François Bayrou, l’Europe au centre
Le programme européen du candidat centriste
Par Xavier LE DEN, Stéphanie MEILLIER
Crédité de 15 à 20 % des intentions de vote dans les derniers sondages, François Bayrou est en train de s’imposer comme troisième homme dans la course à l’Elysée. Après s’être longtemps fait attendre sur la question, le candidat centriste s’est exprimé longuement sur l’Europe à l’occasion du Forum de Paris à l’Unesco sur le thème "l’Union, 50 après" (10 février) et lors d’une conférence de presse au Parlement européen à Strasbourg (12 février), où le président du parti centriste a précisé comment il entend "réconcilier les Français avec l’idée européenne". Eclairage sur le programme du candidat de l’UDF.
L’Europe, c’est son dada
S’il est un parti politique français associé à la construction européenne, c’est bien l’UDF (Union pour la démocratie française, créée sous ce nom par Valéry Giscard d’Estaing en 1978). Au panthéon de l’Europe figurent en effet de nombreux centristes : Robert Schuman et Jean Monnet, mais aussi René Pléven, qui en 1952 avait jeté les bases de l’Europe de la défense ; Valéry Giscard d’Estaing, sous l’influence duquel se décida l’union monétaire et l’élection du Parlement au suffrage universel ; Simone Veil, première présidente de cette assemblée élue, etc. François Bayrou revendique cet héritage. Ainsi, en 1999, l’UDF est le premier parti politique européen à demander l’adoption d’une Constitution pour l’Europe. De cette initiative naît un avant-projet ambitieux qui ne fera guère de bruit... jusqu’à ce que Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la Convention pour l’avenir de l’Europe, présente aux chefs d’Etats européens un projet de Traité constitutionnel en 2004. Ce texte reprend bon nombre de propositions centristes : charte des droits fondamentaux, personnalité juridique pour l’Union, président de l’Union, etc. Mécontents de la “lente dérive eurosceptique” du PPE (Parti populaire européen), François Bayrou et les 11 députés européens UDF profitent des élections de 2004 pour faire sécession. Avec l’aide de parlementaires venus d’autres Etats membres, ils créent le Parti démocrate européen (PDE), engagé en faveur d’une Europe de tendance fédérale. Cette création se traduit au sein de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe, nouveau groupe parlementaire en faveur d’une Europe forte et démocratique. Il y a donc à l’UDF et chez son président un engagement européen certain. C’est ce qui a valu à François Bayrou d’être qualifié par Romano Prodi, qui lui est politiquement très proche, de “plus pro-européen des candidats”.
Déminer l’échiquier politique français
Si l’Europe se fait au centre, la conquête de l’électorat français reste une autre paire de manche. Jusqu’à présent, les électeurs français n’ont pas laissé à François Bayrou l’occasion de rétablir la relation d’intimité qui, d’après lui, lie historiquement l’Europe à la France. Aux présidentielles de 2002, les sondages lui attribuaient également plus de 10% des intentions de vote en février, il n’a obtenu qu’un modeste 6,8%. 2007, même combat ? Pas tout à fait : entre le positionnement très droitier de Nicolas Sarkozy et les ratés de campagne de Ségolène Royal, François Bayrou peut bénéficier d’un nouvel espace et rallier les désabusés du clivage droite-gauche. De plus, le candidat semble avoir évolué. Depuis le vote de la motion de censure contre le gouvernement Villepin en mai 2006, il a pris des accents de “rebelle” avec ses diatribes “contre le système” (entendre : celui d’une Cinquième République selon lui essoufflée), contre la dette publique, l’injustice sociale, le biais politique des médias nationaux, etc. “Prendre la droite par la gauche” pour constituer “un nouveau gouvernement d’union nationale”, peut-être sur le modèle de la grande coalition allemande... reste pour François Bayrou à lâcher les boulets qu’il traine à droite et font de lui un partenaire potentiel douteux pour la gauche (si tant est que celle-ci vienne à y penser), et à offrir une alternative crédible à cette dernière qui ne résulte pas de la seule brèche ouverte par les déboires socialistes. En outre, dans le paysage politique hexagonal post-référendum, l’engagement européen ne fait pas franchement recette. François Bayrou en est conscient : “l’Europe, c’est vrai que les candidats en parlent peu, et c’est pourtant vrai que c’est l’un des grands sujets du destin du pays. Ils en parlent peu car ils sont gênés par les résultats du référendum. Moi je pense au contraire qu’il faut en traiter directement et clairement.” En effet, pour le candidat centriste, “il n’est aucun sujet de notre avenir national qui puisse trouver de réponse satisfaisante sans la dimension européenne.” L’Europe, veut-il croire, n’est pas pour lui une machine à perdre des voix, ni un simple enjeu électoral, mais “un sujet national, historique, qui doit engager chacun des citoyens dans une réflexion plus large sur ce que l’avenir doit être afin que notre voix [celle des Français] existe encore.”
L’UE, un idéal et une nécessité pour quel programme ?
Le Conseil national de l’UDF de Mai 2004 avait déjà accouché d’un document très ambitieux intitulé Nous avons besoin d’Europe. Presque trois ans, l’échec du Traité constitutionnel et un élargissement plus tard, les centristes continuent à croire, tant bien que mal, que la poursuite de l’intégration européenne est une nécessité. Dans l’avant-projet législatif paru fin 2006, La France ensemble, François Bayrou propose de :
- Développer une politique étrangère et de sécurité commune “qui permette à l’Europe de ne pas rester tributaire d’une autre puissance, même amie” ;
- Construire une politique commune de visas, de lutte contre l’immigration clandestine mais aussi de co-développement avec les pays d’origine ;
- Accroître de façon significative le budget de l’UE ;
- Harmoniser la fiscalité sur les entreprises, notamment pour lutter contre les délocalisations ;
- Défendre le modèle social européen (notamment par une législation communautaire sur les services publics). ;
- Changer de politique agricole commune, pour qu’elle soit à nouveau fondée sur les prix, et non sur les aides. Au rang des priorités : développement d’un programme français et européen de recherche dans le domaine des biocarburants, des biomatériaux, de la chimie du végétal, des biotechnologies et du génome ;
- Développer un programme européen de recherche sur les économies d’énergie, une fiscalité carbone, et une régulation des prix des énergies fossiles ; créer une autorité indépendante chargée de l’alerte énergétique ;
- Adopter un agenda de travail européen public : toute décision en préparation au Conseil devrait être annoncée à l’opinion publique française au moins six mois avant, avec passage obligé des ministres responsables devant les parlements nationaux. Ces derniers doivent également être mieux associés en amont du processus de décision européen ;
- Rééquilibrer élargissement et approfondissement : au nom de l’adhésion à une civilisation et des valeurs communes qui structurent l’UE, et pour garantir un “espace politique cohérent”, rejet de l’adhésion de la Turquie au profit d’un “accord de coopération” ;
- Relancer le processus constitutionnel, par un nouveau Traité simplifié, limité à l’affirmation de principes fondateurs et à un minimum de règles essentielles de fonctionnement : extension de la codécision ; abandon progressif de la règle d’unanimité et système de votation à la double majorité Etats/population au Conseil des mnistres ; créer le poste de Président de l’UE ; limiter le nombre de commissaires.
A Strasbourg, le candidat a réitéré et précisé ces pistes de réflexion à la presse, dans une volonté de démarcation par rapport à ses concurrents. Dans un contexte de crise sur la nature de l’UE, François Bayrou s’est prononcé pour une Europe forte, “capable de changer le monde”. Dans cette perspective, il a évoqué :
- Le lancement de 7 grands chantiers : économie, diplomatie, défense, climat/biodiversité ; énergie ; immigration et codéveloppement ; recherche ;
- La possibilité d’une Europe à “au moins deux cercles” : une Europe large, fondée sur le libre échange et l’harmonisation juridique, et une “Europe socle”, plus fondamentalement politique, dont la base de départ pourrait être la zone Euro ;
- La nécessité d’une pause dans les élargissements, selon son leitmotiv “plus d’élargissement sans clarification” ;
- La défense du mandat de la Banque centrale européenne, en opposition à la candidate socialiste Ségolène Royal, qui souhaiterait sa révision pour intégrer un objectif de croissance : “tout changement signifierait hausse des prix et hausse des taux,” ce qui serait néfaste pour l’économie ;
- L’obligation de distinguer, dans le Traité constitutionnel en panne, les dispositions institutionnelles et démocratiques de ce qui relève des traités. D’où l’idée d’une nouvelle conférence intergouvernementale qui rédigerait “un texte bref, dense, significatif, pas “mini” mais solide, lisible par tout le monde”. Ce nouveau traité devrait être soumis à ratification par voie de référendum le même jour que la prochaine élection des députés au Parlement européen en 2009.
Passer le baptême des faits
On le sent bien, François Bayrou a une ambition pour l’Europe. Non seulement dans son programme, mais par tradition centriste. Néanmoins, le fait que François Bayrou ait mis beaucoup de temps à s’exprimer sur l’Europe dans le cadre de sa campagne ne peut-il pas laisser craindre que le sujet ne sera pas la priorité d’un président de la République centriste comme elle ne l’a pas été pour le candidat, qui a privilégié dans un premier temps une campagne contre la Cinquième République et le pouvoir des médias ? Par ailleurs, puisqu’il a la prétention de gouverner au centre, au sein d’une coalition, peut-on croire que l’Europe ne fera pas les frais du grand marchandage auquel la mise en place d’une telle coalition donnera lieu ? Le fait, également, que François Bayrou ait évoqué la possibilité de nommer un Premier ministre de gauche n’annonce-t-il pas des difficultés à avancer sur la question de l’Europe selon les orientations données dans son programme ? Enfin, le choix de soumettre tout nouveau projet de traité à un référendum, en rejetant l’idée d’un "mini-traité" portant essentiellement sur les questions institutionnelles, n’est-ce pas prendre le risque de mettre en péril l’engagement européen de la France au nom du parallélisme des formes et du droit du peuple français à décider de ces questions ? Donnons donc rendez-vous à François Bayrou pour l’après 22 avril et, s’il est élu, voyons s’il aura la volonté et la capacité d’honorer, selon ses mots, un “vote constructif et rassembleur, qui ancrera résolument la France en Europe”...
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