François Hollande, qui pour être son Premier ministre ?
En promettant d’exercer ses fonctions en « Président normal », François Hollande envisage à l’évidence de concéder au futur Premier ministre un périmètre du pouvoir nettement substantiel. Il faut rappeler que le Premier ministre dispose d’importantes attributions consacrées par la Constitution mais son expression publique a toujours été subordonnée aux concessions accordées par le Président de la République. La France, ayant tourné la page de l’omniprésence présidentielle du sarkozysme, le futur locataire de Matignon peut être certain qu’il aura du grain à moudre. Mais quel que soit le style de la Présidence, Matignon reste un poste convoité. Ainsi plusieurs noms circulent déjà avec plus ou moins d’insistance dont ceux de Martine Aubry, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici, Manuel Valls,… voire Jean-François Copé, dans l’hypothèse, à ne pas trop vite écarter, d’une victoire de la droite aux législatives. L’occasion de se pencher sur leurs profils respectifs.

Sur le plan institutionnel, les fonctions du Premier ministre relèvent de l’article 8 de la Constitution aux termes duquel « le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement ». Bien que le Président puisse disposer seul de ce pouvoir de nomination, il tient naturellement compte de la majorité parlementaire, dont personne ne peut affirmer avec certitude qu’elle sera nécessairement de gauche. Des surprises sont tout à fait possibles dans une campagne comme lorsqu’en 2007, Laurent Fabius s’est engouffré dans une communication maladroite de Jean-Louis Borloo sur la tva sociale. La manœuvre avait fait perdre énormément de sièges à l’UMP. Ainsi le risque de cohabitation n’est pas totalement à écarter. Evidemment, ce serait assez catastrophique au moment où la crise fait rage. Mais l’UMP ne s’embarrasse plus de réclamer cette cohabitation avec un argument moral difficilement contestable : il s’agit d’atténuer l’emprise du Parti Socialiste sur la France dont il contrôle le Sénat, 21 régions sur 22, la majorité des grandes agglomérations et des conseils généraux. Il n’est pas exclu que les électeurs partagent la nécessité de rééquilibrer les pouvoirs dans le pays et réalisent un vote qui propulserait un poids lourd de l’UMP aux côtés de François Hollande. Autrement, et c’est le scénario le plus probable, le successeur de François Fillon sera une personnalité de gauche.
Martine Aubry a la faveur des sondages et peut faire valoir son expérience gouvernementale. Elle a en effet été n°2 du gouvernement Jospin. Secrétaire générale du Parti Socialiste, elle est en plus maire d’une grande ville (Lille) et bénéficie du soutien des poids lourds du parti comme l’ancien Premier ministre Pierre Mauroy. Elle pourrait toutefois pâtir de l’hostilité que son image déclenche à droite où elle n’a jamais été autrement traitée, avec rejet, que de « Dame des 35 heures ». Quand on veut rassembler les Français, on ne nomme pas à Matignon une personnalité aussi clivante. Par ailleurs, le fait que Jean-Luc Mélenchon (FG) ait perdu son pari de réaliser un score massif (10%) permet à François Hollande d’évacuer la pression de l’extrême gauche et l’obsession de devoir confier les clés de Matignon à une personnalité proche des idées de la gauche radicale.
Le nom de Jean-Marc Ayrault revient aussi avec insistance. Maire de Nantes, il est le Président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Germanophone, il aurait d’excellentes connaissances de l’Allemagne, partenaire de premier ordre de la France non seulement dans la poursuite de la construction européenne. Il connait les députés, ce qui devrait lui faciliter la tâche dans les rapports avec le Parlement. Mais le plus décisif de ses atouts est qu’il entretient d’excellentes relations avec François Hollande. La confiance, en politique, peut s’avérer décisive dans la perspective d’une traversée mouvementée des périodes de crise qui attendent le Président élu. Son seul handicap est qu’il n’est pas assez connu du grand public. Un Président normal, donc relativement en retrait de l’espace public, peut-il s’accommoder d’un homme aussi peu connu du public au moment où les Français attendent d’être rassurés, ce qui suppose une communication politique particulièrement soutenue et habile ?
Ceci, a priori, n’est pas le cas de Pierre Moscovici, député du Doubs et directeur de campagne de François Hollande. Ancien député européen, puis ministre délégué aux affaires européennes dans le gouvernement Jospin, il est réputé pour avoir des compétences techniques remarquables. Mais il pourrait être handicapé par sa proximité naguère avec Dominique Strauss-Kahn dont on ignore quelles vont être les suites des ennuis judiciaires qui lui collent à la peau depuis l’affaire du Sofitel de Manhattan. Il n’est pas le seul dirigeant socialiste sur lequel continue de planer l’ombre de Dominique Strauss-Kahn, comme en témoigne la polémique suscitée par l’invitation de l’ancien patron du FMI à la fête d’anniversaire de Julien Dray. L’affaire a même ressurgi jusque dans le débat du second tour de la présidentielle. François Hollande ne devrait pas prendre le risque, même si « Mosco », comme on le surnomme, a été irréprochable tout au long de la campagne.
Enfin, Manuel Valls. Maire de banlieue et porteur des idées de droite, son entrée à Matignon peut être positivement perçue par « le peuple de droite » à qui François Hollande a impérativement besoin d’adresser des signaux d’apaisement après une campagne brutale qui a laissé une moitié des Français dans la frustration. Mais on imagine difficilement François Hollande ouvrir aussi vite les hostilités avec l’extrême gauche en nommant un homme étiqueté « libéral » à Matignon. Manuel Valls est exactement l’homme qu’il faut installer à Matignon si l’on veut générer un nouvel engouement dans les meetings de Jean-Luc Mélenchon. Et puisque l’UMP sera quasiment à terre et le Front National dans la recomposition de la droite, le leader du Front de Gauche n’aura aucun état d’âme pour s’ériger en principal opposant à l’hypothétique « système Hollande-Valls ». Avec tous les dégâts qu’on peut aisément imaginer.
Finalement, seul Jean-Marc Ayrault semble en situation de succéder à François Fillon. Mais le choix d’un Premier ministre est un choix discrétionnaire. François Hollande a toute la latitude pour privilégier d’autres considérations que celles évoquées ci-haut.
Boniface MUSAVULI
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