Vendredi 14 décembre 2012 :
Affaire Karachi : les juges rejettent la piste des fonds secrets de Matignon.
Les juges chargés du volet financier de l’enquête Karachi rejettent la piste des fonds secrets de Matignon avancée par les avocats de Ziad Takieddine pour expliquer le versement de 20 millions de francs en espèce sur le compte de campagne d’Edouard Balladur en 1995.
« Il est établi que cette campagne a été financée au moyen des fonds secrets dont disposait alors l’état-major balladurien », ont écrit aux juges, dans une lettre consultée par l’AFP, les avocats de M. Takieddine pour demander la levée de son contrôle judiciaire. Ils estiment par conséquent « erronée », l’hypothèse de travail de Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire qui cherchent à savoir si les commissions versées dans le cadre de contrats d’armement ont pu alimenter, via des rétrocommissions, la campagne présidentielle du premier ministre d’alors.
Les juges s’interrogent sur l’origine des 20 millions de francs versés en espèces sur le compte, notamment 10,2 millions en une seule fois, trois jours après le premier tour de l’élection. Pour les avocats de M. Takieddine, cette somme provient de la Banque de France, qui gérait les fonds secrets. A l’appui de leur démonstration, ils citent le témoignage du directeur de l’agence du Crédit du Nord qui gérait le compte de campagne de M. Balladur et qui décrit des billets livrés « enliassés dans des conditions que seule la Banque de France pratique », selon le PV d’audition consulté par l’AFP.
Mais dans une ordonnance du 11 décembre, consultée par l’AFP, les juges estiment que « les allégations des conseils de M. Takieddine se heurtent aux dénégations de MM. Mongin et Balladur ». Pierre Mongin, ex-chef de cabinet d’Edouard Balladur à Matignon, et Nicolas Bazire, ex-directeur directeur de campagne, ont toujours écarté un recours aux fonds secrets.
« SE PRÉVALOIR DU SECRET DÉFENSE »
Les juges rejettent catégoriquement cette thèse « qui a longtemps permis à ceux qui l’invoquaient de se prévaloir du secret défense pour éviter de répondre à toute question ».
Et de rappeler que « ce fut le cas pour les fonds découverts au siège du Parti républicain » (PR) de François Léotard, également ministre de la défense de M. Balladur à l’époque, « et ceux déposés auprès du Fondo », un établissement financier italien. Dans l’affaire du Fondo, sur le financement du PR, 5 millions de francs dont l’origine est restée inconnue avaient été déposés au profit du PR. Par ailleurs 2,4 millions de francs avaient été découverts au siège du parti, en juillet 1995. Les responsables du parti ont toujours soutenu que les sommes provenaient des fonds secrets.
Mais confronté à M. Mongin, le bras droit de M. Léotard, Renaud Donnedieu de Vabres avait déclaré ne pas se souvenir de la personne qui lui avait remis les 5 millions de francs.
De plus, argumentent les juges, le montant des fonds secrets perçus par Matignon de janvier à mai 1995 – sur un total de 50 millions de francs annuel – n’a pu à la fois financer les 27,4 millions de francs pour la campagne de M. Balladur et le PR.
Les juges maintiennent en revanche la thèse de rétrocommissions démontrée par l’enquête qui « a révélé qu’à la même époque des retraits importants étaient effectués à Genève pour le compte de M. Takieddine ». D’après l’enquête, 70 millions de francs ont été retirés de Suisse par l’homme d’affaire franco-libanais sur lesquels il n’a jamais fourni, selon les juges, « la moindre explication sur leur destination ».
Les juges ont d’ailleurs étendu leur enquête pour mettre au jour de possibles « liens » entre ces retraits d’argent et les 7,5 millions de francs d’origine suspecte du PR.