Le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision sur la Loi Création et Internet plus connue sous le nom d’ HADOPI , suite au recours déposé par les députés socialistes le mardi
19 mai dernier.
En effet, le Conseil Constitutionnel a censuré la disposition la
plus controversée du texte : le pouvoir de couper l’accès à internet dévolu à une
autorité administrative spécialement créée.
Les sages du Palais Royal
ont estimé que la Déclaration des Droits de l’homme impliquait la liberté de communication et d’expression et que celles-ci s’appliquaient
, « eu égard au
développement généralisé d’internet » à la « liberté d’accéder aux
services de communication au public en ligne ».
Le haut Conseil a donc jugé
que la décision de couper un abonnement ne pouvait en conséquence incomber qu’au
juge.
Les députés socialistes contestaient devant le Conseil constitutionnel la procédure d’examen de la loi ainsi que la conformité à la Constitution ds articles 5, 10 et 11.
Tout en affirmant que le titulaire d’une connexion internet est responsable de l’utilisation de cette connexion et doit veiller à ce que cette utilisation ne soit pas illicite,et bien que la loi prévoit des cas où cette responsabilité ne peut pas être retenue, la décision du Conseil invalide le fait que le droit fondamental de liberté d’expression et de communication puisse être suspendu par une autorité administrative et affirme que toute sanction à caractère punitif doit respecter les principes des droits de la défense et de légalité des délits et des peines.
"14. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu’en particulier doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;"
De plus, le Conseil affirme que l’exercice de la liberté d’expression est une condition nécessaire à la démocratie et semble sous-entendre que la sanction prévue par HADOPI est disproportionnée à son objectif de lutter contre les contrefaçons.
"15. Considérant qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques " ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ; que, toutefois, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ;"
Ensuite, il affirme que le pouvoir de restreindre une liberté fondamentale ne peut être confié à une autorité administrative et que les droits de la défense doivent pouvoir être assurés, en particulier le fait que l’accusateur doit apporter la preuve du délit ce qu’ HADOPI ne fait pas.
"16. Considérant que les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la commission de protection des droits, qui n’est pas une juridiction, à restreindre ou à empêcher l’accès à internet de titulaires d’abonnement ainsi que des personnes qu’ils en font bénéficier ; que la compétence reconnue à cette autorité administrative n’est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s’étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins ;
17. Considérant, en outre, qu’en vertu de l’article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ; qu’il en résulte qu’en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité ;
18. Considérant, en l’espèce, qu’il résulte des dispositions déférées que la réalisation d’un acte de contrefaçon à partir de l’adresse internet de l’abonné constitue, selon les termes du deuxième alinéa de l’article L. 331-21, " la matérialité des manquements à l’obligation définie à l’article L. 336-3 " ; que seul le titulaire du contrat d’abonnement d’accès à internet peut faire l’objet des sanctions instituées par le dispositif déféré ; que, pour s’exonérer de ces sanctions, il lui incombe, en vertu de l’article L. 331-38, de produire les éléments de nature à établir que l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d’un tiers ; qu’ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, l’article L. 331-38 institue, en méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration de 1789, une présomption de culpabilité à l’encontre du titulaire de l’accès à internet, pouvant conduire à prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit ; "
Par ailleurs, le Conseil remarque que la loi prévoit pour assurer la protection des droits d’auteur et des droits voisins, la mise en oeuvre de moyens de " contrôle généralisé des communications électroniques " incompatibles avec le droit au respect de la vie privée et que les pouvoirs reconnus aux agents privés, habilités à collecter les adresses des abonnés suspectés d’avoir partagé un fichier d’oeuvre protégée, ne sont pas encadrés par des garanties suffisantes, mais que du fait de l’annulation des pouvoirs de sanction d’HADOPI , de l’obligation d’un jugement et des garanties apportées par la Commission Nationale Informatique et Libertés et par le fait que les agents d’HADOPI sont assermentés, cette disposition n’est pas censurée.