François Bayrou au jour J
« Nous attendons un mot très simple : suspension. Cela suppose qu'à un moment, on arrête de tous s'enrhumer quand Gérard Larcher tousse ! » (Olivier Faure, le 12 janvier 2025 sur BFMTV).
Jour J pour le Premier Ministre François Bayrou : dans quelques heures, il va prononcer sa déclaration de politique générale. Ce n'est pas fréquent, dans une carrière politique, d'être nommé à Matignon, et donc, ce discours d'intronisation (informel, nous sommes sous la Cinquième République) est, en quelque sorte, l'un des moments culminants dans cette existence politique, et c'est le cas pour le maire de Pau et président du MoDem. Il a dû passer une nuit blanche.
La motion de censure déposée par le groupe FI et examinée le surlendemain, 16 janvier 2025, sera très probablement rejetée. Ni le RN ni probablement le PS, entre autres, ne souhaitent une censure à froid. En revanche, François Bayrou va devoir annoncer ce qui fixera sa destinée lors de la discussion budgétaire et de la probable nouvelle motion de censure pour son adoption.
Pour l'instant, François Bayrou a intégré l'enseignement du gouvernement de Michel Barnier : ne jamais faire confiance au RN pour la survie de son gouvernement, car ce groupe n'est pas fiable. En revanche, trouver des ponts avec le PS pour éviter une censure (le PS n'a aucun intérêt à une crise du régime) lui permettrait de durer. Encore ce lundi 13 janvier 2025 à 18 heures 30, une délégation du PS était reçue à Matignon. Des négociations au dernier moment. Pas forcément positives (le secrétaire général du PS Pierre Jouvet a dit sur BFMTV qu'il n'y avait pas eu « d'avancée significative dans les négociations »).
Ainsi, l'histoire ne se répétera pas. Peut-être qu'elle sera aussi écourtée que celle du gouvernement Barnier, mais ce ne sera pas pour la même raison, par la même méthode. Pendant longtemps, les caciques de LR avaient reproché à François Bayrou quelques points communs avec les socialistes. Ces derniers, en tout cas, considèrent qu'il y a une réelle négociation, une réelle écoute, en comparaison avec son prédécesseur direct. Peut-être que le soutien public, au second tour, à François Hollande en 2012 aura-t-elle sa justification a posteriori ? En tout cas, au contraire d'un Michel Barnier bien ancré à droite, François Bayrou est sincère lorsqu'il souhaite assurer un minimum de ponts avec le PS.
Le problème du PS (ainsi que des écologistes et des communistes), c'est que pour se différencier des insoumis, il leur faut une justification à la non-censure pour ne pas être traités de traîtres. Sans trophée, inutile d'envisager le temps long ou même demi-long. François Bayrou l'a bien compris et il est bien ennuyé, car le seul trophée qui vaille, c'est la réforme emblématique des retraites de 2023.
Depuis deux semaines, l'avenir de cette réforme se joue ainsi. Pas question d'abrogation, mais au moins une "suspension", de six mois. D'un point de vue juridique, une suspension est une catastrophe pour juriste : comment arrêter tout en assurant qu'on continue ? Et surtout, comment ne pas empêcher ceux qui bénéficient de cette réforme de ne pas être pénalisés ? Et cela sans nouvelle loi.
Comme avec Michel Barnier (c'était mon titre à sa déclaration de politique générale, prononcé le 1er octobre 2024), il s'agit d'une véritable quadrature du cercle. Comment rassembler deux aimants qui se repoussent ?
À ma gauche, Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, qui a réaffirmé sa position le dimanche 12 janvier 2025 sur BFMTV (lire en tête de l'article). Le sésame socialiste s'ouvrira avec le mot Suspension.
Le problème, c'est qu'à ma droite, chez Les Républicains, le mot Suspension est synonyme de ligne rouge. Ainsi, dans "Le Parisien", le président du groupe LR à l'Assemblée Laurent Wauquiez a déclaré : « Suspendre la réforme sans scénario alternatif revient à sauter dans le vide sans parachute. Ce sera sans la droite républicaine ! ». Idem pour le Président du Sénat Gérard Larcher : « Le message st clair : ni suspension, ni abrogation ! ». Quant à la présidente LR du conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse, elle a remis en cause, sur France Inter le 13 janvier 2025, la participation de LR au gouvernement en cas de suspension. Le principal concerné, le Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, fervent partisan de la réforme de 2023, ne précise pas s'il partirait en cas de concession à suspension aux socialistes.
Que me soit ici permis un petit commentaire acerbe envers les hiérarques de LR : ils ne manquent pas de culot alors qu'en 2023, ils s'étaient positionnés à l'Assemblée contre la réforme d'Élisabeth Borne. C'est justement parce que LR avait refusé de voter cette réforme que le gouvernement a dû brandir l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, puis, plus généralement, par absence de majorité absolue, que le Président Emmanuel Macron a fini par dissoudre l'Assemblée l'année suivante. Où étaient-ils en 2023 ? Seul Bruno Retailleau et Gérard Larcher ont été cohérents dans cette affaire puisqu'ils avaient soutenu la réforme au Sénat.
Au-delà du devenir de la réforme des retraites (ce n'est pas gentil, une si longue hésitation, pour les personnes concernées qui doivent quand même pouvoir avoir une idée de leur futur proche), François Bayrou devra aussi faire des réductions budgétaires, 50 milliards d'euros, peut-être plus si des concessions ont été données pour la suspension ? Et cela dans un contexte où son Ministre de la Justice réclame une augmentation drastique de son budget pour lutter plus efficacement contre les narco-trafiquants.
François Bayrou a néanmoins une certitude : c'est qu'en tout état de cause, LR ne voterait pas de motion de censure contre son gouvernement. Mais ce n'empêche que si les ministres LR devaient le quitter, et sachant qu'il est hors de question d'intégrer des ministres du PS (le PS souhaite rester dans l'opposition ; ce qui se négocie, c'est juste la non-censure), cela réduirait énormément sa base gouvernementale.
C'est là qu'on attend la grande richesse de la fabrique de consensus de François Bayrou. Et elle semble se reposer sur un mot, le mot suspension. Alors, j'ai regardé les synonymes que Larousse proposait pour Suspension : abolition, accalmie, arrêt, cessation, fermeture, trêve, interruption, fin. Il y a parmi ces mots proposés des mots à collerette rouge à exclure à tout prix, comme abolition, arrêt, cessation, fermeture, fin. On pourrait garder "accalmie", accalmie dans la vie politique française. Ou encore "trêve". Ce ne sera plus la trêve des confiseurs, mais la trêve de la galette, la trêve des rois. Bref, la paix des braves ! (Mais ce n'est pas gagné).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (13 janvier 2025)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Bayrou au jour J.
Édouard Philippe et sa partition particulière contre l'indolence.
François Bayrou et le Chemin.
Vœux 2025 d'Emmanuel Macron : aux Français de trancher ?
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron, le 31 décembre 2024 à Paris (texte intégral et vidéo).
François Bayrou au travail !
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Composition du Gouvernement François Bayrou I nommé le 23 décembre 2024.
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La méthode Bayrou réussira-t-elle ?
Terre de désolation.
La folle histoire de la nomination de François Bayrou.
François Bayrou, le papa Macron !
Le tour de François Bayrou !
La polémique entre Maurice Druon et François Bayrou en juillet 2004.
Le paysage politique français postcensure.
Motion de sangsue : les conséquences économiques désastreuses de la censure.
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Laurent Wauquiez met en garde contre l'instabilité institutionnelle.
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Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 5 décembre 2024 (texte intégral).
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