Hot-lines et centres d’appels : armes de dérégulation massive
(Cet article fait suite à « Ces voix qui nous asservissent en douce », et s’inscrit dans un projet de recherche global dont il n’est qu’une étape. Une suite est prévue).
Les multiples abus dont les gros organismes (y inclus les organismes d’Etat) ont fait leurs pratiques courantes, sont si « petits », si divers, si répétitifs — donc « usants »’ — et si habilement présentés comme problèmes individuels (c’est ma facture de téléphone, mon RAR) qu’il est très difficile, non seulement de leur opposer un front commun, mais, surtout, de « voir » qu’au travers eux ce sont tous les facteurs indispensables au vivre ensemble qui sont peu à peu détruits. Pourquoi ? Parce que les nouvelles socio-techniques qui les permettent sont si inédites que nous ne « ne voyons pas encore » que ce qu’elles mettent en place est très différent des formes d’abus classiques auxquels nous nous étions pour ainsi dire habitués.
Hots-lines et centres d’appels : destruction en règle du principe même du droit
Quelle porte avons-nous ouverte pour que ces abus deviennent à ce point monnaie courante ? La petite recherche factuelle exposée sur mon blog impose le premier constat suivant : grâce à la multiplication des hot-lines et des centres d’appels nous avons peu à peu lâché les contrats écrits au profit de contrats oraux, ce dans une société où le droit ayant été traditionnellement fondé sur l’écrit, nous ne disposons pas (au contraire) d’une culture orale de la loyauté.
Ces contrats oraux n’étant fondés sur aucune preuve écrite et se passant à "huis clos" — sans témoin et sans tiers — donnent tout pouvoir à l’arbitraire.
Hots-lines et centres d’appel : destruction en règle de la sociabilité
Les contrats "oraux" qu’imposent ces nouvelles pratiques peu analysées, sont d’un type inédit. Ils sont en effet passés avec des "voix" sans sujet.
- Des "voix" inapprochables, intouchables, sans visage et sans corps.
- De pures "voix", anonymes : des voix sans identité fiable, leurs opérateurs se présentant en général sous pseudonyme.
- Des "voix" éphémères que le client ne peut retrouver, parce que remplaçables et remplacées à merci au fil des heures et du turn over.
- Des "voix" dont les porteurs, eux-mêmes "perdus" (et souvent exploités), sont dépossédés de leur responsabilité.
Résultat, le rapport humain est éliminé, sa continuité est détruite, l’identification de l’interlocuteur impossible.
Plus encore l’organisme impliqué devient illisible pour le client. (Où arrive son appel, géographiquement ? Mystère. Comment fonctionne l’organisme au juste ? Mystère : les "services" (correspondant à différents numéros) y sont tellement segmentés qu’il s’y perd. Contre qui ou quoi porter plainte, au juste, en cas d’abus ? Mystère…).
D’autant que une "voix" pouvant en remplacer une autre, "on" peut, au travers elles vous dire une chose et son contraire. A vous de vous débrouiller (seul) avec "l’information "fausse", "ignorante", "contradictoire" qui en émane.
En dématérialisant ainsi l’accueil, à la base de tout rapport social hot-lines et centres d’appel isolent les entreprises et les services dans un espace virtuel profondément a-relationnel…
Hots-lines et centres d’appel : destruction en règle de la parole donnée
Dans ces conditions la parole qui est délivrée au client n’appartient à personne, ne vient de personne, ne peut-être assumée par personne.
Peut-elle, dans ces conditions, être "donnée" ?
Peut-elle être "tenue". Non, puisqu’il n’y a personne pour la tenir.
Peut-on, dans ces conditions passer un quelconque contrat, même oral ? Non, p
Et pourtant "on" l’impose et le fait. Et, ce faisant, "on" impose l’arbitraire et l’abus.
Hots-lines et centres d’appel : négation en règle du contenu de la parole
L’argument qu’opposent les organismes gérant leur rapport clientèle via les hot-lines aux constats ci-dessus est le fait que les conversations sont enregistrées.
D’une part, c’est de moins en moins vrai (c’est facile à vérifier, la loi faisant obligation d’avertir quiconque d’un enregistrement de la conversation, l’enregistrement doit lui être annoncé).
D’autre part, exiger de "remonter" à la dite conversation implique pour le plaignant de pouvoir en indiquer la date et l’heure exactes, ainsi que le nom de la "voix" qui lui a répondu, ce qu’il "oublie" souvent de faire, ou qu’il note de façon erronée.
Enfin et surtout, les "contrats papier types" (encore) envoyés au client pour confirmation de la commande, du contrat ou de la réclamation en jeu ne leur correspondent pas du tout.
Mais il ne "faut pas s’en inquiéter, c’est normal, ce sont des "contrats-types", ne vous en faites pas… " Et nous avons tellement envie de pouvoir enfin nous appuyer sur quelque chose de fiable, tellement envie de nous épargner un RAR pour rectifier… N’est-ce pas ?
Sachant le lien indéfectible qui lie la loi, la parole et le tiers, quoi de plus dangereux que de s’habituer à un tel décalage entre contrat oral et confirmation écrite ? Ne rien faire contre n’est-ce pas implicitement souscrire à cette destruction pure et simple de la valeur fondamentale qu’est, pour l’humain, sa parole sans laquelle aucune relation n’est viable, aucun vivre ensemble possible ?
Les mensonges institutionnels et la langue de bois de plus en plus éhontés auxquels nous assistons sans grand moyen d’y mettre un terme, ne seraient-ils pas le symptôme d’une "habituation" aussi massive que discrète à une parole devenant littéralement "incroyable" ?
Une tendance fort juteuse : "petits" abus font escroquerie massive.
S’exerçant au coup par coup, sur des "petites sommes", via des contrats individuels privés, cette forme récurrente d’escroquerie n’apparaît pas comme telle au niveau macro-économique et politique.
Il suffit pourtant de compter.
En faisant une moyenne plus que raisonnable (et sans doute bien en dessous de la réalité des pratiques) de, disons, 20,00 euros par an et par personne, et en ne comptant que la population active, soit environ 25 millions de gens, cela nous conduit pour ce qui concerne la France à 500 millions d’euros de bénéfice annuel.
En France, en 2006, les centres d’appels, apparus dans les années 80, sont au nombre de 2620. Ils emploient 260.000 personnes, plus 30.000 environ en offshore. Or ce "marché français" ne représente que 17% du marché européen, contre, par exemple 32% pour la Grande Bretagne…
Il ne faut donc pas s’attendre à voir cette tendance diminuer, bien au contraire !
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