Faire converger les trois mouvements de transformation du capitalisme
Dans la nébuleuse des forces qui œuvrent actuellement à la transformation du capitalisme, on peut distinguer deux mouvements importants d’idées et de personnes :
i) Ceux qui veulent transformer le capitalisme de l’intérieur, en utilisant les mécanismes du marché et en s’appuyant sur la responsabilité individuelle des agents économiques (consommateurs, entrepreneurs, investisseurs, salariés...). Ils cherchent ainsi à développer des pratiques économiques différentes, plus humanistes, comme le commerce équitable, la consommation responsable, l’entrepreneuriat social, les entreprises coopératives, l’épargne et les finances solidaires, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, l’activisme actionnarial, l’investissement socialement responsable, etc.
Ils sont concrets, pragmatiques, constructifs et cherchent à maximiser leur impact direct « ici et maintenant ». Ils croient aux petites rivières qui font des grands fleuves ainsi qu’à la capacité de transformer les choses par la stimulation des comportements vertueux individuels. Appelons les « incitateurs ».
Ils ont voté majoritairement Oui au référendum sur le TCE (Traité constitutionnel européen) en 2005. Politiquement, on peut les trouver au PS comme parfois dans la gauche radicale (économie solidaire), et aussi (de plus en plus) à droite, dans la catégorie des cadres, par exemple. Beaucoup d’entre eux néanmoins ne se reconnaissent pas dans une couleur politique particulière.
ii) Ceux qui veulent transformer le capitalisme de l’extérieur, par la mise en œuvre de fortes régulations macroéconomiques : taxes sur les flux financiers, politiques volontaristes de redistribution, changement des règles du commerce mondial, sanctuarisation hors du marché des « biens communs », etc.
Ils parlent de remettre l’économie au service des peuples, de partager les richesses, d’inventer un autre mode de développement respectueux de l’homme et de la planète. Porteurs d’une forte volonté de transformation sociale, ils trouvent le dynamisme de leur action dans le combat contre ce qui est identifié comme responsable des problèmes sociaux et écologiques actuels : contre le néolibéralisme, contre les marchés financiers, contre les paradis fiscaux, contre la spéculation, contre la financiarisation de l’économie, etc. Ils défendent l’Etat social, les services publics, les biens communs.
Très politisés, on en trouve une partie au PS, un peu chez les gaullistes et surtout à la gauche du PS (altermondialistes, trotskistes, communistes, mouvementistes...) Ils se disent volontiers « antilibéraux », voire même « anticapitalistes ». Ils ont voté majoritairement Non au référendum sur le TCE en 2005. Appelons-les "les coercitifs".
« Incitateurs » et « Coercitifs », même combat
« Incitateurs » et « coercitifs » communiquent peu entre eux (ils se comprennent donc peu). L’indifférence, la méfiance voire le mépris et le rejet prédominent dans leurs relations.
Les premiers reprochent aux seconds d’être trop manichéens, trop abstraits, trop dogmatiques, de se complaire dans une posture d’opposition permanente et dans la recherche d’une pureté et d’une perfection théoriques étrangères au monde réel.
Les seconds reprochent aux premiers la modestie de leur ambition sociale ou écologique, leur naïveté face à la capacité de récupération du système, leur compromission avec leur capitalisme, leur manque de vision politique ou collective.
Ces reproches croisés sont pourtant des images d’Epinal, avec une part de vrai dans les deux sens, mais aussi beaucoup de caricatures et surtout d’oublis.
Ces deux mouvements, indispensables, sont en effet complémentaires. Ils vont dans le même sens, celui d’une réhumanisation de l’économie. Leur rapprochement est plus que jamais indispensable (le temps presse !), peut démultiplier leur impact et accélérer la mue du capitalisme actuel vers un système économique soutenable et réellement humaniste.
Pour transformer le capitalisme, il y a besoin d’agir au niveau microéconomique (action des incitateurs) comme au niveau macroéconomique (action des coercitifs).
Il y a besoin de stimuler les acteurs du capitalisme dans l’adoption de comportements responsables comme il y a besoin de contraindre le système pour limiter drastiquement les comportements socialement ou écologiquement néfastes.
Croire que le capitalisme pourra se transformer grâce à la seule vertu de ses acteurs est une illusion. Mais croire qu’il suffit de réguler de l’extérieur pour tout arranger l’est tout autant.
Le capitalisme n’est pas le monde des Bisounours, il ne se transformera pas uniquement par la simple volonté de ses agents, aussi « incitateurs » soient-ils. Il est aussi nécessaire de mettre en place de nouvelles règles du jeu, sans quoi les pratiques économiques différentes des « incitateurs » sont condamnées à rester marginales et ne pourront jamais « changer d’échelle ». Comment croire par exemple que le commerce équitable puisse atteindre 20 %, 30 % ou 40 % du marché mondial (il n’en représente aujourd’hui que 0,01 %) si les règles du jeu du commerce mondial restent celles d’aujourd’hui ?
Les incitateurs doivent ainsi réhabiliter la politique et l’idée de contrainte dans leurs grilles de lecture et ne pas craindre de créer du dissensus dans le capitalisme. Ce dernier ne pourra en effet se transformer sans conflit, sans rapport de force, juste en se mettant autour de la table (ce qui du reste est nécessaire). Les « coercitifs » peuvent les aider dans cette voie.
Mais, a contrario, le capitalisme n’est pas une « boîte noire » hostile dont il suffirait de modifier les paramètres extérieurs pour le remettre au service de l’homme. C’est nier la diversité de ses acteurs, la multiplicité de leurs motivations, la complexité de leurs relations. Le regard monolithique et négatif souvent porté par les « coercitifs » sur l’entreprise (vache fiscale à traire), le profit (fondamentalement mauvais et ne servant qu’à nourrir de cupides actionnaires) et sur l’entrepreneur (individualiste forcené ou exploiteur ne pensant qu’à s’enrichir) est peu propice à la mise au point de propositions politiques crédibles, appropriables et populaires.
Les coercitifs doivent ainsi développer une vision plus riche, ouverte et empathique de l’entreprise et de l’entrepreneur. Leurs propositions gagneraient aussi à partir du monde tel qu’il est, pas tel qu’il est rêvé. Dans cette optique, les incitateurs peuvent leur être utiles.
Les syndicats peuvent probablement jouer un rôle de pont entre les deux forces, en France, mais aussi et surtout au niveau international. Les syndicats sont par exemple de plus en plus engagés dans les démarches de RSE (Responsabilité sociale des entreprises) tout comme ils sont aussi impliqués dans les combats politiques macroéconomiques (plusieurs syndicats français sont membres fondateurs d’Attac).
Enfin, cette convergence serait incomplète sans l’intégration d’une troisième force, de plus en plus active et au moins aussi importante que les deux autres, sinon plus : celle qui œuvre à modifier la place de l’économie dans la société, pour qu’elle ne soit plus la dimension fondamentale qui s’impose aux autres, mais une dimension importante parmi d’autres (sociale, familiale, spirituelle...).
Ce qui passe concrètement par une réflexion et des propositions en faveur par exemple de la sobriété et de la « simplicité volontaire », de nouveaux indicateurs de richesse ou encore pour reconsidérer la place et l’organisation du travail.
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