Faut-il larguer l’Outre-Mer ?
En pleine année des Outre-Mer la question peut paraître incongrue, mais à quelques semaines du débat budgetaire au parlement, la question du poids de l'Outre-Mer dans le budget de l'Etat va remettre d'actualité la question de savoir s'il est utile ou non de conserver certains territoires d'Outre-Mer au sein de la République.
Il est temps de rompre avec l'idée trop répandue selon laquelle l'Outre-Mer coûte cher, et même très cher, à l'Etat. Au contraire, l'Etat a besoin de davantage de moyens pour réaliser au mieux ses missions en Outre-Mer.
Alors que l'année des Outre-Mer bât son plein, avec son lot de manifestations permettant à tous les français de mieux les connaître, la question peut paraître incongrue.
Il y a deux ans pourtant l'Outre-Mer était en proie à une grave crise sociale, dont l'Etat n'a alors pas pris la mesure et pendant laquelle il a semblé vouloir se désengager de ces territoires. Les solutions qui ont été apportées suite à cette crise -LODEOM, états généraux de l'Outre-Mer, conseil interministériel de l'Outre-Mer, référendum sur le changement de statut de la Guyane et de la Martinique- n'ont en rien répondu aux problèmes soulevés lors de la crise, ni contribué à redresser la situation économique ultramarine.
D'autre part, lors du vote du budget au parlement, la question du poids de l'Outre-Mer dans le budget de l'Etat remet régulièrement d'actualité la question de savoir s'il est utile ou non de conserver certains territoires d'Outre-Mer au sein de la République, et si oui lesquels.
Aujourd'hui, on semble sur la voie de la sagesse, mais rien ne dit que si une crise sociale éclate de nouveau dans les territoires d'Outre-Mer ou si la situation financière de la France devient critique, la question de l'abandon d'un ou plusieurs territoires, pour une simple raison financière, ne sera pas officiellement posée. De nombreuses raisons, historiques, humaines, géopolitiques, environnementales,... font que les liens sont très étroits entre la France Métropolitaine et l'Outre-Mer. Et il serait irresponsable de les sacrifier sur l'autel d'une fausse bonne raison financière.
Nous ne sommes qu'à quelques semaines du débat budgétaire au parlement, il me paraît de ce fait important de tordre le cou dès maintenant à l'idée trop répandue selon laquelle l'Outre-Mer coûte cher, et même très cher, à l'Etat.
Répandue, cette opinion l'est y compris parmi les parlementaires. Et pour cause : on leur présente dans les documents budgétaires que : “Au total l'effort budgétaire et fiscal de l'Etat en faveur de l'Outre-Mer s'élèvera en 2011 à 16,2 milliards d'euros”.
Car l'avantage et le drame de l'Outre-Mer est qu'il fait l'objet d'un document de politique transversale, comme c'est le cas par exemple pour la politique de la ville, dans lequel sont regroupées toutes les dépenses qui s'y rapportent. D'un côté, cela offre une meilleure visibilité de l'action de l'Etat et un outil très intéressant pour suivre l'efficacité des mesures prises en sa faveur. Mais de l'autre, cela permet aussi de voir en un clin d'oeil que l'Outre-Mer pèse 4,4% des dépenses du budget général et 18% du déficit budgétaire. Cela donne donc nécessairement à certains l'envie de procéder à des coupes sombres...
Mais à y regarder de plus près la réalité est tout autre : l'Etat dépense presque autant pour un habitant d'Outre-Mer que pour un habitant de Métropole. Si on ventile les dépenses budgétaires hors remboursement de la dette entre dépenses liées à l'Outre-Mer et dépenses « métropolitaines », on constate que l'Etat consacre 6100 € à chaque habitant d'outre-mer, et 4860 € à chaque habitant de Métropole. Soit un écart de 25%. Si on souhaite afficher l'effort réel de la nation en faveur de l'Outre-Mer, c'est donc l'écart entre les deux montants ci-dessus qu'il faut prendre en compte, soit 1241 € par habitant. Ce qui donne un total de 3,3 Md€, comparable au coût de la baisse de la TVA dans la restauration.
De plus, ces 6100 € intègrent les réductions fiscales dont bénéficient les ultra-marins (TVA, IRPP, IS,...) et les personnes qui ont recours à la défiscalisation (1,13 Md€). Sans cela, le montant des dépenses de l'Etat par ultramarin serait de 4900 €, soit un niveau strictement identique à celui d'un habitant de Métropole.
Par ailleurs, les territoires d'Outre-Mer produisent moins de richesses que la Métropole : le PIB y est estimé à 17 730 € par an et par habitant, soit 59% de celui de la Métropole (29 900 €). Cet écart de richesse se traduit directement dans le potentiel fiscal des ménages : le revenu fiscal médian des habitants d'Outre-Mer est d'environ 11000 € par ménage, contre 18000 € par ménage en Métropole. Au total, j'ai pu estimer que les habitants d'Outre-Mer acquittaient environ 1,4 Md€ d'impôts à l'Etat chaque année (IS+IRPP+TVA). Il serait instructif de réaliser un calcul comparable pour d'autres régions françaises, et on verrait probablement que de certaines afficheraient elles aussi un niveau de dépenses budgétaires sans commune mesure avec leurs capacités contributives. Sans pour autant qu'on les mette à l'index.
Certes, j'admets bien volontiers qu'il existe des pistes d'amélioration de l'efficacité des dépenses budgétaires en faveur de l'Outre-Mer, et le document de politique transversale et les différents rapports sur l'Outre-Mer peuvent aider à les mettre en oeuvre.
Certes, il existe des spécificités ultramarines, comme la structure démographique (36% de la population a moins de 20 ans, 25% en Métropole) ou la prime de vie chère, qui se traduisent sur le coût global des missions de l'Etat.
Mais au-delà des améliorations possibles, si on observe la situation de la vie de tous les jours, on est en droit de se demander si le budget de l'Etat en faveur de l'Outre-Mer n'est pas insuffisant, en quantité comme en efficacité :
- en matière d'éducation, l'Outre-Mer accuse un retard sur la Métropole, tant pour la réussite au brevet, que, dans une moindre mesure, au baccalauréat.
- en matière de santé publique, l'Outre-Mer se caractérise par une forte mortalité infantile (9‰), des pathologies spécifiques comme la drépanocytose, ou plus développées qu'en Métropole, comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires ou le sida, ou liées à des scandales environnementaux (chlordécone aux Antilles, mercure en Guyane). La prise en charge de ces pathologies requièrent un accompagnement spécifique de l'Etat.
- du point de vue du logement social, les besoins sont importants et insuffisamment couverts, et ce encore plus difficilement depuis que la défiscalisation est venue se substituer en grande partie à la ligne budgétaire unique.
- les communes d'Outre-Mer et certaines collectivités locales font face à une situation économique structurellement difficile, qu'il convient d'accompagner (Cf le rapport de la Cour des Comptes, juillet 2011).
- enfin concernant les missions régaliennes, l'Outre-Mer est en queue de peloton pour la sécurité routière (99 tués sur la route chaque année par million d'habitants, contre 64 en Métropole), pour la délinquance (le taux d'atteinte à l'intégrité physique des personnes en 2010 atteint 7,6 pour 1000 habitant à la Réunion et plus de 15 dans les DFA, contre une moyenne nationale de 6,2) ou pour les conditions de détention (Cf le rapport d'information des sénateurs Cointat et Frimat).
Dans ces conditions, j'espère que les parlementaires, lors du vote du budget, et malgré la priorité qui sera mise sur la réduction du déficit budgétaire, consacreront davantage de moyens à l'accomplissement des missions de l'Etat en Outre-Mer, afin de bien marquer l'intérêt que la nation tout entière porte à ses concitoyens ultramarins.
Benoit Chauvin
responsable outre-Mer de Cap21
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