Hadopi et politique pénale : Quand le gouvernement s’invite à domicile !
Nous y sommes, la loi a été adoptée par 16 députés en séance, le jeudi 2 avril 2009, et cela bien qu’un 1er avril eut été plus adéquat. Puis le 9 avril, la loi fut rejetée contre toute attente. Elle sera de nouveau présentée fin avril.
Ici, la loi ne criminalise pas des millions de citoyens, il sera soutenu l’inverse, dans un monde meilleur où tous les titulaires d’un abonnement à un accès en ligne participent désormais activement à la politique pénale du gouvernement.
La méthode du vendeur d’assurance
L’article 6 de la loi qui introduit un article L336-3 au code de propriété intellectuelle : « Le titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise. »
Point n’est question de savoir qui a téléchargé l’oeuvre protégée.
Le piège juridique tendu au titulaire d’accès se fait par présomption irréfragable. A y regarder de plus près on constate qu’il s’agit d’une obligation de faire dans un objectif de ne pas faire. Mécaniquement, si, ce qui ne devait pas être fait se réalise, c’est que l’obligation de faire n’a pas été respecté, car si elle eut été respectée, cela n’aurait pas dû normalement se réaliser.
Le fait qu’il y ait des moyens d’exonération ne change rien à la nature de la présomption, puisqu’ils ne la renversent pas.
Le premier est le fait de sécuriser sa ligne : ce moyen n’est pas valable, car on ne s’exclut pas de responsabilité en se portant atteinte à un droit, puisque ce moyen consistera en fait dans un mouchard du gouvernement. Notons que ce moyen ne permet en rien d’empêcher de télécharger, puisqu’il suffit de « d’emprisonner » le mouchard dans une machine virtuelle et ainsi continuer (mais on peut aussi l’emprisonner par simple souci de préserver sa vie privée). Dans ce cas, votre IP sera de nouveau repérée, mais comme le logiciel sera connecté, vous serez exonéré.
Ajoutons qu’accepter d’installer ce type de logiciel, c’est implicitement reconnaître les faits qui vous sont prétendument reprochés, car l’installer serait admettre que l’on a déjà, ou aurait pu, télécharger (ou un proche) : Or, il n’est n’est jamais question de savoir « QUI » est l’auteur du délit, dans cette affaire. Alors pourquoi dire que c’est vous, (ou que vous avez déjà pensé à le faire) ? D’autant plus, que la marge d’erreur est forte (voir interview d’un chasseur d’adresses IP) Comme l’administration est incapable de prouver que le titulaire est l’auteur du délit, elle lui fait peur, et lui demande d’avouer en lui vendant une assurance !
Le second, est le fait du tiers, qu’il faudra prouver, la charge de la preuve vous incombant, l’incapacité de le démontrer, financièrement ou matériellement, fera de vous le coupable. ici, le doute ne bénéficie pas à l’accusé. Autrement dit, si vous n’avouez pas vous êtes coupables, par défaut !
Cette obligation, est contraignante, dans la mesure ou son irrespect implique une sanction à l’égard de celui qui la méconnait, qui se traduit pas la suspension de l’accès à internet, c’est a dire par le retrait de l’objet qu’il est censé surveiller. Alors, même que l’objet peut être utilisé par lui comme par des tiers, la suspension porte les stigmates de la sanction collective, dans la mesure ou l’auteur du délit peut être une personne distinct du titulaire de l’abonnement.
L’obligation de l’article L336-3 dépasse la simple vigilance : le gouvernement distille sa soupe
L’obligation est de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation ...sans l’autorisation des titulaires de droit, autrement dit, il s’agit de veiller à ce que la connexion internet ne fasse pas l’objet d’un délit. Or, et par définition, la prévention des délits, est celle des missions dévolues à la police administrative. Rappelons que il n’est jamais recherché si le titulaire de l’abonnement est l’auteur du délit.
La loi pose donc les titulaires d’accès comme des supplétifs de la politique pénale du gouvernement, par la délégation forcée de missions de police administrative. C’est la raison pour laquelle l’HADOPI est compétente ; elle ne « juge » pas des délinquants mais des manquements à une obligation de police.
Sur ce point, il faut bien voir que l’obligation se distingue d’une simple mission de surveillance, essentiellement en raison de la démarche pro-active que doit avoir le titulaire. Premièrement, dans le cadre professionnel, une personne peut être astreint à une mission de surveillance, mais la personne qui exerce une profession adhère au règles qui lui sont associées. Il s’agit d’un libre choix. Or, ici, l’objet de la surveillance, qui est sujet à responsabilité, est un acte délictueux commis par un tiers.
1 - Pour exemple, un surveillant d’établissement scolaire a pour mission de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’intrusion d’élément extérieur. Mais si un intrus commet un délit au sein de l’établissement, le surveillant n’est pas responsable du délit commis (sauf à établir une complicité).
2 - Autre exemple, en matière bancaire, la surveillance des mouvements de capitaux suspects, le banquier constate une irrégularité, et en informe les autorités compétentes pour enquête. On voit bien la différence, le banquier « constate » et le titulaire d’un accès a internet « doit empêcher que ». c’est donc en AMONT du délit que l’obligation inscrite à l’article L336-3 est portée.
3 - Encore, il faut écarter la qualification de l’obligation, de la catégorie des prescriptions préventives, ou il s’agit par exemple, de l’obligation du port de la ceinture de sécurité ou de l’obligation de ramonage. Un texte édictant une prescription préventive interdit simplement un acte considéré comme dangereux ou prescrit un acte dont l’accomplissement éloigne un danger La différence repose sur l’objet de la prescription. Dans le premier cas, l’objet est un acte objectif qui en tant que tel est neutre. L’infraction est constaté qu’il y ait dommage ou non. Dans le cas de l’article L336-3 , l’infraction n’est constatée QUE s’il y a eu atteinte au droit d’auteur, c’est-à-dire un délit, c’est-à-dire un élément extérieur. Car sans cet élément, on ne peut pas constater le manquement. Autrement dit, l’infraction est conditionnelle.
4 – il a été avancé, par David El Sayeg directeur des affaires juridiques et des nouvelles technologies du SNEP (article PC INpact du 19 mars 2009), que l’obligation portée à l’article L336-3 n’était qu’une transposition de l’article L1384 du code civil, celle des choses que l’on a sous sa garde ainsi rédigées « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». premièrement cet article concerne les dommages au civil. Ensuite si effectivement on est responsable des dommages causés par les choses, c’est seulement des dommages causés par la chose en elle même. Dès qu’un tiers utilise la chose, cela devient sa responsabilité, sauf si la chose a causé un dommage à son utilisateur. Si je prête un marteau à mon voisin, je ne suis pas responsable des coups et blessures qu’il peut causer avec ! Ensuite, il prend l’exemple du panier de basket : « il y a des cas comme cela tous les jours. Prenez l’exemple d’un maire. Demain dans une commune, un panneau de basket s’écroule et blesse quelqu’un. Le maire est responsable non seulement civilement, mais pénalement. C’est bien de la responsabilité des choses qu’il a sous sa garde ; on se doute très bien que ce n’est pas lui qui a fixé le panneau de basket. » David El Sayeg oubli de dire que le Maire est dépositaire de l’autorité de POLICE dans sa commune (et encore faut-il établir la distinction entre faute de service et faute personnelle).
Ainsi, c’est la seule explication au refus de reconnaître qu’il s’agit d’un transfert de responsabilité pénale, une responsabilité du fait d’autrui, contraire au principe d’imputabilité des délits et des peines.
Si vous ne pouvez assumer cette obligation, le gouvernement s’en charge pour vous
Parmi, les moyens d’exonérations au manquement figure le logiciel de sécurisation , qui d’après la ministre de la culture, est/sera un logiciel en liaison avec un serveur distant ; il s’agira donc soit d’un serveur de l’HADOPI directement, soit d’un de ses mandataires (article numérama du 02 avril 2009).
On comprend bien qu’il s’agit là, de l’implantation d’un logiciel espion sur le poste client, mais pas seulement. A l’occasion de la procédure de transaction, l’Hadopi pourra vous inciter à user de ce type de logiciel, et le titulaire devra rendre compte de mesures qu’il a prises (art L331-25), comme un bon fonctionnaire de police fait son rapport. Au regard que nous considérons que l’article L336-3 instaure une obligation de police, il s’agit tout simplement de déléguer ce que l’on se refuse de faire a un logiciel. La mission de police étant déléguée au logiciel, celui-ci est à la fois flic et espion : c’est donc bien évident que le titulaire de l’abonnement soit exonéré puisque qu’il est déchargé de sa mission.
On ne pourra que constater l’atteinte grave aux libertés publiques, et au droit a la vie privée, que la présence d’un agent logiciel du gouvernement à son domicile ou bureau, fusse-t-il assermenté (labellisé) par l’Hadopi.
3 méthodes à tester pour laisser l’Etat sur le palier
Ici, il faudra toujours avoir à l’esprit deux choses :
Tout d’abord, il n’est jamais question de savoir qui a porté atteinte au droit d’auteur. Aussi, il ne faut jamais laisser sous entendre que le titulaire a, ou non, mis à disposition un contenu en infraction au droit d’auteur. Bref, ne jamais, ni réponde oui ni non à cette question. Ne jamais accepter le logiciel de filtrage qui prouve que vous reconnaissez les faits.
Ensuite, le simple fait de relever une adresse ne constitue pas un élément de preuve suffisant (jugement du TI de Guingamp du 23 février 2009, et voir article PC INpact du 18 mars 2009)
A - la méthode de l’embouteillage, avec effet kiss cool : la procédure vous ennuie, mais il était stipulé dans la lettre recommandée de l’Hadopi, que si un tiers utilisait votre connexion de matière frauduleuse il y aurait exonération. Bien sûr, vous n’avez pas les moyens de payer un expert informatique pour cela. Rendez-vous alors à la gendarmerie ou au poste de police pour déposer plainte contre X, pour usurpation d’adresse IP, ou intrusion frauduleuse dans une réseau privé. Évidemment avec 3000 recommandés par jours, la police sera vite débordée, et face à une recrudescence des voies de faits et de la violence, cela agacera le ministère de l’intérieur qui recommandera à l’Hadopi de calmer ses ardeurs (1 effet kisss’cool). Donc, soit la police trouve effectivement un élément d’exonération, soit elle ne trouve rien et une ordonnance de non-lieu est rendue. Tout cela perdra du temps. Sauf, que voilà, la commission des droits devra prendre une décision sur la base d’un non-lieu, c’est a dire qu’elle prendra une décision explicitement sur la base d’une présomption de culpabilité, ce qui est très inconfortable (2 effet kiss’cool).
B – la méthode du Talion, rembobiner s’il vous plait ! : vous avez eu des déboires avec l’administration, et on vous ne la fait pas à vous. Vous n’en êtes pas un recours près devant le tribunal administratif et cela ne vous fait pas peur. Cette méthode sera appréciée au moment de la transaction ou de l’injonction, aux fins d’installer le logiciel de « sécurité ». Suite à une injonction de l’Hadopi, vous pourrez faire une recours gracieux auprès de la commission des lois (avec en-tête écrit « recours gracieux ») qui demandera le retrait de la dite décision d’injonction, au motif que l’IP n’est pas un élément de preuve suffisant, et que l’injonction porte sur un élément portant atteinte au droit la vie privée. Si l’administration répond négativement, il suffira de faire un recours pour excès de pouvoir contre la décision de rejet de votre demande ( sur la base des motifs évoqués). Cette méthode peut être déclinée suite à une demande au près de Hadopi, dès le premier mail, si vous lui demandez de retirer votre IP de la base de donnée, toujours sur le motif que l’IP ne constitue pas un élément de preuve suffisant (mais là, faut peut-être pas trop rêver).
Installer un logiciel de sécurisation prouve, a contratio, que vous avez téléchargé, ou que l’on serait susceptible de le faire, ou bien...ne prouve pas non plus que vous ayez téléchargé. En fait, son installation ne prouve qu’une intention, qui est aussi cause d’exonération de responsabilité ( c’est bien normal puisqu’il est assermenté hadopi, si cela n’était pas le cas, ce serait reconnaître la faillibilité du système). Or la question est : faut-il nécessairement avoir un agent du l’Etat, ou de ses mandataires, à domicile ou a son bureau, pour attester l’impossibilité du fait reproché ? Si la réponse est oui, alors l’Etat reconnait que nécessairement la preuve par IP est impossible, car si la fiabilité de la concordance était exacte, et que cela prouverait le téléchargement complet de l’oeuvre, le logiciel serait superflu, et l’exonération sur ce moyen contradictoire. On ne peut pas, à la fois, dire que le logiciel est sûr, et être sûr que vous avez avez téléchargé, puisque le logiciel est censé empêcher ce fait, et, il est réputé fiable (labellisé/assermenté). Autrement dit l’Etat admet, que sur la base d’une preuve irrecevable seule, accuser telle ou telle personne. Ainsi, donc l’injonction de sécurisation tombe immédiatement, dès lors que la sécurisation présuppose l’impossibilité de prouver les faits reprochés.
Inversement, si le logiciel n’est pas réputé fiable, il ne peut pas être cause d’exonération.
C – la méthode zélée, vous jouez votre rôle à fond : vous avez été recalé à l’examen de police et gendarmerie, et vous considérez que l’obligation de l’article L336-3 est l’occasion de se rattraper. Cependant, votre mise en cause est perçue comme une trahison, vous vous sentez lâché. D’ailleurs l’Etat ne ne vous permet pas réellement d’exercer votre mission de police administrative. Dérivé de la méthode B, seul les moyens de légalité sont différents, elle peut aussi s’appliquer devant le juge de l’annulation, après sanction. Comme dit plus haut, l’article L336-3 impose une mission de police, et comme telle, la délégation à une personne privée de manière générale est constitutionnellement douteux sans le consentement de l’intéressé : est-ce à dire que le fait de signer le contrat d’abonnement emporte acceptation de la mission ? Cela est sans importance au regard de ce qui suit. En effet, c’est la base de la rupture d’égalité entre l’agent statutaire et entre le titulaire d’abonnement missionné de manière permanente. C’est que l’agent statutaire a une obligation de moyen, alors que le titulaire a une obligation de résultat, puisqu’il est sanctionné en cas de défaut, et cela, qu’il est au non connaissance du délit, sans compter le fait que le titulaire ne dispose pas des mêmes moyens matériels et de connaissance qu’un titulaire spécialiste, et qu’il doit en plus payer le logiciel de sécurisation.
Retour in fine, sur la mission de police. On peut s’appuyer également sur la notion de collaborateur occasionnel au service publique, ici, la prévention des délits. Hors les cas prévus au code de la sécurité social, la jurisprudence admet une large catégorie de cas, dès lors que la personne collabore de sa propre initiative, qu’elle est étrangère au service, que cette intervention est ponctuelle (par exemple lorsque l’on porte assistance à une personne en danger, incendie, noyade...). Mais, dans le cas de l’article L336-3, la mission est de portée générale et obligatoire.
Retour in fine, sur le logiciel de sécurisation. L’implantation d’un tel logiciel sera sans doute l’effet certain de la loi, car il est présenté comme la seule cause efficace d’exonération.
Face à la carence de l’Etat, pour lutter contre le téléchargement illégal, celui-ci n’a trouvé comme moyen que de déléguer cette tâche à des millions d’individus. Hors, il s’agit d’un véritable piège juridique, qui pose une question de liberté politique ; l’Etat peut-il forcer des millions de personnes à collaborer à sa politique pénale, en tant que supplétif d’agent de police ? Un Etat de droit démocratique impose la neutralité a cet égard. Mais cela, n’est pas considéré comme telle par le représentant de la majorité Frédéric Lefebvre pour qui la dénonciation est un devoir .
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