Faux-semblants et victoire très relative
« Victoire de la gauche », « score surprise du Nouveau Front Populaire », Mélenchon réclamant Matignon et l’application sans le moindre compromis de son programme. Dimanche soir a été digne de la quatrième dimension tant les faux-semblants se sont à nouveau multipliés. Bien sûr, l’alliance de gauche termine à la première place, mais ses gains étaient anticipés et elle n’est pas en position d’imposer quoi que ce soit au pays, échouant à plus de 100 sièges de la majorité absolue.
Trois blocs et une impasse ?
Si les sondages avaient bien anticipé les résultats du premier tour, ils ont eu plus de mal avec ceux du second, annonçant, avant les 200 désistements de la minorité présidentielle et du NFP, un RN aux portes de la majorité absolue, et après, un duel serré autour de 200 sièges entre le NFP et le RN. Finalement, le bloc de gauche obtient 182 députés, le camp de Macron 163 et le RN et ses alliés 143. Ce faisant, les trois blocs sont assez proches. Et si les sondages avaient su modéliser ces scores, ce qui n’était sans doute pas facile, alors les résultats de dimanche soir auraient été un non-évènement, et les commentateurs auraient disserté sur la composition de la future majorité parlementaire. Là, l’immense majorité des commentaires se basent sur une comparaison entre les résultats et des sondages qui se sont trompés, oubliant au passage de se référer aux vrais chiffres de l’élection, qui dessinent une autre histoire.
Il faut rappeler ici que l’assemblée sortante comportait 250 députés macronistes, 150 députés Nupes (dont 75 LFI) et 89 députés RN. Bien sûr, la gauche progresse, et passe du second au premier rang, mais son gain n’est pas considérable, passant de 26% des députés à 31,5%. D’ailleurs, les listes d’Union de la Gauche, du fait des désistements, ne recueillent que 25,7% des suffrages exprimés contre 37% pour les listes RN-Ciotti, 7 millions de voix contre 10,1 millions. Peut-on seulement considérer que le NFP a une majorité relative avec à peine plus de 30% des sièges, et alors que son programme ne pourra pas rassembler au-delà ? Les déclarations de Jean-Luc Mélenchon, réclamant Matignon, et l’application sans le moindre compromis de son programme renforce encore le malaise que créé le lider maximo tant elles sont en décalage avec la réalité des résultats, lui qui n’a pas gagné d’élus. Le Nouveau Front Populaire n’a pas reçu le mandat d’appliquer son programme. Il est (un peu) plus fort que la Nupes, mais pas plus.
De même, la bonne surprise pour la minorité présidentielle ne vaut que parce que les sondages avaient surestimé ses pertes. Dans la réalité, le camp présidentiel perd près de 90 sièges, plus d’un tiers des survivants de 2022, qui avait déjà marqué un net recul du camp macroniste. Certes, ce n’est pas la bérézina, mais la défaite est lourde. La minorité présidentielle était de loin le premier bloc à l’Assemblée, il n’est plus que le second, avec à peine 20 sièges d’avance sur le troisième… Néanmoins, il faut bien reconnaître, qu’avec LFI qui ne voudra pas aller au-delà du NFP pour former une majorité parlementaire, et le RN, qui ne parvient pas à aller au-delà de son groupe, le camp présidentiel semble s’imposer comme une composante de la future majorité parlementaire. Mais cela suppose une alliance avec une partie de la gauche, et/ou une partie de la droite, ce qui n’est totalement garanti dans le contexte actuel.
En effet, on ne peut pas exclure que le NFP tienne et que son aile socialiste refuse toute alliance avec les macronistes, en jouant la carte du blocage pour essayer de rafler davantage la prochaine fois. Bien sûr, ce serait une posture assez ridicule alors que le macronisme est le rejeton du mandat Hollande, mais rejoindre Macron après avoir fait le NFP ne serait-il pas encore plus ridicule après avoir été élu sur un programme de rupture franche avec les dernières décennies ? Entre deux postures assez extravagantes, laquelle choisira le parti d’Olivier Faure et François Hollande ? Macron pourrait alors tenter l’ouverture à droite pour gagner une majorité relative. Mais les calculs présidentiels de Bertrand, Wauquiez ou Lisnard sont-ils solubles dans une alliance avec un président si impopulaire ? Malgré tout, cela pourrait être l’hypothèse la moins invraisembable, même s’il est aussi possible que l’Assemblée reste bloquée.
Le nombre de députés du RN, s’il est bien moins élevé que certaines prévisions, n’en reste pas moins une nouvelle marche franchie. Même s’il n’est que le 3ème groupe, l’écart n’est pas si grand, et c’est son bloc qui progresse le plus, en gagnant 54 nouveaux députés. Certes, la majorité absolue reste encore apparemment éloignée, mais des trois blocs, c’est celui qui réunit le plus de voix, avec 37% des suffrages et 10,1 millions de voix, contre 7 pour le bloc de gauche et 6,6 pour les macronistes. En clair, le point de bascule où le RN serait en position de prendre la majorité est peut-être plus proche qu’on ne le pense. Et ce, d’autant plus que le RN ne s’est pas montré sous son meilleur jour pendant cette brève campagne, entre grosses erreurs de casting pour certains candidats, un programme qui a pu paraître un peu friable, outre la question de vouloir mettre à Matignon un jeune de 28 ans, bien vert, et qui, s’il semble préparé et appliqué, manque assez souvent d’épaisseur et de répartis face à certains adversaires.
Au final, les Français ont confirmé la sanction contre Macron, qui perd plus d’un tiers de ses sièges. Le RN enregistre les gains les plus importants, même s’il reste le 3ème bloc, derrière le camp Macron et la gauche. Ce faisant, la France expérimente pour la première fois depuis 1958 une Assemblée où aucune majorité claire n’émerge. Si on peut y voir un triste retour au régime des partis, cela pourrait aussi achever la convergence du camp central, dont la dispersion partisane est largement artificielle.
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