
M. Fillon s’est-il arrogé le droit d’emprunter au vocabulaire
d’entreprise une terminologie cette fois négative qui rappelle la mortalité des
entreprises, mortalité qui, par essence les distingue justement du statut quasi
divin de l’Etat drapé dans la fiction de son immortalité ?
Certes, il fallait
marquer les consciences par un terme choc... Certes il y a les petits jeux de
positionnement individuels. Petits jeux du chat et de la souris toujours en
cours entre le président et son Premier ministre.
Pour autant, il est
maintenant intéressant de revenir au sens juridique actuel du terme faillite
lequel pourrait démontrer que le choix n’est peut-être pas si innocent.
En effet, ce terme
n’est pas anodin. Dans le Code du commerce, il ne vise que les personnes...
physiques, à savoir les individus et non les structures. La faillite sanctionne
le dirigeant qui a commis des fautes dans la gestion de la structure qu’il
avait sous sa responsabilité (notamment s’il a poursuivi abusivement une
exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements
art. L. 653-3 1° du Code du commerce). On voit d’ores et déjà que d’un point de
vue technique, le terme est mal employé, l’Etat français faisant face à ses
dettes.
Mais sur le plan
symbolique... Lâchons-nous et faisons de la prospective. Si M. Fillon
conscient de la situation ne redressait pas la barre...
Peut-être est-ce donc
là le sens réel de la missive de François Fillon ? La faillite stigmatiserait
ainsi une classe politique dirigeante défaillante. Or, lorsque l’on sait que la
sanction de la faillite est l’interdiction de « diriger, gérer, administrer
ou contrôler directement ou indirectement », cela donne à réfléchir. Ne
serait-ce pas le moyen d’assurer enfin un renouvellement de la classe politique
française ?
De même, s’il y a
faillite personnelle, cela signifie qu’il y a cessation des paiements et donc
surveillance des paiements réalisés durant la période suspecte qui a précédé.
Peut-être cette analyse permettrait-elle de revenir sur les cadeaux fiscaux
réalisés par le gouvernement en début de mandat ?
Mais la question
essentielle arrive. Qui disposerait de l’action ? Faudrait-il considérer les
citoyens qui paient l’impôt, ce qui va du reste bien au-delà de ceux inscrits
sur les listes électorales, comme des actionnaires qui chaque année reverseraient
au capital social d’un Etat structurellement déficitaire leur côte-part
calculée au regard de leur participation à l’entreprise commune ?
Dès lors, l’action du
gouvernement ne pourrait-elle pas se voir remise en cause par des actions
menées par l’un d’entre eux comme attentatoire à l’intérêt social/général !
Voilà en tout cas qui
ouvrirait de nouvelles perspectives !
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