Faire pression sur l’électeur
A chacun sa façon de mener sa barque politique, n’en contestons pas le libre choix. Il est cependant des positions étranges qui tendent à se généraliser. De celles-là sont les techniques de châtiment pré ou post-électoral, visant à inculquer vaille que vaille à l’électeur une morale politique manichéenne : « Ne pas voter pour moi, c’est commettre un crime, voire un meurtre politique ». Allons bon.
Le premier à poser les fondations d’un tel raisonnement fut Lionel Jospin le 21 avril 2002, lorsque à l’issue d’un premier tour où il ne figurait qu’en 3e place, il annonça à chaud "se retirer de la vie politique". Certes, cette déclaration fut par la suite contredite dans les faits, et obligea Lionel Jospin à de plaisantes contorsions rhétoriques pour expliquer ses successives tentatives de peser à nouveau dans le paysage politique français. Il n’en perdit pour autant pas le sentiment de victime qui avait motivé sa position : je me souviens encore de l’une de ses déclarations, où il disait répondre à ceux qui lui reprochaient de les avoir abandonnés après la défaite : "Mais c’est vous qui m’avez abandonné le 21 avril ! Moi, j’étais là !"
Cette position est malheureusement caractéristique d’une certaine gauche, qui refuse de se voir dans le miroir des élections, et qui, lorsqu’il dessine une silhouette trop douloureuse, préfère le casser, voire le remplacer. En excluant d’assumer sa défaite, en refusant d’y voir sa propre incompétence, ses bourdes à répétition (parlant d’un programme qui ne serait pas socialiste, puis d’un Jacques Chirac vieilli et usé), ou son manque de charisme, Lionel Jospin a privé la gauche en 2002 d’un réflexe d’autocritique qui lui était indispensable pour envisager de gagner en 2007. Durant cinq ans, le PS de François Hollande s’est refusé à se retourner sur ce 21 avril 2002 de peur d’être changé en statue de sel. Et lorsqu’il a consenti à le faire, c’était pour en réitérer l’erreur.
En effet, le 10 avril 2007, alors en meeting avec les MJS, François Hollande ne trouve rien de mieux à transmettre à ses jeunes troupes qu’une terreur d’un passé dont il est lui-même tributaire :
« Je ne suis pas là pour réveiller des peurs, pour brandir des menaces, pour exorciser les démons, mais ce que je veux dire ici c’est que si la gauche ne fait pas le choix, dès le premier tour, de Ségolène Royal, alors elle ne serait pas dans la situation de pouvoir l’emporter au second. [...] La présence de la gauche ne va pas de soi. Je n’oublie pas ce qui s’est passé le 21 avril 2002. C’est aussi le niveau de Ségolène Royal au premier tour qui permettra la dynamique de succès pour le second. [...] Le moment est grave, il est important, il y a de l’incertitude, de l’indécision ».
En d’autres termes, les électeurs ont fait le mauvais choix en 2002, puisqu’ils n’ont pas voté pour nos idées. Il convient donc de les rappeler à l’ordre, et de les mettre face à leurs responsabilités : qu’ils se permettent de voter pour une autre parti une fois, c’est déjà beaucoup, mais deux fois, ce serait trop. Comme le sous-entendait Lionel Jospin, vu que l’on figure sur la liste des candidats, on peut considérer que l’on a fait le job ; les électeurs doivent maintenant faire le leur et voter pour nous ! En voilà un beau travail d’équipe... Et s’il ne fonctionne pas, alors "les Français m’ont tuer". Electeurs sans coeur.
Le dernier à donner dans ce registre, et ce pas plus tard qu’hier, est Arnaud Montebourg, vaillant porte-parole de Ségolène Royal durant la campagne présidentielle, fameux pour son inauguration du piquet socialiste (piquet de grève forcée, s’il en est) après son débordement malheureux à propos de François Hollande. Au terme de l’ascension du mont Beuvray, il a déclaré, parlant de sa candidature aux législatives : "Si je suis battu, j’arrêterai donc la politique. C’est à mes électeurs de choisir." Le débat ne porte alors plus sur un projet, une majorité, un parti, mais bien sur l’avenir politique d’un homme. Autrement dit, sentez-vous libre de voter selon vos convictions, mais n’oubliez pas que c’est ma vie qui se trouve au bout de votre bulletin... La République avait inventé la campagne électorale, pour permettre de convaincre les Français. Le PS l’a tronquée en mendicité électorale.
Alors, certes, il est possible de rétorquer qu’il ne fait que marcher dans les pas de M. Fillon, qui refuse d’avance aux ministres défaits dans leurs circonscriptions de poursuivre leur travail au sein du gouvernement. Et pourtant la démarche est tellement différente. Pour François Fillon, il ne s’agit en aucun cas de mettre en balance le parcours d’un responsable, qui serait stoppé net dans sa carrière, et son élection, mais bien plutôt de garantir une légitimité sans faille au plus haut niveau de l’Etat. Arnaud Montebourg s’empare de l’argument de la légitimité, pour le revêtir de celui, insidieux, du parcours humain. Un peu comme si votre vendeur de chaussures vous expliquait qu’il sera viré si vous ne lui achetez pas la dernière paire que vous avez essayée. Si cela vous échoit, ne ratez surtout pas l’occasion d’en vérifier l’exactitude...
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