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Accueil du site > Actualités > Politique > Hortefeux poursuit l’illusion des chiffres de la délinquance

Hortefeux poursuit l’illusion des chiffres de la délinquance

Le Ministre de l’Intérieur ne plaisante plus, il va falloir rouler au pas ou pointer au Pôle Emploi. Brice Hortefeux réunissait mercredi soir les préfets de région à Paris pour passer un savon aux vilains récalcitrants qui ne respectent pas les quotas imposés par l’Etat, sur la base d’un constat simpl(ist)e : la police ne fait assez de chiffre. Avec un nombre absolument incroyable de permis retirés ces derniers mois par les forces de l’ordre, on aurait pu se dire que jamais l’activité policière n’avait été aussi florissante. Et pourtant, tout n’est pas si rose au pays des bleuets.

Pourquoi le nouveau premier flic de France est-il si furax ? Sa récente nomination aurait pourtant dû le réjouir, mais rien n’est simple lorsque l’on exerce de telles fonctions : Nicolas Sarkozy a fait campagne sur le thème de la délinquance et de l’insécurité, alors il faut présenter un bilan positif, coûte que coûte.

 

Tout d’abord, sur quoi se base-t-on pour mesurer la délinquance en France ? Réponse : sur un logiciel interne baptisé « Etat4001 ». Derrière cette dénomination se cache un répertoire comptable des faits enregistrés par la police : ce ne sont pas moins de 107 entrées différentes qui regroupent les plus grandes catégories de faits constatés, du vol à l’homicide en passant par le harcèlement(1). Chaque fois que quelqu’un se rend au poste pour porter plainte ou signaler une infraction dont il a été victime, le fonctionnaire enregistre l’information dans le logiciel en tant que « fait constaté », qui sera également comptabilisé en « fait élucidé » si tel est le cas. Ces statistiques renseignent donc sur l’activité de la police, ce qui permet ainsi d’effectuer des comparaisons dans le temps, jusqu’en 1972, date de création dudit fichier.

 

Malheureusement, ces données largement relayées chaque année ne sont pas exemptes de défauts. Tout d’abord, elles comptabilisent uniquement les faits portés à la connaissance de la police, ce qui implique donc que tout ce qui n’est pas déclaré ou constaté n’existe pas. La « délinquance » enregistrée est ainsi loin de l’exhaustivité, mais il faut ajouter à cela la sélection qu’opère l’Etat4001 : en effet, sont notamment exclus de la comptabilité les contraventions de type 1 à 5 (ayant causé un arrêt de travail de moins de 10 jours) ainsi que tous les faits concernant les infractions routières (et chacun sait qu’elles se mesurent désormais par millions depuis que l’automobiliste est devenu à lui seul le responsable de presque tous les maux de la société).

 

Ces statistiques ne servent pas seulement à dresser un bilan de l’action de la police, elles sont aussi un excellent moyen de contrôle pour les autorités : tous les mois, chaque commissariat de France envoie à Paris les résultats de son activité pour un check-up complet. Et ainsi, chaque mois, le couperet tombe : l’attention du commissaire est portée sur les lacunes du service, qui est sommé de redresser la barre. J’avais eu l’occasion d’interroger en novembre 2008 un commissaire sur ces pratiques douteuses, il m’avait confié à quel point cette culture du chiffre pouvait l’handicaper dans sa mission : si la hiérarchie décide qu’il n’y a pas assez eu d’interpellations concernant les stupéfiants par exemple, alors la brigade doit se débrouiller pour arrêter quelques consommateurs, et tout rentre dans l’ordre...

 

Ce mode d’action prive les policiers de tout jugement, de toute tentative d’appréciation de la situation : il faut sanctionner à tout prix., faire du chiffre, c’est bien de cela qu’il s’agit. Nos forces de l’ordre deviennent alors de simples machines à procès verbaux. Dans un climat déjà très tendu entre la population et la police, était-il vraiment nécessaire d’en rajouter ? Rien à faire, il faut que les statistiques soient conformes aux souhaits du président, il décide, eux exécutent.

 

De telles lacunes dans le procédé comptable de l’Etat4001 indiquent clairement que celui ne recherche pas l’exhaustivité. Mais dans ce cas, pourquoi le présenter comme tel ? Il est clair qu’il ne revient par aux journalistes de mesurer la délinquance, mais pour Laurent Mucchielli « La question centrale est plutôt de sortir de l’idée de mesurer la délinquance à l’aide des seules statistiques policières, de développer d’autres outils de connaissance, au premier rang desquels les enquêtes de victimisation. Elles coûtent cher si on les prend vraiment au sérieux mais c’est une des clefs de l’avenir de la mesure de la délinquance »(2). Alors que même le Sénat s’inquiète des lacunes du fichier (3), il serait peut-être temps de passer à autre chose, et de redonner aux fonctionnaires une marge d’appréciation qui faciliterait peut-être un peu l’exercice de leur activité.

 

(1) Exemple : http://www.interieur.gouv.fr/sections/a_la_une/toute_l_actualite/securite-interieure/activite-police-septembre-2007/downloadFile/attachedFile/107_INDEX_SEPTEMBRE_2007.pdf?nocache=1194269691.95

(2) http://laurent.mucchielli.free.fr/Sociologie.html

(3) http://cubitus.senat.fr/rap/l04-074-322/l04-074-32240.html

 

Un peu de lecture pour terminer : J-H. Matelly et C. Mouhanna, Police, Des chiffres et des doutes, Michalon, 2007. Un excellent ouvrage sur la cuisine interne de la police pour pondre des résultats satisfaisants.

 


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14 réactions à cet article    


  • sheeldon 17 juillet 2009 13:58

    bonjour

    bon article , merci .

    cordialement


    • Gabriel Gabriel 17 juillet 2009 14:02

      Culture du résultat ne rime pas forcement avec efficacité quand les moyens ne sont pas mis en phase. Les consignes sont claires : »Faire du chiffre ». Comment faire du chiffre ? Les enquêtes, les recherches, les infiltrations … ? Non trop long et parfois les auteurs ne sont pas solvables. Alors il reste la verbalisation des automobilistes, des internautes etc.… Donc concernant la délinquance et ses chiffres truqués par le ministère le discours officiel est : « Blablabla bla bla bla ».


      • Massaliote 17 juillet 2009 14:20

        Hortefeux qui le prend encore au sérieux ? Ses troupes en prennent plein la gueule mais Guaino est content ! Va t’on nous ressortir le fameux Karcher ? Quelques infos sur Novopress : Banlieues de non droit : un témoin attaqué au cocktail Molotov (France, Politique, Société le 15 juillet 2009- Le Parisien 4/07/2009 : Menacé de mort pour avoir dénoncé un petit caïd. –A Corbeil-Essonnes, des lacrymogènes en pleine kermesse - 01/07/2009 – 08h00 -GAGNY Deux policiers qui n’étaient pas en service ont été agressés et roués de coups dans la nuit de lundi à mardi en sortant du commissariat de police de Gagny (Seine-Saint-Denis). Cerise sur la gâteau : Henri Guaino (et le préfet) par hasard aux premières loges d’un caillassage de véhicules de police


        • Traroth Traroth 17 juillet 2009 15:23

          Vous ne comprenez pas. Toutes ces histoires sont d’excellentes nouvelles pour Sarkozy et Hortefeux, puisque plus le sentiment d’insécurité est grand, plus les gens votent à droite. Il faut simplement donner l’impression d’être efficace.


        • Bois-Guisbert 18 juillet 2009 09:49

          « Toutes ces histoires sont d’excellentes nouvelles pour Sarkozy et Hortefeux, puisque plus le sentiment d’insécurité est grand, plus les gens votent à droite. Il faut simplement donner l’impression d’être efficace. »

          Ce pauvre Traroth s’est une fois de plus pris les pinceaux dans le kilim du vestibule :

          http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/insecurite-le-silence-radio-s-59039


        • Reinette Reinette 18 juillet 2009 14:51

          Traroth

          Pensez-vous qu’il ne se passe rien ? pouvez-vous dire que si nous devons rendre visite à des copains à Corbeil-Essonnes, à Gagny ou à la Courneuve, tout se passera bien ?

          J’ai des amis, résidents dans un quartier pourri par une petite mafia ; ces amis préfèrent se déplacer pour nous voir plutôt que de nours faire venir dans leur quartier et risquer de nous voir agresser par des connards qui tiennent leur quartier ; ce que nous gagnons en un mois, ces trafiquants, violents à l’extrême, le gagnent en une heure avec prostitution, cannabis, cocaïne, héroïne, et autres trafics divers.



          C’est le dilemme devant lequel se trouve l’Etat. En principe il ne peut se laisser se dérouler une activité qui se situe en dehors de la norme... il y va dans le meilleur des cas de sa crédibilité. Tout trafic, toute activité non socialement organisée et autorisée est illicite. L’Etat se doit d’intervenir.

          L’Etat pourrait-il éradiquer concrètement l’économie souterraine ?

          Certainement en grande partie. Il sait (et dans une cité tout le monde sait) qui trafique et où se situent les trafics (qui se font souvent au grand jour). Une telle éradication coûterait de toute manière très cher en moyen à mettre en œuvre... mais l’Etat procède ailleurs à des dépenses bien plus considérables pour un objectif moins sérieux.

          à lire :
          http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article186


        • Bois-Guisbert 18 juillet 2009 15:26

          L’Etat pourrait-il éradiquer concrètement l’économie souterraine ? Certainement en grande partie. Il sait (et dans une cité tout le monde sait) qui trafique et où se situent les trafics (qui se font souvent au grand jour). Une telle éradication coûterait de toute manière très cher en moyen à mettre en œuvre...

          Il faut prendre en compte le coût social d’une intervention qui priverait des familles entières de tout ou partie de leur revenu vital.

          Et c’est pour cela que l’Etat ne peut pas se permettre d’éradiquer l’économie souterraine : trop de gens, désormais, en vivent ou pour certains en survivent.


        • Traroth Traroth 17 juillet 2009 15:21

          Présenter un bilan positif tout en évitant de faire quoi que ce soit d’efficace pour ne pas tuer la poule aux oeufs d’or, c’est un peu la quadrature du cercle !


          • Bobland59 Bobland59 17 juillet 2009 15:22

            C’est une seconde nature chez hortefeux ! Il veut plaire à son mentor, l’an dernier il avait gonflé les chiffres des expulsions pour paraît dans le peloton de tête des BONS ministres qui font bien leur basse besogne .
            Bof il y a peut-être une prime à la clé, par ces temps de disette, il ne faut rien négliger .


            • yoyo 18 juillet 2009 15:22

              des Vichistes..


            • Massaliote 17 juillet 2009 16:14

              Parlons en ! 17/07/2009 – 16h00 -PARIS (NOVOPress) – « Vous êtes priés de ne pas communiquer sur les incidents du 14-Juillet »  : tel est l’ordre que le ministère de l’Intérieur a donné aux préfectures, lesquelles, en conséquence, renvoient systématiquement vers ce dernier quand les médias s’adressent à elles pour connaître les chiffres officiels sur les violences ethniques qu’ont connues les banlieues pendant les nuits des 13 et 14 juillet.


              • heliogabale boug14 17 juillet 2009 21:19

                Les délinquants sont le sous-prolétariat dont le pouvoir a besoin...tout est question d’esthétique : quelle personne, bien que révoltée par la situation actuelle a envie de remettre en cause ce système, s’il est tout de suite assimilé à un délinquant de banlieue, qui plus est d’origine maghrébine ou africaine... (Je n’ai vraiment rien contre les jeunes de banlieues et je suis certain qu’à au moins 90 %, ils n’ont rien du tout à se reprocher mais pour le mec lambda vivant hors des cités, leur être assimilé de près ou de loin constitue une déchéance...) Une révolution est un moyen de s’émanciper alors Sarkozy et ses sbires ont besoin de « cette racaille » pour conserver une certaine popularité et étouffer toute velléité de révolte dans des couches de la société encore conservatrice et qui demande de la sécurité (qui reste un droit fondamental pour le citoyen). J’entends par sécurité, la sécurité physique (police) et la sécurité sociale (la solidarité, le fait qu’un citoyen puisse compter sur l’état et ses concitoyens en cas de problème). Or, quand on démantèle cette dernière, on met en avant des jeunes, « pas vraiment de chez nous », qui s’attaque à notre intégrité physique et on fait en sorte que les médias se focalisent sur « ce péril venu d’ailleurs. »


                • heliogabale boug14 17 juillet 2009 21:22

                  Un exemple plus frappant : on parle beaucoup des violeurs en série (heureusement peu nombreux mais s’attaquant à des dizaines de personnes) mais on insiste peu sur le fait que les filles violées l’ont été en (grande) majorité par un membre de leur famille...c’est ce qui se passe en France...


                  • sisyphe sisyphe 18 juillet 2009 16:08

                    La traque, la trique, et maintenant le troc (des sanctions contre l’absence de chiffres) ; le champion de la poursuite (P)Hortefeux pédale en roue (et en idée) fixe contre le tout venant des contrevenants : élargissons la cible, on aura plus de chances de la toucher...

                    60 millions de délinquants... et moi, et moi, et moi...

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