Hollande coincé entre Chevènement et Eva Joly sur la question du nucléaire
Le réenchantement du rêve français risque de virer au cauchemar si l’équipe de François Hollande continue à se noyer dans un discours si irresponsable et intellectuellement si malhonnête, alors que ses possibles alliés vont l’éloigner de plus en plus de toute crédibilité économique.
Consacré par son succès à la primaire socialiste, François Hollande avait gagné un peu d'envergure médiatique pour se présidentialiser et se responsabiliser. Hélas, son comportement, depuis quelques semaines, face à la crise et à l’action entreprise par le gouvernement, s’est montré au mieux hésitant et insipide, au pire de mauvaise foi et irresponsable.
Hésitation et mauvaise foi
Hésitant, car il est bien difficile à François Hollande de savoir sur quel pied danser, lui chéri tant par les électeurs centristes qui apprécient sa (réelle) modération que par les électeurs de la "vraie gauche" qui voient dans sa popularité élevée le meilleur moyen du retour tant attendu de la gauche au pouvoir.
Le matraquage systématique contre les initiatives tant du Président de la République que du gouvernement pour gérer au mieux la plus grave crise depuis 1929, parfois surenchéri par des personnalités pourtant compétentes et modérées comme l’ancien Ministre de l’Économie Michel Sapin, les incohérences budgétaires sur la fameuse proposition de recruter 60 000 fonctionnaires, et puis, surtout, le refus entêté de reconnaître la réalité mondiale de la crise financière (tous les discours sont rapportés à la période 2007-2011 sans jamais prendre en compte les singularités de 2008 et de 2011), tout cela montre à l’évidence qu’il y a encore du chemin à parcourir pour se présenter avec une stature présidentielle crédible autrement qu’en surfant sur un antisarkozysme primaire de moins en moins pratiqué (tous les sondages actuels donnent d’ailleurs une tendance à la hausse pour Nicolas Sarkozy, ce qui était prévisible).
Parmi les arguments de mauvaise foi, je peux citer l’affirmation selon laquelle le plan de rigueur présenté par François Fillon le 7 novembre 2011 ne ferait porter l’effort que sur les classes les plus défavorisées. En citant par exemple l’augmentation de la TVA de 5,5 à 7% mais en omettant de préciser que les produits de première nécessité ne seront pas touchés par cette mesure, ou encore en "révélant" que le gel des barèmes entraîne automatiquement une augmentation de l’impôt sur les revenus (ce qui est vrai), mais sans rappeler que la moitié des ménages (les moins favorisés) n’en paient pas et sont donc exclus de cet effort.
Autre signe qui illustre l’extraordinaire décalage entre le rêve que l’on veut réenchanter et la "real life" qu’il s’agit d’apprécier à sa juste situation avec ses contraintes internationales, François Hollande a émis des propositions que Nicolas Sarkozy avait déjà formulées au sommet européen mais qu’il est difficile d’obtenir à cause de la fermeté allemande (au nom de quelle baguette magique François Hollande réussirait-il mieux que Nicolas Sarkozy à convaincre Angela Merkel ?).
Comme je l’expliquais précédemment, François Hollande va devoir choisir pour sa campagne entre le premier tour, où il doit rassembler toute la gauche (et donc, se rapprocher des thèses incompatibles de Jean-Luc Mélenchon et d’Arnaud Montebourg dont on se demande pourquoi il est encore au PS), et le second tour, où il devra attirer l’électorat de centre droit qui lui sera indispensable s’il veut gagner (la gauche est globalement minoritaire dans le pays). Et probablement, il cherchera à ne pas choisir, au risque d’apparaître confus, flou, inexistant, ectoplasmique.
Pourtant, en ce mois de novembre 2011, François Hollande va devoir régler un autre positionnement. En gros, il devra faire rapidement le choix entre Jean-Pierre Chevènement et Eva Joly.
La statue du commandeur Chevènement
Jean-Pierre Chevènement va avoir 73 ans lors de la prochaine élection présidentielle. Le 5 novembre 2011, il a annoncé à la télévision sa candidature à l’élection présidentielle de 2012. Dernière candidature possible en raison de son âge, Jean-Pierre Chevènement sent que la crise financière lui donne maintenant raison et veut en profiter intellectuellement. Comme c’est une personne intelligente, il sait qu’il ne sera pas en capacité d’être élu mais il compte bien influer sur les débats comme Arnaud Montebourg a pu influer les débats de la primaire socialiste.
Son problème, c’est sa crédibilité à aller jusqu’au bout alors que pour l’élection présidentielle de 2007, il s’était déjà déclaré le plus officiellement du monde le 6 novembre 2006 pour y renoncer… le 10 décembre 2006, après quelques négociations pour les législatives qui suivaient (cela ne lui a pas porté chance puisque, comme en juin 2002, il fut battu dans sa propre circonscription en juin 2007).
Sans doute que cette fois-ci, les négociations de marchands de tapis seront sans objet. Il a été élu sénateur du Territoire de Belfort en septembre 2008 (son mandat finira en septembre 2014, il aura alors 75 ans) et il a ressenti beaucoup d’amertume avec l’absence de reconnaissance que ses (anciens) amis socialistes lui ont signifiée lors de la conquête du Sénat à gauche. Renonçant au plateau par réalisme, Jean-Pierre Chevènement désirait cependant conquérir la présidence de la prestigieuse Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées dont il ne sera élu, finalement, le 6 octobre 2011, que simple vice-président. Pour lui, cela aurait été une consécration personnelle avant sa retraite définitive.
Jean-Pierre Chevènement a une stature d’homme d’État incontestable, ayant occupé avec brio plusieurs grands ministères, tant régaliens (Défense, Intérieur) qu’économiques (Industrie et Recherche) ou social (Éducation nationale). Il est également reconnu comme un accoucheur d’idées politiques, comme le prouvent ses différentes initiatives, de la création du CERES en 1965 à celle de la Fondation Res Publica, "think tank" (club de réflexion) créé en 2004 autour du modèle républicain, en passant par son Mouvement républicain et citoyen (MRC) en 1992 puis 2003. Son courage et son indépendance politiques lui ont valu trois démissions tonitruantes, ce qui est assez rare (en général, les ministres en désaccord préfèrent avaler les couleuvres : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne. »).
Il peut être considéré comme la figure de proue du dirigisme industriel et à ce titre, il a récemment réaffirmé son soutien sans faille au programme nucléaire français avec notamment la poursuite de la construction du réacteur EPR (réacteur pressurisé européen).
François Hollande a laissé un même message lors de son passage dans le journal de France 2 le 7 novembre 2011. En principe pour commenter le plan de rigueur sur lequel il n’est pas sorti de la langue de bois ordinaire, François Hollande a exprimé un message clair en direction des écologiste par son opposition à l’arrêt du projet.
L’arrogance des écologistes
Car l’important, actuellement, dans les travées de la rue de Solferino, ce sont les relations avec les écologistes qui sont pourtant électoralement peu dangereux. En effet, dans tous les cas, les électeurs écologistes rejoindront naturellement le candidat socialiste au second tour de la présidentielle. Par conséquent, il est très curieux que le PS cherche à conclure un accord bien avant le premier tour.
Pire, ce sont les écologistes qui imposent le tempo aux socialistes en fixant au 19 novembre 2011 l’échéance d’un accord. Les écologistes se montrent très gourmands en ce moment, et pourtant, malgré leur bon score des européennes du 7 juin 2009 (16,3%) et des régionales du 14 mars 2010 (12,2%), ils doivent tous leurs sièges de parlementaires nationaux tant à l’Assemblée Nationale (en juin 2007) qu’au Sénat (le 25 septembre 2011) à la seule bienveillance du PS (l’exemple le plus net étant l’investiture de Jean-Vincent Placé comme tête de liste du PS dans l’Essonne).
Comme l’arrogance d’Arnaud Montebourg entre les deux tours de la primaire socialiste, il est toujours étonnant de constater que ce sont les minoritaires qui veulent imposer leurs vues aux majoritaires, et souvent au nom de la démocratie !
François Hollande avait vaguement réussi, durant la campagne de la primaire (voir le premier débat et sa discussion avec Martine Aubry), à régler sa position sur le programme nucléaire français. Une sorte de demi-mesure qui ne pourrait satisfaire personne : réduction croissante de la part du nucléaire dans la production de l’électricité sans pour autant déclarer l’arrêt définitif de la technologie.
Mais Eva Joly, complètement dépassée dans un paysage médiatique qui la néglige un peu, vient de revenir dans le jeu en mettant François Hollande le dos au mur. La position du candidat socialiste est pourtant bien aisée à comprendre. Il reste partisan du nucléaire, d’autant plus facilement que les inquiétudes suscitées par la catastrophe de Fukushima commencent à s’étioler. Il y a comme une incompatibilité majeure avec la position des écologistes.
À propos du réacteur EPR
Il faut rappeler que l’EPR de Flamanville est le prototype des réacteurs nucléaires de la troisième génération (cela a donné l’occasion à un débat surréaliste le 2 mai 2007) qui vont assurer une sécurité encore plus grande qu’avant, dimensionnés pour résister à la chute d’un avion de ligne, à une vague de huit mètres de hauteur (le réacteur étant lui-même placé à une hauteur de plus de douze mètres) et à la fusion accidentelle du cœur (par un récupérateur de corium dans une enceinte refroidie).
Il faut également rappeler que l’EPR de Flamanville est un projet déjà en cours, qui a été définitivement décidé le 11 avril 2007, qui va coûter 6 milliards d’euros (au lieu des 3,4 milliards prévus initialement) selon les estimations de juillet 2011 (soit un peu inférieur au coût du réacteur EPR de même puissance construit à Olkiluoto, en Finlande) et qui devrait être mis en service en 2016 (au lieu de 2012 prévu initialement). Il est le réacteur indispensable avant le remplacement des réacteurs du parc nucléaire actuel à partir des années 2020.
Entre chèvre et chou
Ne pas poursuivre le chantier de Flamanville relèverait d’une irresponsabilité majeure, car cela coûterait très cher tant sur le budget déjà dépensé que sur le futur énergétique de la France qui nécessite ce premier réacteur EPR, tant pour assurer le maintien de la production électrique actuelle que pour réduire les productions de CO2. Les décisions doivent être prises avec une vingtaine d’années d’avance.
Mais le passé récent a déjà prouvé que des considérations bassement électoralistes pouvaient remettre en cause l’excellence de la filière, notamment avec l’arrêt de Superphénix le 30 décembre 1998 par Lionel Jospin, faisant perdre à la France son avance dans la technologie des surgénérateurs, et réduisant à néant près de 10 milliards d’euros d’investissement.
Malgré ses grands dons de conciliateur et d’homme de consensus, François Hollande va avoir du mal à ménager la chèvre (Jean-Pierre Chevènement) et le chou (Eva Joly) sur la question cruciale de l’énergie. Une épreuve du feu pour somme toute affirmer une pensée un peu moins molle…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (10 novembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
François Hollande.
Jean-Pierre Chevènement.
Eva Joly.
Le débat surréaliste sur l’EPR du 2 mai 2007.
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