Fraude électorale au PS : Mélenchon témoigne
Jean-Luc Mélenchon est un blogueur prolifique : il est rare que 24 heures ne s’écoulent sans qu’il se soit épanché sur la toile à propos de ses dégoûts passagers, de ses enthousiasmes politiques ou encore de son emploi du temps de député européen. Mais ce 9 septembre, c’est de son ancien parti, le Parti Socialiste, qu’il a choisi de parler, et ce à la suite de la publication dans Le Point des bonnes feuilles de l’essai d’investigation politique de la rentrée, le déjà fameux Hold-up, arnaques et trahisons de Karim Rissouli et Antonin André.

Que l’on soit ou non de gauche, son témoignage apparaît troublant de sincérité, et lourd de conséquences. Dans un billet intitulé simplement "Le jour des tricheurs", Mélenchon commence par ne pas s’étonner de la situation de fraude généralisée décrite par les deux journalistes sus-nommés :
"On trouvera dans les archives de ce blog les articles que j’ai consacrés à la tricherie dans les élections internes du Parti socialiste, du temps où je m’acharnais au PS à gagner des votes que la tricherie dénuait de tout sens. La triche était déjà connue en effet. On ne discutait que son ampleur."
Baoum. La charge est lourde, et menée tambour battant. Témoin privilégié, observateur de choix et pédagogue averti, le leader du Parti de Gauche n’en reste pas là. Il décortique pour ses lecteurs la méthode de triche telle qu’elle était menée "de son temps" :
"L’impression de système généralisé devenait de plus en plus forte à mesure que les scénarios se répétaient. Par exemple l’ordre dans lequel les fédérations votaient, les plus grosses corrigeant le résultat des plus petites d’autant plus facilement que certaines représentent à deux ce que pèsent des dizaines d’autres. L’observateur a ainsi l’impression en première semaine que la partie est disputée puis qu’elle se dénoue en deuxième semaine, d’une façon « incontestable »."
Et Jean-Luc Mélenchon, à la façon d’un Yves Bertrand, de détailler le déroulement truqué de deux échéances cruciales pour lui, celle du Congrès de Brest, où François Hollande se joua de lui ("je dois à la vérité de dire que les choses ne prirent cette tournure d’organisation d’un système généralisé que sous les mandats François Hollande") puis celle du Congrès du Mans. Sous son clavier se dessine ainsi ligne après ligne un Parti Socialiste verrouillé depuis l’intérieur, usant du concept de démocratie interne seulement pour des raisons de commodité manipulatrice, très loin des idéaux républicains qui construisirent, il y a très longtemps, sa raison d’être :
"Ainsi la ligne social démocrate, puis la ligne démocrate se sont imposés au Parti socialiste sans débat. Insidieusement, à travers des dirigeants qui la porte sans pouvoir jamais être atteint. Car quand on vote, autant chanter sous la lune. Ainsi le vote qui a tué l’unité du Parti socialiste, celui sur le référendum de 2005 n’est-il pas un vote mais juste un putsch. Demain les mêmes feront avaler l’alliance au centre, le changement de nom du parti ou ce qu’ils veulent. Il leur suffit de vouloir. Les « petites cuillères » comme on les nomme font le reste."
Reste alors la question de la fidélité à un tel parti : pourquoi avoir supporté cette omerta ? La porte n’était-elle pas ouverte bien avant son départ effectif et la fondation du Parti de Gauche ? De mauvaises langues pourraient certes susurrer qu’il en fallait alors plus pour effrayer le très chaviste Mélenchon, dont par ailleurs les affinités communistes l’avaient familiarisé de longue date avec ces méthodes de vote proprement staliniennes. Mais laissant ces tristes sires baigner dans leur fiel, le sénateur de l’Essonne prend le temps d’expliquer la raison de sa persistance au sein du PS :
"Beaucoup doivent se demander comment on peut avoir vécu cela et l’avoir supporté. Précisément je ne l’ai jamais supporté. Ni mes amis. A chaque congrès ce furent les même cris et hurlements. Mais personne n’écoute. Personne ne le croit. On passe donc juste pour un mauvais perdant. La triche devient ensuite un système généralisé. [...] Les personnes qui n’ont jamais été militantes ne peuvent pas comprendre l’attachement irraisonné que l’on peut avoir envers son parti. Il semble souvent être comme une famille en dépit de ses turpitudes. Il faut savoir que celui qui proteste en est presque gêné. La triche des autres paraît moins grave que le fait que « ça se sache »."
Toujours est-il que maintenant, "ça se sait", et que les langues se délient. Malek Boutih, lui-même membre du bureau national du PS, confirme complètement les analyses de Jean-Luc Mélenchon et des deux journalistes : à propos de leur livre, il va jusqu’à dire qu’il "révèle aussi que la triche est aujourd’hui une pratique banalisée au sein du PS. C’est le coeur même du système." Dans la foulée, il paraitrait même que la principale perdante de l’élection de novembre 2008, Ségolène Royal, loin d’épouser le scepticisme de Laurent Fabius, compterait bien ne pas en rester là :
"Je n’ai pas encore lu la totalité du livre, je vais le faire avec mon équipe et ensuite je ferai une déclaration solennelle dans quelques jours. Je vous dirai en responsabilité ce que nous comptons faire. [...] On savait que ça avait triché, mais pas avec cette ampleur ni avec ce système d’organisation. [...] Je pense qu’on ne peut pas laisser passer cela pour les militants qui ont voté, pour l’opinion publique, pour les Français, pour le principe même de la démocratie, pour la morale en politique. [...] On ne peut pas passer sous silence ou minimiser ce qui se passe. En même temps, je suis consciente de la lassitude des militants et de l’image déplorable que cela donne des dirigeants actuels du PS."
Le Parti Socialiste n’a certainement jamais été aussi prêt d’imploser. Il est d’abord bien possible que par son témoignage Jean-Luc Mélenchon en hâte consciemment le dénouement fatal. Et pour rassurer ses ex collègues socialistes, voire pour orienter leur reconversion, il va jusqu’à inaugurer ce qui pourrait bien être son prochain slogan :
"Le Parti de gauche permet d’être soi même. C’est mieux que d’être une ombre de soi au Parti socialiste."
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