François Hollande et le syndrome Morsi pour le chef des frères socialistes
La France et l’Egypte ? Rien de commun bien sûr, en terme de chaos, de régime, de niveau de vie. Pourtant, une légère similitude se dessine si l’on note l’impopularité du président actuel qui a été élu démocratiquement, comme le fut Mohammed Morsi après la destitution de Moubarak sur fond de révolte populaire. Les connaisseurs de ce pays ont vite compris que Morsi n’avait pas été porté au pouvoir par une adhésion massive, enthousiaste et populaire. Pour des millions d’Egyptiens, Morsi était le candidat par défaut, choisi non pas pour son programme mais parce qu’il incarnait le changement. Dans les milieux intellectuels, les votes pour Morsi ont été nombreux. Alors que le fond adhésif aux Frères musulmans est plutôt minoritaire à l’échelle du pays et même très minoritaire dans les grandes villes.
La suite est connue. Morsi a déçu beaucoup d’Egyptiens, se révélant incapable de gérer le pays et surtout de mener une politique à peu près juste et équitable, autrement dit le minimum syndical en matière de gouvernance. Morsi a privilégié une catégorie sociale de son pays au détriment d’une autre. Alors la rue est redevenue agitée. Des manifestations comme jamais le pays n’en a connues et la seule option, virer Morsi du pouvoir. L’armée gère actuellement le chaos mais l’armée a pris ces graves décisions parce que le « peuple mécontent » est venu jouer le « troisième homme politique », composante déterminante avec les Frères musulmans et les militaires. Le peuple est le lieu où se forge une opinion volatile, versatile et indocile. Ceux qui ont choisi Morsi par défaut ont retourné leur veste et se sont mis en colère.
Si l’on observe bien la situation française, alors on pourra observer que l’élection de François Hollande a été serrée alors que des millions d’électeurs se sont portés vers le candidat socialiste pour en finir avec le sortant Sarkozy. Des millions d’électeurs par défaut, sans rien espérer de Hollande ni adhérer franchement à son programme. Et dont je fais partie. L’élection de 2012 ressemble (un peu ?) à celle de Morsi. Dieu merci, elle ne s’est pas déroulée dans un pays en décomposition mais dans une démocratie occidentale aux fondamentaux solides. Jusqu’à ce que le peuple devienne lucide et prenne conscience que ces fondamentaux ont été utilisés par des réseaux oligarchiques pour profiter du système mais comme le système est assez riche, il permet aux classes moyennes de stabiliser le système. Mais attention à de pas désespérer les classes moyennes depuis que Billancourt est fermé. Les classes moyennes sont hantées par le ras-le-bol fiscal.
François Hollande devrait commencer à penser que le syndrome Morsi lui pend au nez. Car il a été élu sans enthousiasme, contrairement à son prédécesseur Nicolas Sarkozy en 2007. La constitution de 1958 révisée en 1962 prévoit, dans l’esprit, que l’élection présidentielle est la rencontre d’un homme et d’un peuple, dixit le sage Villepin qui a repris l’idée. Actuellement, nous sommes plutôt dans la situation du divorce entre un homme et un peuple, ce qui, traduit en terme d’éloignement du pouvoir et des citoyens, ne manque pas d’inquiéter un Philippe Tesson. Néanmoins, la situation ne peut pas être comparée à celle de l’Egypte car les cultures politiques sont différentes et le niveau matériel suffisant pour calmer les esprits et faire que les Français n’aillent pas dans la rue. Ils sont d’ailleurs plutôt réservés et même apathiques, ou à l’inverse, dans quelques lieux sensibles, assez énervés pour ne pas dire très en colère. Mais en général, ces sentiments de déception, d’inquiétude, de colère, de lassitude, sont intériorisés et « colmatés » par le système du divertissement.
Le syndrome Morsi se traduit par le sentiment que le pouvoir ne s’occupe pas des difficultés rencontrées par les gens et que ses arbitrages ne sont pas équitables. Ce sentiment peut-être justifié et réel ou bien falsifié et induit par quelques discours politiciens récupérateurs. Hormis la gestion calamiteuse de la crise syrienne, les Français sont en droit d’avoir quelques sérieux contentieux à l’égard du président. Les impôts pour commencer. Les nouveaux imposés de 2013 savent lire une feuille d’imposition mais aussi les journaux publiant régulièrement les nouvelles des plus grandes fortunes et les statistiques des enrichissements. On leur demande des efforts mais ce ne sont que les représentants du cinquième le plus aisé qui s’enrichissent (le nombre de millionnaires a augmenté de 30 % en peu de temps). La réforme des écoles est perçue à juste raison comme ratée et du reste, laisse le sentiment d’un gaspillage pour des résultats allant à l’inverse de ce qui était souhaité. La réforme des retraites sera jugée inéquitable par les travailleurs du privé qui la plupart, n’auront pas les moyens de cotiser 43 ans vu l’instabilité de l’emploi alors que ceux dont les emplois sont sécurisés seront avantagés. La réforme pénale semble passer à côté des enjeux. Il eut fallu penser à une réforme carcérale pour aider à la réinsertion et prévenir la récidive. Le « mariage pour tous » est perçu négativement par une bonne partie des Français, par seulement les adorateurs de la Barjot. Un référendum eut été plus approprié sur ce sujet sensible si bien que nombre de citoyens se sentent trahis.
On ne fera pas reposer cette défiance politique citoyenne sur les épaules du seul Hollande, ce serait injuste et de plus erroné. La politique de Sarkozy, le rôle des médias et les mesures décidées par Bruxelles ont contribué à ce marasme contemporain. Le syndrome Morsi désigne en fait une sorte de phénomène de masse ; « foules sentimentales » qui n’ont pas de centre de gravité politique et qui peuvent aller d’un espace idéologique à un autre, en occupant la rue ou bien en se déplaçant sur l’échiquier politique qui comprend quelques cases sensibles. La plus en vue étant bien évidemment le vote FN mais l’autre, souvent mise de côté, étant l’abstention. Une sorte d’onde électorale qui peine à se fixer et qui tend vers le FN mais sans que ce parti ne puisse parvenir au pouvoir, sauf en s’alliant comme le font les Verts, mais avec l’UMP et l’UDI.
Le syndrome Morsi se traduit par des effets dévastateurs en Egypte mais en France, il n’a pas le même impact. Il est atténué. Il ne faut pas l’ignorer, même s’il ne conduit pas à la guerre civile. Dans d’autres pays occidentaux, les élections poussent vers le pouvoir des dirigeants par défaut. C’est une sorte de pathologie de la démocratie diront les uns, ce qui n’est pas faux si on idéalise la démocratie. C’est en tous cas un marqueur d’époque. La désaffection vis-à-vis de Hollande a été d’une étonnante rapidité. Et si le prochain président est de droite, il subira aussi le syndrome Morsi. Le « troisième homme politique » qu’est le peuple s’est d’ailleurs manifesté lors d’une émission sur France 2 où une chômeuse s’est copieusement lâchée face à un prétendant pour 2017. Ou le « quatrième homme », si l’on convient que le jeu politique se joue entre trois forces, PS, UMP, FN et le peuple. Chaque nation a son syndrome Morsi spécifique dès lors qu’une défiance se dessine entre le peuple et le système des partis.
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