Grâces présidentielles du 14 juillet : Stop ou encore ?
Moins médiatisée que les réformes sur le service minimum, le bouclier fiscal ou l’autonomie des universités, une question agite pourtant actuellement le microcosme élyséen : Nicolas Sarkozy, chantre de la « rupture », va-t-il mettre fin à la fameuse tradition des grâces présidentielles du 14 juillet ?
Une fois n’est pas coutume, la confusion la plus totale règne actuellement au palais de l’Elysée, ainsi que place Vendôme. Promises dans un premier temps par la garde des Sceaux Rachida Dati, les traditionnelles grâces présidentielles du 14 juillet se trouvent aujourd’hui sur la sellette, comme le souligne un cadre de l’administration pénitentiaire : « On oscille entre deux solutions : soit des grâces très restreintes, soit rien du tout ». Il faut dire que le président Sarkozy n’est pas franchement favorable à une mesure qu’il juge « d’un autre temps », et « incompatible avec la démocratie ». Mais osera-t-il une fois encore incarner une rupture qui lui a jusqu’ici si bien réussi ? Se resoudra-t-il au contraire à perpétuer une tradition dont la légitimité reste pour le moins discutable ?
Il faut en effet bien avouer que ce principe de « grâce présidentielle » soulève un certain nombre de problèmes évidents. Tout d’abord, comment admettre, d’un point de vue éthique et moral, qu’une certaine frange de la population carcérale, coupable d’actes d’une extrême gravité, puisse être libérée avant même d’avoir purgé la fin de sa peine ? C’est ainsi qu’au fil des ans, la grâce présidentielle a connu de plus en plus d’exceptions. Ainsi, les auteurs de crimes graves, d’infractions racistes, les condamnés pour évasion, corruption et trafic de drogue en ont-ils été exclus. Depuis 2005, sont également exclus les récidivistes et en 2006 les auteurs de violences conjugales.
Mais cette tradition pose également un indéniable et dangereux problème de confusion des pouvoirs. En effet, en vertu de quoi, dans un régime démocratique, le principal responsable du pouvoir éxecutif pourrait-il interférer dans une procédure judiciaire ? Qu’elle est une des conditions fondamentales de la démocratie, soulignée dès le XVIIIe siècle par Montesquieu ? La stricte et inaltérable séparation des pouvoirs.On a suffisamment reproché à celui qui n’était alors que ministre de l’Intérieur ses spectaculaires envolées sur la responsabilité des juges en juin 2005, au nom de ce même principe, pour ne pas s’indigner aujourd’hui de cette pratique permettant au président de la République de s’immiscer dans un pouvoir législatif dont l’indépendance est alors clairement remise en question...
Confier au président le droit de libérer tel ou tel condamné, c’est lui attribuer un pouvoir qui, dans une démocratie saine et équilibrée, ne devrait pas lui revenir. Le président de la République n’est pas censé être un prince ou un monarque de droit divin, à qui reviendrait le droit d’établir arbitrairement sa propre justice. Car inscrivons-nous quelques instants dans cette optique de "grâce" et poussons ce raisonnement jusqu’à son terme : si les décisions du chef de l’Etat ont primauté sur les décisions judiciaires, pourquoi se limiterait-on à la simple grâce ? Pourquoi celui-ci ne pourrait-il pas également décider de façon totalement arbitraire de l’emprisonnement plus ou moins justifié d’un citoyen ? Ceci a existé en France dans un passé qui n’est pas si lointain, dans le cadre de ce que l’on a pour coutume d’appeler une "monarchie absolue"...
Mais alors, pour quelles raisons perpétue-t-on encore cette tradition archaïque ? Pourquoi de nombreux cadres de la pénitentiaire grognent-ils à l’idée d’y mettre fin ? La réponse est d’une simplicité désarmante : les prisons françaises sont surpeuplées, et les grâces présidentielles permettent de les vider ! La grâce est en effet avancée comme un élément de lutte contre le problème de surpopulation carcérale qui touche actuellement la France. Certes, ce problème est absolument indéniable : on dénombre aujourd’hui dans l’Hexagone 60 870 détenus, alors que la capacité d’accueil de nos prisons ne dépasse pas les 49 684 individus... Il est en outre incontestablement scandaleux, et indiscutablement indigne d’une démocratie de premier plan. Peut-on pour autant considérer un seul instant la grâce comme une solution acceptable à un problème d’une telle ampleur ? Celle-ci n’est en réalité tout au plus qu’un moyen de retarder sans cesse la mise en place d’une véritable politique ambitieuse à ce sujet. Utiliser la grâce présidentielle pour résorber le problème de surpopulation carcérale, c’est comme fournir un traitement homéopathique à un patient atteint du cancer... : d’une terrible et dangereuse innefficacité. C’est également une preuve supplémentaire de l’absence totale de courage de nos dirigeants politiques depuis de (trop) nombreuses années. Les requêtes encore récemment réitérées des cadres de la pénitentiaires, qui font face à une situation dramatique, sont relativement logiques et légitimes. Doit-on pour autant continuer à apporter des réponses provisoires, insuffisantes et injustes à un problème nécessitant une réponse de fond sérieuse et ambitieuse ?
Le temps est actuellement à la réflexion du côté de l’Elysée. Grâces, pas grâces ? Nicolas Sarkozy semble vouloir prendre avec des pincettes un sujet à propos duquel il a récemment été mis en garde par un directeur de prison, qui affirme que si les grâces du 14 juillet sont supprimées, "les taules vont flamber !".Ces avertissements refroidiront-ils les ardeurs du nouveau chef de l’Etat ? Réponse d’ici quelques jours...
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