Fronde à l’ENA
Réunis en Assemblée générale ce 22 avril 2008 par leurs délégués, les élèves de la promotion « Willy Brandt » (2007-2009) actuellement en scolarité à l’ENA se sont prononcés à 76 % pour la suppression de leur classement de sortie, à l’issue d’un scrutin marqué par une participation record (79 %). Ils ont ainsi manifesté leur souhait que l’ENA ne demeure pas un ultime bastion du conservatisme administratif, à l’écart de la nécessaire modernisation de la fonction publique.
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C’est une institution qui vacille. Quarante ans après Mai-68, les élèves de l’ENA remettent en cause un système mis en place dès la fondation de l’école après-guerre, et régulièrement contesté depuis par différentes promotions comme par divers rapports (entre autres, Moderniser l’Etat : le cas de l’ENA, rapport de l’ex-commissaire européen Yves-Thibault de Silguy en 2003).
Depuis soixante ans, en effet, chaque élève de l’ENA se voit sur la base de sa scolarité attribuer un classement qui détermine sa première affectation ainsi, bien souvent, que l’ensemble de sa carrière. La question de l’accès direct aux « grands corps » de l’Etat (Conseil d’Etat, Inspection générale des finances, Cour des comptes) a souvent cristallisé la polémique, dans la mesure où cet accès garantit à un petit nombre d’entre eux - les mieux classés - d’exceptionnelles conditions de carrière dans l’administration ou dans les cabinets ministériels ainsi que dans le secteur privé. Des carrières auxquelles la plupart des cadres de l’administration, même issus de l’ENA, ne peuvent que difficilement prétendre...
Mis en place à l’origine afin de garantir une affectation des hauts fonctionnaires sur une base méritocratique, ce système s’est rapidement vu reprocher de consacrer un esprit de « caste » dans l’administration et de valoriser des connaissances scolaires largement théoriques, au détriment des qualités humaines attendues d’un manager de l’Etat (comme le soulignait déjà en 1967 Jacques Mandrin, alias J. P. Chevènement, dans son célèbre pamphlet L’Enarchie ou les mandarins de la société bourgeoise). La trop grande rigidité, voire l’opacité de ce classement ont également été la cible de critiques récurrentes, conduisant même le Conseil d’Etat à prononcer l’annulation du classement de sortie de la promotion Léopold Sédar Senghor (Conseil d’Etat, 10 janvier 2007).
Cette prise de position sans équivoque des élèves de l’ENA en Assemblée générale prend une résonance toute particulière à l’heure où s’ouvre un vaste chantier de réforme de la fonction publique. Par ce geste fort, les élèves montrent ainsi leur volonté d’être pleinement associés à cette modernisation et appellent de leurs vœux une participation active de leur école au processus en cours.
Ce n’est pas chose simple lorsque l’on connaît l’hostilité farouche à la suppression du classement (hostilité teintée de réflexes corporatistes) d’un certain nombre de hauts responsables de l’administration issus des « grands corps ». Un éditorial récent de l’Inspecteur général de l’administration Teyssier, président des Anciens de l’Ecole nationale d’administration (revue l’ENA hors les murs, mars 2008) en est une parfaite illustration.
Pourtant annoncée par le chef de l’Etat le 11 janvier 2008, la suppression des classements de sortie des écoles de fonctionnaires risquerait de ne pas s’appliquer aux promotions actuellement en scolarité à l’ENA. Les pressions corporatistes sont en effet extrêmement fortes pour faire capoter cette réforme que les élèves, on le sait désormais, attendent pourtant de pied ferme.
Cette réforme sera l’occasion pour le président de la République de tester sa capacité à faire prévaloir sa volonté à des grands corps administratifs rétifs au changement, en particulier lorsqu’il s’agit de l’ENA, comme en ont fait l’expérience différents gouvernements de gauche et de droite avant lui.
Les élèves de la promotion Willy Brandt auront-ils raison de ces conservatismes et appartiendront-ils à la première promotion sortant du carcan d’un classement si souvent décrié ? Affaire à suivre.
Dessin : Frapar
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