Faut-il interdire le Front national ?
De temps à autre portée à débat au sein de l’intelligentsia parisienne, la question paraît pour autant aller à contre-courant de l’actualité politique récente. Alors que la succession de Jean-Marie Le Pen à la tête du mouvement frontiste bat son plein depuis quelques semaines, chacun garde en mémoire la déclaration de Christian Vanneste, s’étant prononcé en faveur, sous « certaines conditions » et à « moyen ou long terme », de l’émergence d’une « droite large » regroupant, entre autre, le Front national.
A l’instar de l’expérience transalpine du troisième et actuel gouvernement Berlusconi, la tentation partagée par certaines personnalités de faire émerger, à plus ou moins long-terme une « droite plurielle » pourrait-elle conduire les traditionnels partis républicains à reconsidérer la présence même de la formation frontiste au sein de l’échiquier partisan ?
Question rendue d’autant plus insoluble que la relation entretenue par le pouvoir avec le Front national offre une latitude inespérée au règne du faux-semblant, de la confusion et de l’ambiguïté.
Déjà, à l’approche des législatives de 1986, la droite accuse François Mitterrand d’ajouter, par le biais d’une réintroduction partielle de la proportionnalité au scrutin, à la division des droites et ce afin d’endiguer la vague RPR annoncée par les sondages.
Plus récemment, en mars 2007, c’est au tour du candidat Nicolas Sarkozy de déclarer qu’il se "battrait" pour que Jean-Marie Le Pen soit en mesure de récolter les 500 signatures nécessaires au dépôt d’une candidature à l’élection présidentielle. Et au dirigeant FN de rajouter : "Tout le monde, ou presque, s’accorde à dire qu’il serait scandaleux et dommageable pour la démocratie et pour la République que je ne puisse, par défaut de parrainages, être candidat".
Au-delà de l’opportunisme de Jean-Marie Le Pen, qui, bien que se présentant habituellement comme un candidat anti-système UMPS, épouse pour l’occasion des sentiments républicains, une part significative de dirigeants issus de familles politiques plus classiques semblent sujets à amnésie, passagère mais récurrente en période électorale, quant au positionnement à adopter vis-à-vis du Front National.
Par faiblesse ou irresponsabilité, ces-derniers font le jeu de l’extrême droite, et font courir à nos institutions républicaines le risque d’un nouveau 21 avril.
Faut-il pour autant interdire le Front national ? Et, conséquemment, accepter l’idée qu’en démocratie, l’expression politique puisse être limitée ? La parole d’une partie du corps électoral français, censurée ? Et, dès lors, consentir à s’acheminer vers un pluralisme politique à la carte ?
Le Front national, qui a, rappelons-le, été en justice au milieu des années 90 pour ne pas être qualifié de mouvement d’« extrême droite », se plait pourtant à brouiller les pistes et entretenir le flou sur son propre placement sur l’axe bipartisan : « économiquement de droite, socialement de gauche et politiquement pour la France » a d’ailleurs été un de ses slogans de campagne.
C’est que le Front entretient volontairement l’ambiguïté nécessaire à l’adhésion au populisme qu’il professe. Les déclarations controversées et coutumières des Cours de justice de ses principaux représentants ne sont cependant pas une exception frontiste dans le champ politique hexagonal. L’exemple de Brice Hortefeux est à ce sujet saisissant : pilier du gouvernement actuel, condamné en juin 2010 par le tribunal correctionnel de Paris pour injure raciale, ce-dernier n’en continue pas moins à exercer ses fonctions à la tête d’un ministère régalien de la République.
Oscillant entre provocation verbale et stratégie de respectabilité, Jean-Marie Le Pen a su avec habileté diriger son « Paquebot » dans les interstices de l’édifice républicain. Instrumenter les peurs, exploiter le rejet d’une classe politique traditionnelle à l’image écornée, agitant de ce biais la question de la représentativité du politique.
Le vote FN, dans la grande majorité des cas, n’est d’ailleurs pas tant l’expression d’une xénophobie, islamophobie ou autre rejet de l’altérité qu’un déversement de fantasmes instinctifs dont la violence s’exprime à travers les canaux traditionnels d’un vote protestataire.
Le Front national, bien qu’involontairement, joue ainsi le rôle d’un déversoir, et, paradoxalement, rétablit un des maigres liens qui puisse subsister entre une frange marginale de français qui situent leur pensée politique en stricte opposition avec la donne bipartisane traditionnelle et ce même échiquier partisan.
Prendre le risque d’interdire le Front, véritable catharsis politique, revient à prendre le risque de nouveaux 6 février 1934, d’une matérialisation physique de cette violence protestataire.
Car populisme et démocratie composent un jeu à double entrée et Marine Le Pen semble l’avoir compris. Loin des propos à relents négationnistes et antisémites du leader historique frontiste, le camp mariniste a adopté une stratégie de dédiabolisation, à travers une communication savamment orchestrée, dans l’optique d’une légitimation du Front au sein de l’espace traditionnel partisan.
Demeurent cependant préoccupants les gains de réciprocité de la mise en place d’une telle logique politique. En effet, si le Front national ressent l’influence du jeu démocratique traditionnel, ce-dernier subit lui aussi les effets pervers de la montée en puissance d’une telle force politique : certains discours jugés par le passé comme « haineux » et « nauséabonds » sont ainsi légitimés puisque mis à l’agenda de partis politiques plus traditionnels.
L’exemple le plus connu et débattu demeure celui de l’immigration, autrefois sujet sensible et quasi-tabou en France, tenu sur les fonts baptismaux par le Front national puis élevé en fonds de commerce, mais récemment récupéré par la majorité présidentielle comme thème de campagne puis appliqué à travers, notamment, la création du feu ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale.
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